Recherches sur les végétaux nourrissans/Article VIII


l’aliment produira l’effet d’une nourriture groſſière dès que le leſt y dominera. Arrêtons-nous ſur cette troiſième diſtinction de la nourriture conſidérée par rapport à les effets dans l’économie animale.


Article VIII.


De la Nourriture groſſière.


L'expérience & l’obſervation prouvent journellement, ainſi que nous avons déjà eu l’occaſion de le faire remarquer, que la quantité de ſubſtance que nous prenons en qualité d’alimens, n’eſt point néceſfaire absolument à la nourriture, & que le produit des digeſtions ne paſſe pas en totalité dans la maſſe du ſang par les vaiſſeaux lactés ; il eſt bon néanmoins que les alimens ſoient dans des proportions ſuffiſantes, & atténués de manière à ce qu’ils n’offrent point à l’eſtomac trop de travail, & ne ſatiguent ce viſcère par leur état groſſier & indiſſoluble.

Un des moyens d’aſſurer à la Patrie une riche population, & à l’Agriculture des bras vigoureux, c’eſt que l’homme du peuple ſoit bien ſubſtanté, que les alimens dont il fait ſait uſage, renferment aſſez de molécules nutritives pour réparer la diſſipation qui ſe ſait continuellement de nos liqueurs, & qu’elles ne contiennent aucune ſubſtance capable d’accélérer ou d’affoiblir leurs eſſets ; car ſoit qu’une nourriture ſe trouve inſuffiſante, ou trop légère, ou trop groſſière, elle entraîne des inconvéniens ſemblables qu’il ſaut éviter.

L’homme qui n’eſt pas ſuffiſamment nourri, manque de forces pour fournir à ſes travaux & autres ſatigues inſéparables de ſon état ; ſes membres affoiblis par des exercices laborieux ne ſauroient prendre aucun délaſſement : ne réparant pas à raiſon de ſes pertes, tout ſentiment en lui s’énerve, il devient très-suſceptible des différentes influences de l’atmoſphère & des autres viciſſitudes.

Lorſque la nourriture eſt trop groſſière, il arrive d’autres inconvéniens, d’abord elle occaſionne un grand travail à l’eſtomac : les ſucs qui en proviennent, ne ſont point aſſez élaborés, ils produiſent des embarras & des obſtructions ; les réſidus étant très-abondans, ils engorgent les viſcères, & les excrémens qu’ils fourniſſent, ſatiguent les reins, à raiſon de leur maſſe & de leur conſiſtance.

Il eſt conſtant que l’habitant des campagnes particulièrement, ſeroit moins aſſujetti aux maladies qui hâtent le terme de ſes jours, en lui donnant de bonne heure les infirmités de la vieilleſſe, s’il pouvoit fortifier ſon corps avec une nourriture ſuffiſante & ſolide, ſans être trop groſſière.

Il ſeroit bien à ſouhaiter que les gens aiſés, accoutumés à dire vaguement que les cultivateurs & les ouvriers ne doivent manger que des alimens groſſiers, vouluſſent bien faire attention que les ſubſtances qui agiſſent ainſi, ſont très-abondantes en matières fibreuſes qui, ne tenant pas long-temps dans l’eſtomac à cauſe de leur peſanteur, ſe rendent bientôt dans le canal inteſtinal, accompagnées de la véritable nourriture qu’elles entraînent ; ce qui entretient un beſoin continuel ; or n’eſt-ce pas un malheur pour l’économie animale qu’un appétit inſatiable ?. mais le malheur eſt encore bien plus grand, lorſque dans les ſubſtances deſtinées à appaiſer cet appétit, on trouve le principe qui le ſait naître & le perpétue.

Si, comme nous l’avons dit, la nourriture légère conſiſte dans le mucilage preſque pur ; que la nourriture ſolide doive renfermer, outre le mucilage, un tiers environ de ſon poids de leſt, on peut établir que la nourriture groſſière fera celle où cette dernière partie ſe trouvera en proportion égale avec la matière nutritive ; ainſi toutes les racines & les plantes potagères, comme les carottes, les navets, les choux, les pommes de terre, les ſemences farineuſes avec une partie de leur écorce ſous la forme de bouillie ou de pain, produiront l’effet d’une nourriture groſſière.

Tous les jours on dit & on répète que l’uſage d’un aliment eſt nuiſible à tel tempérament à cauſe de ſon mucilage trop épais & trop groſſier ; mais ſuivant toute apparence, on a encore ici confondu le leſt : car le mucilage eſt plus ou moins nutritif relativement au corps d’où on le retire ; il eſt même poſſible de lui donner à volonté la mauvaiſe qualité qu’on lui impute, il ſuffira d’augmenter ſa conſiſtance & ſa viſcoſité par l’évaporation des parties fluides. Voilà une nouvelle preuve qui ſert à démontrer combien les préparations les plus ſimples peuvent influer ſur les effets de l’aliment tantôt léger, tantôt ſolide ou groſſier, ſelon la quantité de fluide qu’on lui laiſſera combinée.

S’il y a des circonſtances qui néceſſitent l’uſage d’une nourriture légère, il en eſt auſſi où la nourriture groſſière eſt indiquée. Combien de fois il arrive qu’il ne ſaut pas nourrir, mais amuſer l’eſtomac ſollicité par de ſaux beſoins & le tenir ſans ceſſe occupé ! C’eſt alors qu’on eſt obligé de manger beaucoup pour ſe nourrir peu, que l’aliment doit ſous un très-grand volume, renfermer peu de matière nutritive & une grande quantité de leſt ; quelquefois auſſi il ſaut ſuivre une marche entièrement oppoſée, toutes ces conſidérations forment ce qu’on appelle régime.

Il ſuit de tout ce nous avons rapporté juſqu’à préſent, que l’aliment en général, ne réſide que dans les végétaux & les animaux, que quels que ſoient les corps auxquels il appartient, il eſt compoſe très-évidemment de deux ſubſtances : l’une diſſoluble dans l’eau, l’autre indiſſoluble ; mais que pour produire complètement ſon effet, il a beſoin d’être aſſocié d’un troiſième principe qui eſt la ſapidité, principe qu’il ſaut emprunter quelquefois des autres ſubſtances, ou bien que la fermentation & le feu développent dans certains corps en changeant leur nature.

Si donc l’aliment abonde en mucilage, & que ce mucilage ſoit ſuffiſamment étendu pour agir promptement & ſans effort, alors il opérera l’effet d’une nourriture légère ; lorſqu’au contraire la matière nutritive ſera plus concentrée, qu’elle ſe trouvera en outre mélangée avec une ſubſtance ſolide proportionnée, ſon action fera ralentie & donnera du travail à l’eſtomac ; enfin l’aliment ne fournira qu’une nourriture groſſière, ſi ce que nous nommons leſt y domine. Ce court réſumé ne ſuffit-il pas pour démontrer que les trois ſubſtances qui conſtituent l’aliment, doivent toujours être relatives à l’eſpèce & à la diſpoſition de l’individu à nourrir, qu’il eſt néceſfaire qu’elles agiſſent toujours enſemble & d’une manière avantageuſe à l’économie animale?

Telles ſont les Obſervations que j’ai cru devoir réunir ici pour eſſayer de répandre du jour ſur le mécaniſme de l’aliment & ſur la nature de chacune des parties qui le conſtituent. Je ne me ſuis pas engagé à ſuivre tous ces effets dans les ſécrétions qu’il doit ſubir, avant de pouvoir former les parties organiques. Cette queſtion importante eſt entièrement du reſſort des Phyſiologiſtes. Je vais donc pourſuivre mon examen, & m’arrêter maintenant aux ſubſtances dans leſquelles la matière alimentaire ſe trouve le plus abondamment répandue dans la Nature, & que l’on connoît ſous le nom générique de farineux.


Article IX.


Des farineux.


On appelle en général les farineux, toute ſubſtance végétale ordinairement blanche, peu ſapide, ſe diviſant aiſément ſous l’effort du pilon ou de la meule, ſe combinant avec l’eau, dont elle partage la tranſparence & la limpidité, étant ſuſceptible de trois degrés de la fermentation, & exhalant ſur les charbons ardens, une odeur qu’on déſigne ſous le nom de pain grillé.