Recherches sur les végétaux nourrissans/Sixième Objection


On a calculé qu’il falloit un arpent de terre ſemé en blé, pour nourrir un homme pendant un an, à cauſe de l’année de jachère ; or le même eſpace de terrein le plus ingrat, conſacré aux pommes de terre, produira au moins de quoi alimenter trois hommes, non-seulement par rapport au produit qui ſera infiniment plus conſidérable, mais encore par la raiſon que l’année ſuivante produira à peu-près autant de ces racines : on ne devroit jamais fonder la ſubſiſtance journalière ſur des productions dont la récolte eſt incertaine.


Sixième Objection.


Depuis l’inſtant où les pommes de terre ſont plantées juſqu’à celui où l’on doit en faire la récolte, il y a un intervalle de ſix mois au moins, pendant lequel on eſt privé de cette reſſource, & l’on ne ſauroit en prolonger la durée ; quelle différence des grains qui ſe gardent des temps infinis moyennant quelques précautions, & qui ſouffrent même les voyages de long cours ſans perdre de leurs propriétés.

Réponse.


On a ſuffiſamment établi la ſupériorité qu’ont les grains ſur la pomme de terre, pour jamais oſer donner à cette dernière production la préférence ; le degré de ſéchereſſe qu’ont les ſemences, la quantité de matières nourriſſantes qu’elles renferment ſous un petit volume, feront toujours pour les hommes de tous les pays & de toutes les conditions, la portion la plus précieuſe des végétaux farineux.

La pomme de terre, au contraire, a moins de matière nutritive ſous beaucoup plus de volume ; elle ne ſauroit être emmagaſinée & tranſportée au loin aiſément, il faut les conſommer ſur les lieux comme les menus grains : elle ſe gâte & germe aiſément, ce qui conſervera toujours la primauté aux grains. Mais il ſeroit bien à ſouhaiter que l’on vînt au ſecours des pauvres habitans des campagnes, en leur indiquant de la manière la plus conciſe, la meilleure méthode de cultiver la pomme de terre ; peut-être ſeroit-il poſſible de leur ménager cette reſſource pendant toute l’année. II y en a une eſpèce plus commune en Angleterre que parmi nous, & qui ne diffère de l’autre que parce qu’elle parcourt un cercle de temps moins conſidérable pour parvenir à ſa maturité ; on la plante en Mars, & on la récolte au commencement de Juillet, en ſorte qu’on ne s’en trouveroit privé que-deux mois au plus, encore pourroit-on y ſuppléer par une proviſion de pain, de biſcuit, ou enfin, de ces racines cuites & ſéchées, comme nous l’avons décrit.


Septième Objection.


La pomme de terre n’eſt utile que depuis la fin d’Octobre juſqu’a la fin de Mars ; ſi, pendant ce temps, elle ſe gèle, ou que la germination s’y établiſſe, la voilà perdue pour toujours : la deſſiccation qui ſeroit le moyen le plus efficace pour les préſerver de tout événement fâcheux, détériore ces racines au point que les animaux ne s’en ſoucient plus ; l’amidon lui-même, qu’on en retirer s’altère au retour du printemps.