Traduction par H. Ternaux-Compans.
Arthus Bertrand (p. 191-194).

CHAPITRE XXV.


Les Indiens sont d’une vigilance extrême pendant la guerre.


De toutes les nations que j’ai vues au monde, aucune ne montre autant de prudence qu’eux, lorsqu’ils craignent d’être attaqués. Ils sont sur pied toute la nuit, ils ne quittent point leur arc, et sont munis d’une douzaine de flèches : même lorsqu’ils dorment, ils ne les laissent pas, et si leurs arcs ne sont pas bandés, du moins ils les tiennent toujours prêts à l’être. Souvent ils sortent de leur cabane en se courbant vers la terre, de façon à ne pas être vus ; ils regardent et ils écoutent de tous côtés pour observer ce qui se passe. Aussitôt qu’ils entendent le moindre bruit, tous sont sur pied avec leurs arcs et leurs flèches ; ils courent ainsi pendant la nuit entière de côté et d’autre, où ils pensent pouvoir trouver leurs ennemis. Lorsque le jour arrive, ils détendent leurs arcs jusqu’au moment où ils se mettent en campagne. Les cordes dont ils se servent sont faites avec des nerfs de cerfs. Ils combattent baissés à terre, et ils tirent leurs arcs en parlant et en sautant à droite et à gauche pour éviter les fléches de l’ennemi, si bien que les arbalètes et les arquebuses leur font peu de dommage, et même les Indiens en font un sujet de plaisanterie. Aussi ces armes sont-elles fort peu utiles contre eux dans les plaines, où ils sont disséminés. Ces armes ne sont bonnes que dans les défilés et dans les endroits où il y a de l’eau : dans tout autre circonstance il n’y a que les chevaux qui puissent les vaincre ; tous en ont la plus grande frayeur. Ceux qui voudront les combattre devront faire la plus grande attention de ne laisser apercevoir ni faiblesse ni la moindre avarice, et pendant toute la guerre de ne pas les épargner, car si les Indiens s’aperçoivent que l’on ait la moindre crainte, ou que l’on veuille prendre ce qu’ils ont, ils savent saisir l’occasion pour se venger, et ils profitent du manque de courage de leurs ennemis.

Lorsqu’après s’être battus à coups de flèches, ils manquent de munition, chaque armée s’en va de son côté sans être poursuivie par l’autre, quand bien même l’une serait considérable et l’autre en petit nombre. Souvent les flèches leur percent le corps d’outre en outre sans qu’ils meurent de leur blessure. A moins qu’ils ne soient frappés dans les intestins ou au cœur, ils guérissent très-vite. Ils voient et ils entendent beaucoup mieux que toute autre nation : leur odorat est aussi plus parfait. Ils supportent très-aisément la faim, la soif et le froid, aucun peuple n’étant plus qu’eux accoutumé à la misère. J’ai voulu rapporter tout cela, parce que non-seulement les hommes désirent connaître par curiosité les mœurs des autres peuples et la manière de combattre, mais aussi parce que, dans certaines circonstances, il peut nous être fort utile d’être instruits des mœurs et des ruses de guerre des peuples chez lesquels nous nous trouvons.