Recueil des lettres missives de Henri IV/1580/20 avril ― Au roy, mon souverain seigneur



[1580. — 20 avril[1].]

Orig. autographe. — Biblioth. de l’Arsenal, recueil d’autographes détachés.

Cop. – B. R. Fonds Brienne, Ms. 207, fol. 500 recto.


AU ROY, MON SOUVERAIN SEIGNEUR.

Monseigneur, Afin que Vostre Majesté ne rejecte poinct sur moy ne sur ceulx de la Religion la cause de la nouvelle prinse des armes, je la suplieray tres humblement de vouloir considerer l’estat et la misere à quoy nous avons esté reduicts par la faute principalement de vos ministres et officiers, lesquels ayans en main la justice pour la nous rendre esgalement, se sont du tout renduz partiaux, et ceux qui avoient les forces en main pour leur assister estoient nos ennemis capitaulx, pervertissant en cela vostre bonne volonté et l’asseurance que j’avois prins d’icelle, sans que jamais en ayons peu recevoir aucun fruict, comme je vous ay souvent faict entendre. D’ailleurs, Monseigneur, vous sçavés qu’en Languedoc l’hostilité n’y a poinct cessé contre ceux de la dicte Religion qui, se voyans pressez et la plus grant part banniz de leurs maisons, sont entrez en desespoir et leur a donné occasion de recourir à moy et me sommer de leur assister de ma protection, selon que Vostre Majesté sçait que j’y suis obligé et que la commune intelligence de toutes les eglises reformées de ce Royaume le requiert. La pluspart desquelles estoient, si non du tout en si griefvve afliction, pour le moins en estat tres mauvais, et principalement celles qui sont les plus esloingnées de pouvoir recourir à Vostre Majesté. Et ores que de vostre intention à laquelle je me conformoy pour le regard de la chambre des Grands-Jours, que vous aviez deliberé d’envoyer de pardeçà, on ne deust esperer que tout bien et repos, neanmoins en la convocation et assemblée que vos seneschaux ont faict, en ce gouvernement, de la Noblesse, n’y a eu que brigues et menées pour soubs main faire declairer que ladicte chambre n’estoit aucunement necessaire, prenans leurs pretextes sur la retention des villes, et en nous blasmant de tenir icelles pour le refuge et retraicte des brigands et voleurs ; et tendans par là à nous rendre plus odieux et privez de la justice esgale que nous attendions de vostre bonne deliberation, et de l’eslection que vous aviés commandé estre faicte de bons juges pour l’administration d’icelle. J’ay voulu sommairement toucher ces seuls poincts, réservant à les vous déduire plus amplement avec une infinité d’autres, non moins preignans[2], dans peu de jours ; ayant cependant un tel desplaisir d’avoir esté contrainct et reduict de venir à ceste extremité, que je ne sçauroy sentir pour chose quelconque une plus grande tristesse, pour la crainte mesmement que j’ay d’estre par ce moyen d’autant plus esloingné de vostre bonne grace, que j’ay tousjours cherie et cheriray plus que la conservation de ma propre vie. Et si cela m’afflige d’un cousté, le bien et repos que je desire en cest Estat et qu’en joyssiez heureusement (voyant comme il est par ce moyen grandement alteré et certes avec trop de hasard) ne me donne moins de regret, estant trop notoire qu’il y en a qui couvertement brassent cecy avec une trés mauvaise et pernitieuse intention. Toutefois, Monseigneur, je ne m’esloingneray jamais, pour occasion qui survieigne, de la trés humble et parfaicte obeissance que je vous doibs. Et si, ce Royaume pacifié, je la pouvoy faire paroistre hors d’icelluy, je n’espargneroy ma propre personne pour vostre grandeur et contentement, comme celuy qui est et sera à jamais

Vostre trés humble et trés obeissant subject

et serviteur,


HENRY.


  1. Cette date n’est pas sur l’original, mais elle nous est fournie par la copie du manuscrit de Brienne, qui porte : « De Nérac, le 20 avril 1580. » Dans l’original, cette lettre, bien qu’entièrement de la main du roi, est exempte de ses fautes d’orthographe habituelles. La publicité dont cette pièce était susceptible a sans doute déterminé le roi à en faire écrire la minute par un secrétaire, pour la transcrire lui-même avec attention.
  2. C’est-à-dire pressants. C’est la signification que donnent de ce mot pregnant, alors usité, Roquefort et le glossaire manuscrit de Sainte-Palaye.