Recherches sur les végétaux nourrissans/Article XXV

Antoine Parmentier
Article XXV -
Des Subſtances végétales, propres à remplacer les Plantes potagères.


cette dernière propoſition de cultiver certaines Plantes, rempliroit une toute autre utilité ; il en eſt ſans doute des végétaux comme de certains individus du règne animal : ils réſiſtent à toute eſpèce de culture comme on voit les ſauvages réſiſter à toute eſpèce de ſociabilité : en rendant indigènes aux terreins couverts de landes, le petit nombre de Plantes dont nous, parlons, ne ſeroit-ce pas encore un moyen de rendre les diſettes moins communes.


Article XXV.


Des Subſtances végétales propres à remplacer les Plantes potagères.


Nous avons dit au commencement de cet Ouvrage, qu’il n’y avoit point de Plantes dont les différentes parties ne continssent plus ou moins abondamment la matière alimentaire, & ne puſſent par conſéquent ſervir de nourriture à quelqu’eſpèce d’animal que ce ſoit ; mais les ſemences & les racines étant dans les végétaux, le principe de leur génération future, elles paroiſſent deſtinées plus particulièrement à former la baſe de la ſubſiſtance de preſque tous les Peuples : c’eſt donc dans leur ſource féconde qu’il faut chercher des ſupplémens pour remplir les beſoins indiſpenſables.

Les tiges herbacées, les feuilles, les fleurs & les fruits, méritent donc auſſi d’occuper une place ſur la liſte de nos ſubſtances ſans renfermer rien de farineux, & quoique l’on ait prétendu que les fleurs de trèfle blanc & de trèfle des prés, ſéchées & moulues, pouvoient remplacer le pain, que les rejetons de vignes & les feuilles de choux augmentent conſidérablement la propriété de cet aliment, ce ne ſont que des aſſertions absolument dénuées de fondement, que chacun allègue & adopte ſans examen ni réflexions. Nous ne détaillerons pas non plus les uſages des fruits de nos Plantes cucurbitacées que l’on pétrit ſouvent avec la farine ; ces différentes ſubſtances n’ayant pas d’amidon, elles ſont hors d’état de ſuppléer les grains ſous la forme de bouillie ou de pain.

Maintenant ſi nous arrêtons nos regards ſur la claſſe de ces végétaux les plus grands de la Nature, & dont la durée de la vie chez pluſieurs ſe prolonge même au-delà d’un ſiècle, nous verrons qu’ils produiſent des fruits en général plus gros & plus ſucculens que nos Plantes annuelles & vivaces ; mais il s’en faut bien qu’on puiſſe les comparer aux arbres précieux, naturels aux deux Indes, la riche famille des palmiers, le mangouſtamon, le rinca, le coton-fromager : tous rapportent des productions bien plus néceſſaires & plus importantes pour la nourriture que nos arbres Européens : cultivés ou non, ils ne nous fourniſſent, à l’exception du châtaignier, que des boiſſons ou des acceſſoires à l’aliment.

II eſt très-vrai que beaucoup de fruits ſauvages n’attendent que la main du cultivateur pour devenir auſſi efficaces & auſſi ſavoureux que ceux de nos vergers ; mais en les ſoignant & les multipliant, ils n’en deviendront pas plus propres à la panification : on aura beau faire, les fruits de l'uva urſi, du néflier, du ſorbier des oiſeaux, indiqués dans pluſieurs Ouvrages comme pouvant entrer dans la maſſe du pain, n’en diminueront pas moins le volume & la qualité de cet aliment, loin d’ajouter à ſes effets ; ſeulement il ſeroit poſſible par le moyen de la fermentation & de la diſtillation, d’en préparer des boiſſons ſpiritueuſes, ce qui épargneroit ſur la conſommation des grains deſtinés à cet emploi.

Les arbres & les arbriſſeaux qui donnent chaque année des fruits ſauvages, ne ſont pas plus rares que les Plantes incultes dont les racines ou les ſemences renferment une nourriture ſubſtantielle. On rencontre dans preſque tous les bois, les haies & les friches, des genevriers, des ronces, des aliſiers, des pruneliers, des aubepines, des ceriſiers, des cornouilliers, des églantiers, des framboiſiers, des groſeilliers épineux, des putiers, des obiers, des vinetiers, des viornes & des ſorbiers ; tous ces végétaux, dont les fruits agreſtes ſeroient peu propres à ſervir de nourriture, à ſuppléer même leurs analogues cultivés, formeroient, comme nous l’avons déjà obſervé, de quoi préparer des boiſſons ſpiritueuſes : on en prépare déjà une dans le Nord avec le fruit de la bruyère à baies ; ce ſeroit autant de gagné pour la ſubſiſtance des hommes & des animaux : les pays froids ſeroient moins ſouvent affligés par la diſette, ſi une grande partie du ſeigle & de l’orge qu’on y récolte, n’étoit pas conſommée en bière & en eau-de-vie.

Quant aux écorces d’arbres, dont on veut encore que certains Peuples faſſent toujours leur nourriture fondamentale, je me ſuis déjà expliqué à l’égard de leur véritable effet dans le pain où on les mêle ; la ſubſtance corticale eſt trop dure, trop ligneuſe pour ſe laiſſer pénétrer par l’eau : quelque diviſée qu’on la ſuppoſe, il ne peut jamais réſulter une pâte tenace, flexible & homogène ; l’eau qu’on y ajoute ne ſe trouve que juxt-appoſée ; elle ne forme aucune liaiſon entre les parties, & dès qu’elle s’évapore, le réſidu demeure ſans continuité. Or s’il eſt vrai que les Lappons faſſent du pain d’écorce de pin ſauvage & de tilleul, c’eſt ſans doute à l’aide de quelque farineux, & il eſt vraiſemblable que la quantité qu’ils en mêlent, eſt relative à leurs reſſources alimentaires, peut-être même n’y ont-ils recours que dans une circonſtance de détreſſe, comme il eſt arrivé en 1709 à quelques habitans de l’Auvergne, de faire entrer dans leur pain la racine de fougère deſſéchée & pulvériſée : s’enfuit-il que les habitans de cette province ne ſe nourriſſent conſtamment que de pain de fougère, & que ceite raçine ſoit très-propre à la panification ?

Écoutons encore ces Compilateurs de profeſſion nous aſſurer avec la même confiance, qu’en Islande on fait habituellement de bon pain avec une eſpèce de lichen bouilli d’abord dans l’eau renouvelée deux ou trois fois, puis ſéché & réduit en poudre. Je ſais que les Peuples qui habitent un ſol aride, ſur lequel il ne vient que très-peu de grains, de fruits & de racines, ſont bientôt au dépourvu & contraints de faire ſervir à leur nourriture tout ce qui ſe préſente à eux ; que ceux qui n’ont d’autres reſſources de ſubſiſtance que dans les produits de la pêche, sèchent & coupent par morceaux des poiſſons qu’ils pilent & réduiſent en poudre, avec laquelle ils forment une eſpèce de pâte qu’ils expoſent au ſoleil, pour ſécher & durcir : mais ce pain fait ainſi avec des poiſſons, des écorces d’arbres, des feuilles, des fleurs, des fruits & des racines énoncées précédemment, mérite-il réellement d’être qualifié de ce nom ? Eſt-ce bien là une ſubſtance légère & ſavoureuſe, compoſée d’une croûte sèche & caſſante, d’une mie ſpongieuſe & élaſtique parsemée de cellules, qui ſe gonfle dans l’eau, ſe broie aiſément dans la bouche, obéit ſans peine à l’action de l’eſtomac & de nos viſcères, pour former enſuite la matière la plus pure & la plus ſaine de la nutrition ? Non aſſurément, ce ne peut & ne doit être qu’une maſſe lourde, ſerrée, déſagréable, à laquelle il manque les qualités les plus eſſentielles du pain ; mais il eſt temps de revenir aux végétaux qui ſont en état de remplacer les Plantes potagères.

Si parmi les racines indiquées pour ſervir en totalité à la nourriture, pluſieurs ſe trouvent placées dans les matières médicales au nombre des remèdes émolliens, béchiques, apéritifs & rafraîchiſſans, à coup ſûr de ſemblables propriétés, quand elles ſeroient bien conſtatées, ne ſauroient nuire à la vertu alimentaire. Cependant ſi d’après cette conſidération, on en a inféré que certaines plantes, telles que les narciſſes, les aſphodèles employées dans les temps de ſamine, ont occaſionné des maladies, on a pu fort bien ſe tromper ; l’erreur vient de ce qu’alors tous les maux qui arrivent, ſont rejetés ſur les ſubſtances dont on ſe nourrit, ſans faire attention en même-temps que le moral y a pour le moins autant de part : ce n’eſt point que dans une diſette momentanée & extraordinaire on n’ait mis ſouvent à contribution des ſubſtances que la Nature n’avoit pas deſtinées à la nourriture, comme la racine de pied-de-veau, par exemple, qui eſt de toutes nos Plantes indigènes, la plus approchante du magnoc par ſa qualité cauſtique, & cependant nutritive, moyennant une préparation. Mais l’homme, accablé autant par la ſamine, que par les ſuites fâcheuſes qui peuvent en réſulter, ne ſauroit jouir paiſiblement de ſes facultés ; ajoutez encore que le paſſage trop bruſque d’un genre de nourriture à l’autre, quelle qu’en ſoit la ſalubrité, ne doit pas être exempt d’inconvéniens.

En ſaiſant autrefois quelques recherches ſur le principe eſſentiellement nutritif des végétaux farineux, j’ai été conduit naturellement à l’examen de la ſubſtance ſavoureuſe, que le goût de la bonne chère a cherchée & trouvée dans une infinité de matières connues ſous le nom d’aſſaiſonnement, & ſi nous réfIéchiſſons à l’uſage que nous ſaiſons tous les jours des Plantes cultivées dans les potagers, nous verrons qu’elles ne ſervent effectivement qu’à relever la fadeur des alimens ; pluſieurs à la vérité paroiſſent ſur nos tables comme des mêts particuliers dont l’habitude ou la néceſſité ont fait dans quelques cantons un beſoin auſſi impérieux que celui de l’aliment principal.

Il nous paroît donc encore indiſpenſable d’énoncer ici au moins les noms des Plantes ſauvages qui peuvent ſervir dans les cas dont il s’agit, d’autant mieux que ſuivant l’obſervation très-judicieuſe de M. Villemet, c’eſt fournir de nouveaux moyens de ſubſiſtance moins coûteux pour les pauvres, parce qu’ils ne ſont pas en concurrence avec les riches pour ſe les procurer ; elles peuvent d’ailleurs ſervir en attendant le retour de nos Plantes potagères ordinaires, à remplacer celles que la ſaiſon ou d’autres circonſtances auroient rendu fort rares, & à augmenter leur nombre. Nous les propoſons avec d’autant plus de ſécurité, que les Anciens s’en ſervoient autrefois en cette qualité, qu’au déſaut d’autres, elles ſont encore uſitées dans quelques cantons.

Les Plantes douces & mucilagineuſes ſe trouvant dans toutes les ſamilles, il n’en eſt point qui ne puiſſent remplacer les Plantes potagères proprement dites, la blette verdâtre rampante, les campanules à feuilles d’ortie & de pêcher, les ſommités de la grande conſoude & de la livèche, le maceron, la petite paquerette, la patte-d’oie blanche, les différens plantins, les pulmonaires, la morgeline, ſans oublier la grande & la petite mauve ſi renommée autrefois, & dont Horace parle dans ſon Ode à Apollon :

…………… me paſcunt olivæ,
Me chicorea, leveſque malvæ.

Toutes ces feuilles attendriſſent nos viandes & aſſaiſonnent le bouillon qu’on en prépare. Lorſque les Plantes potagères cuiſent en même temps que nos viandes & nos légumes, elles fourniſſent à l’eau un extrait qui ayant des propriétés médicinales, les transmettroit à la décoction ; c’eſt à cauſe de cela que nous penſons que les feuilles de renoncules, de mercuriales, de violier, de chélidoine & de rapete, propoſées encore à cet effet, ne devroient ſervir que comme les épinards, les oſeilles & les chicorées, qui après avoir ſubi une cuiſſon longue & à grande eau, ſont enſuite fortement exprimés, & n’offrent plus que le ſquelette, le parenchyme fibreux ; ces feuilles & ces tiges ne ſont alimentaires que par les acceſſoires qui les accompagnent, tandis que leurs décoctions ſont journellement indiquées comme des médicamens : on peut encore les ſuppléer par l’oſeille des prés, l’alleluia, le bon-henri, les laitrons, la bugloſe, la lampſane, les lamions, la patience-violon, l’ortie-grièche, &c.

Mais il exiſte des Plantes potagères également très-uſitées dans nos cuiſines, & qu’on ne ſauroit remplacer avec autant de facilité à cauſe de l’épaiſſeur de leur feuillage & de la matière nutritive qui s’y trouve renfermée ; ce ſont les choux : la bugloſe, la roquette, le rapiſtre, le chardon des prés & celui des marais, peuvent leur être ſubſtitués à certains égards. Nous obſerverons ſeulement que ces végétaux devroient toujours avoir bouilli un moment dans l’eau, & cette eau rejetée avant de cuire avec nos alimens, parce que l’extrait que ce fluide a d’abord enlevé, eſt fort âcre ; il influe ſenſiblement ſur le goût & la qualité de nos potages : la première eau de choux & de navets eſt déſagréable & tres-putreſcible la ſeconde eſt douce & muqueuſe ; c’eſt celle-là que les Médecins devroient toujours preſcrire à leurs malades.

Les Plantes avant le développement de leurs feuilles, le diſque charnu des fleurs avant leur épanouiſſement, ſemblent offrir tantôt des reſſources alimentaires, & tantôt des afſaiſonnemens. Les jeunes pouffes du genouillet, du petit houx, du ſceau de Notre-Dame, du houblon, de la bardane, du chardon des marais, de l’arète-bœuf, de la barbe de bouc, de la ſcorſonère, de la fougère mâle, peuvent remplacer les aſperges, & il eſt poſſible de trouver l’analogue de l’artichaut dans les têtes de l’onoporde, du chardon cotonneux & de la carline.

Il y a des Plantes qui paroiſſent ſur nos tables douées de toutes leurs propriétés nutritives, puiſqu’on les y ſert telles que la Nature les préſente, ce ſont les ſalades compoſées aſſez ſouvent de tiges, de feuilles & de racines ; on doit par conſéquent les examiner ſérieuſement avant d’en indiquer l’uſage, puiſque l’eau & le feu ne leur ont ſait ſubir aucun changement : pour les remplacer, l’expérience a déjà prononcé en faveur des jeunes feuilles de chicorée ſauvage, de l’ormin, de becabunga, de la berle, de pied-de-chèvre & de corneille, de galega, de l’armoiſe, de behen blanc, de l’eryſimum, de grandet, de ſaxifrage tridactile, du ſceau de Notre-Dame, de triquemadame, de thlaſpi, de la cardamine : les tendrons de la racine du genouillet & de celle de la lunaire annuelle, les jeunes tiges du maceron & de l’ache des montagnes, ſeront les ſubſtituts de la raiponce, du céleri, &c.

Indépendamment des ingrédiens dont on aſſaiſonne ordinairement les ſalades, & qui diffèrent ſuivant les cantons, on y ajoute encore d’autres herbes plus ou moins ſapides, qu’on nomme la fourniture la grande & la petite pimprenelle des champs, le cerfeuil bulbeux, le pourpier ſauvage, la cataire, 1 alliaire, la méliſſe, les menthes, la coronope ; on peut également décorer les ſalades avec d’autres fleurs que la capucine : celles de primevère, de bourrache, de bugloſe & de vipérine, peuvent les remplacer.

On emploie dans nos cuiſines des aſſaiſonnemens de différens genres qui, n’ayant point de détermination particulière, peuvent néanmoins accompagner preſque tous les mets ; ce ſont d’abord la moutarde & les cornichons : nous avons diverses racines capables de les remplacer ; celles du raifort, par exemple, étant râpées, ſont la moutarde des Allemands ; la racine de paſſerage, les pouſſes vernales de l’arète-bœuf & du genêt, feroient l’office des cornichons : il ſuffiroit de les faire blanchir dans l’eau avant de les confire au vinaigre, les cornichons ſans cette précaution perdent de leur fermeté & de leur couleur, qu’on devroit défendre de communiquer par le moyen du cuivre : l’ail des vignes ſuppléeroit l’ail cultivé ; le calamus aromaticus, les épices ; les ſemences de la terre-noix, de la nielle cornue & du curage, le poivre ; le perſil des marais, le gingembre ; les boutons de fleurs de genêt, de ſouci-d’eau & d’aubépine, les capres ; enfin le nelilot, l’origan & la tanaiſie, produiraient à peu-près le même effet que la ſarriette, la ſauge, le thim, le laurier & le baſilic.

Qu’on ne ſoit pas étonné ſi dans le nombre des aſſaiſonnemens que les végétaux incultes peuvent offrir, je ne faſſe mention d’aucunes eſpèces de champignons, quoique toutes croiſſent ſpontanément ſur les montagnes, dans les bois & dans les prairies. Ces Plantes ſingulières renferment la plupart des poiſons très-actifs, & malheureuſement nous manquons de moyens chimiques & botaniques pour établir entr’elles un ſigne qui puiſſe ſervir à caractériſer leurs effets, & prévenir en même temps, les méprîſes ſatales du mauvais choix qu’on en fait tous les jours. Il vaut donc mieux, comme le dit Geoffroy, rendre les champignons de couche au fumier qui leur a donné naiſſance.

Quand il ſeroit en notre pouvoir de rendre innocens tous ſes champignons par quelques opérations particulières, l’expérience démontre que les meilleures eſpèces, celles que l’on ſait entrer ordinairement dans nos ragoûts, peuvent devenir elles-mêmes très-dangereuſes, ſoit parce qu’on les aura cueillies trop tôt ou trop tard ou dans une mauvaiſe ſaiſon, ſoit à cauſe qu’elles auront reſté long-temps expoſées aux brouillards, au ſerein ou à la vapeur de quelque corps en putréſaction, ſoit encore par rapport à l’abus qu’on en aura fait, à la diſpoſition où on ſe fera trouvé en les mangeant. M. de Juſſieu m’a dit qu’il étoit perſuadé, ainſi que M.rs ſes Oncles, que tous les champignons étoient ſuſpects, quelle autorité plus reſpectable en Botanique pourrois-je citer en ſaveur de mon opinion ? Combien d’accidens arrivés immédiatement après les repas, & qui ne ſont occaſionnés que par l’uſage immodéré des champignons, accidens que l’on attribue ordinairement à toute autre cauſe !

Inutilement on ſe flatteroit en retraçant le tableau effrayant mais trop vrai, des victimes que les champignons immolent tous les jours, d’en faire abandonner l’uſage ; la gourmandiſe prévaudra toujours, & quoique des exemples frappans nous avertiſſent à chaque inſtant du principe mortel que portent avec eux ces végétaux fongueux, ils n’ont rien perdu de leur réputation, & nous continuons de les manger avec autant de plaiſir que de ſécurité. Ainſi, puiſque dans cette circonſtance les malheurs ne nous rendent point ſages, je vais indiquer en gémiſſant quelques moyens pour prévenir ou diminuer les accidens qui en réſultent.

Il ſaudroit toujours mettre un intervalle entre le moment où les champignons ont été cueillis & celui de les cuire, les laiſſer auparavant macérer dans l’eau froide, les faire blanchir enſuite dans de nouvelle eau, puis mêler dans les ragoûts où ils entrent, du vin ou du vinaigre, du jus de citron ou des plantes acidulés ; enfin il ſeroit ſur-tout important de les bien mâcher afin que la propriété que pluſieurs out de gonfler dans l’eſtomac, n’en fit point des morceaux énormes qui nuiroient ſeulement par leur volume indigeſte.

Le champignon, je le répète, n’eſt pas un aliment ; il ne contient qu’une ſubſtance ſavoureuſe dont il ſeroit poſſible de ſe paſſer & puiſqu’il n’exiſte pas de moyens de diſtinguer le champignon eſſentiellement pernicieux d’avec celui qui peut le devenir par mille fortes d’accidens, ne balançons point de le proſcrire de la claſſe des aſſaiſonnemens en y ſubſtituant les culs d’artichaut, le céleri, la racine de perſil & tant d’autres Plantes potagères, dans leſquelles il ſeroit facile, moyennant quelques recherches, de découvrir le goût ſi ſéduiſant du perfide champignon.


Article XXVI.


Réſumé des Plantes décrites dans les Articles précédens.


Comme je n’ai pas cru devoir laiſſer ignorer quelques particularités, relatives à l’uſage & aux effets des Plantes alimentaires décrites dans cet Ouvrage, il eſt arrivé que leur deſcription, quelque ſuccincte qu’elle ait été, m’a entraîné dans certains détails qui pourraient faire perdre de vue la connoiſſance des reſſources que je propoſe, ſi je ne formois de ces Plantes, trois nomenclatures contenant ſeulement leurs noms françois & latins les plus vulgaires, & y ajoutant la nature des endroits où on les rencontre le plus communément ; ce plan d’ailleurs m’eſt tracé par M. Villemet, qui lui-même dans ſa Phytographie économique de la Lorraine, a pris pour guide le célèbre Pline du Nord, qui préſenta autrefois a ſa patrie la flore économique de Suède.