Rapport sur les stations agronomiques d’Ottawa et Guelph/02

Rapport sur diverses Stations Agronomiques.


À L’Honorable Commissaire de

l’Agriculture et de la Colonisation,
Québec.


Monsieur le commissaire,

J’ai l’honneur de vous présenter mon rapport sur les laboratoires agricoles et sur les stations expérimentales que j’ai visités dans le cours du mois dernier.


LABORATOIRE DU MINISTÈRE DE L’INTÉRIEUR À OTTAWA


Ce laboratoire est installé dans le sous-sol d’un des édifices du Parlement fédéral. Il est petit, peu éclairé, et partant peu convenable pour le travail et les recherches délicates que l’on y entreprend ; les appareils sont bons et bien choisis. Le directeur, M. McFarlane se plaint librement de l’espace restreint qu’on lui a concédé et espère des jours meilleurs.

Ce monsieur a fait récemment un long voyage en Europe dans le but de visiter les laboratoires de l’Angleterre, de la France et de l’Allemagne. Il a constaté que les laboratoires allemands sont admirablement montés. Les découvertes nombreuses et importantes, dans le domaine de la chimie pure et appliquée, faites en Allemagne depuis quelques années ont coïncidé avec la création d’un matériel parfait, tel qu’il n’en existe pas de semblable dans aucun autre pays de l’Europe. Le gouvernement n’épargne rien pour favoriser ce progrès. Il a fondé quarante-cinq stations expérimentales ou laboratoires de contrôle. Les subventions se chiffrent par millions de francs.

Malgré les circonstances défavorables dans lesquelles il s’est trouvé jusqu’aujourd’hui, M. McFarlane a exécuté des travaux qui ont attiré l’attention. La plupart de ces travaux ont été le sujet de notes élaborées dont l’auteur m’a donné des copies et qui font partie des « mémoires de l’Académie royale du Canada » pour 1887. Il a modifié le procédé ordinaire pour l’extraction des matières grasses et particulièrement pour le dosage du beurre dans le lait. Il emploie, comme absorbant l’asbeste calcinée au lieu du papier buvard ou de la laine de verre et prolonge le traitement pendant plusieurs heures. Le dosage est fait par différence.

Le lait, le beurre, le fromage, le café, l’eau de nos rivières, les engrais chimiques, ont été l’objet des études de M. McFarlane et de ses assistants.


Le rapport de la commission agricole nommée le 7 novembre dernier et dont j’ai fait partie, renferme une description détaillée du « Collège agricole de Gueph, » de son laboratoire et de ses jardins d’expériences, je n’ai rien à ajouter au sujet de cet établissement.


COLLÈGE AGRICOLE DE L’ÉTAT DE MICHIGAN


Le plus ancien collège agricole des États Unis est situé à trois milles de Lansing, ville capitale de l’État du Michigan. Au moment de sa fondation, en 1857, ce collège reçut, en argent et en terres, une subvention de $450,000. Les terres qu’il possède encore aujourd’hui sont estimées à $620,000. Les édifices, au nombre de dix, ont coûté $400,000. Les salaires des professeurs et des directeurs s’élèvent annuellement à plus de $29,000. Le département de la ferme absorbe, chaque année la somme de $6,400, pour les frais d’expériences. Les élèves parmi lesquels cinq Japonais, de Tokio, sont au nombre de 290. Je n’ai pas visité avec le même soin tous les départements de cette institution ; mon attention s’est concentrée sur les jardins d’expériences et sur le laboratoire.

Le laboratoire est un édifice vaste et imposant. Outre le cabinets de recherches du directeur et de ses assistants, il renferme une salle d’à peu près 60x40 pieds occupée par les étudiants. Il est particulièrement riche en appareils et en instruments dispendieux. J’ai pu compter quinze balances à précision, parmi lesquelles une, de facture allemande, a coûté $300. Les ustensiles de platine ont une valeur de $500. Enfin le matériel complet est estimé à $2,000.00.

Le Prof. Kedzie, directeur du laboratoire fait l’analyse des sols et de toutes les substances employées dans l’industrie agricole. Il détermine la valeur réelle des engrais chimique du commerce suivant la quantité d’azote, d’acide phosphorique et de potasse qu’ils contiennent. Avec cette pratique, qui est celle de tous les laboratoires subventionnés des États-Unis, le cultivateur n’est jamais fraudé : il sait ce qu’il met en terre.

Il y a dans le Michigan d’immenses plaines de sable couvrant des centaines de milles acres ; on les appelle « The Jack pines Plains. » Elles sont stériles ; à peine quelques pins rabougris y peuvent prendre racine. M. Kedzie s’est demandé si la chimie ne pourrait pas lui révéler le secret de rendre ces plaines productives. Après plusieurs analyses du sol et des essais comparatifs de laboratoire et de plein champ, il est arrivé à la conclusion que le plâtre et la marne argileuse, fournis en quantité convenable, devaient changer quelque peu la nature de ces déserts. L’expérience a été faite avec calcul : 200 lbs. de plâtre et 6 tonnes de marne ont permis de récolter plusieurs plantes bien venues. M. Kedzie est satisfait du résultat et il a raison de l’être. Il a rendu un grand service aux fermiers du Michigan.

Cet exemple aura des imitateurs. Qui sait si les sables mouvants de Lanoraie, de Sorel, de Tadoussac, ne seront pas fixés un jour et forcés de produire quelque récolte.

Le « jardin d’expériences » a une étendue de dix acres. Il est remarquable par le nombre d’arbres fruitiers, de vignes, de fraisiers, de framboisiers qu’on y cultive et sur lesquels on fait des expériences. Les pêchers ont été essayés mais ils n’ont pas donné de résultats satisfaisants. Le vignoble renferme 150 variétés de raisins.

L’ensilage et l’engraissement du bétail sont l’objet d’études et d’expériences suivies depuis plusieurs mois. — Un bulletin donnera bientôt les résultats obtenus.

Les serres dont les frais de construction se sont élevés à $9,000.00, renferment une quantité considérable de plantes d’ornement et de plantes potagères. Les graines soigneusement recueillies et mises en vente couvrent une parties des dépenses courantes.


STATION EXPÉRIMENTALE DE GENEVA, N. Y.


Cette station est à deux milles de la petite ville de Geneva. Elle forme le complément du Collège agricole de l’État de New York situé à Ithaca. Le travail que l’on y opère est purement expérimental. Son budget est voté annuellement par la Législature de l’État. Les dépenses se sont élevées l’an dernier à $22,000. Le personnel se compose du directeur, du chimiste, du botaniste, de l’intendant de la ferme et de deux assistants. Les salaires varient de 1,000 à $2,500.

Les divers départements — laboratoire, musée, cabinets du directeur et du botaniste — sont installés dans une seule maison. Le laboratoire occupe une pièce d’à peu près 30 x 20 pieds. Il est modestement mais convenablement pourvu de tous les appareils nécessaires pour les différentes analyses agricoles. Le matériel complet a coûte $1,800. J’ai particulièrement remarqué un appareil de construction récente, appelé viscomètre destiné à déterminer rapidement la pureté et la richesse du lait. Il est fondé sur ce fait que la viscosité d’un liquide augmente avec la quantité de matière grasse qu’il renferme à l’état d’émulsion. Cet appareil d’un maniement facile, peut rendre des services aux cultivateurs et surtout aux directeurs des beurreries et des fromageries. Les lysimètres ont servi de modèles pour la construction de ceux de Guelph. Ils sont installés à quelques pas du laboratoire. Les expériences de culture se pratiquent sur toute l’étendue de la ferme — 125 âcres. Cinquante variétés de blé, une douzaine de variétés d’orge et d’avoine et plusieurs autres plantes sont l’objet de ces expériences.

Le lait et le beurre sont étudiés, d’une manière toute spéciale, dans une construction, où l’on peut maintenir à volonté des températures variant entre 32 et 100 degrés Fahrenheit. Un moteur à pétrole met en fonction une écrémeuse à force centrifuge de Laval.

On y fait aussi des expériences sur les volailles. La station de Geneva est sur un pied excellent. Le rapports volumineux qu’elle publie chaque année indiquent un travail considérable dans les divers départements.


COLLÈGE AGRICOLE DE L’UNIVERSITÉ CORNELL


La fondation de l’Université Cornell est due aux largesses de Ezra Cornell ; celle du Collège agricole, liée à cette puissante Université, est l’œuvre du Congrès des États-Unis. La vente des terres publiques, données dans ce but par le Congrès, a rapporté au Collège la somme de $450,000. Les intérêts provenant de ce montant, plus une subvention annuelle de $15,000 sont les recettes de cette institution. Le nombre des étudiants varie entre 40 et 50.

Le laboratoire de l’Université est en même temps le laboratoire du Collège. C’est un des plus grands de l’Amérique : deux cents étudiants peuvent y travailler simultanément. La partie réservée aux analyses et aux recherches concernant l’agriculture comprend le laboratoire du directeur : le Prof. Caldwell, et celui de son assistant. Ces deux pièces ont chacune à peu près 25 x 20 pieds. Les travaux pour le public ne sont pas tous faits gratuitement. Les analyses des engrais chimiques sont à la charge des fabricants. D’autres analyses d’un intérêt personnel sont largement rétribuées. Mais tout ce qui tend à instruire la classe agricole ou à la diriger dans l’exploitation du sol, est fait gratuitement et avec empressement.

La plus grande partie d’une ferme de cent âcres est consacrée aux expériences de culture et à l’application des leçons des professeurs. Plusieurs animaux domestiques sont gardés dans le même but. Les études expérimentales de l’été dernier ont été dirigées vers l’engraissement du bétail. Le bulletin du mois d’août renferme, avec une grande profusion de chiffres et de planches coloriées, les résultats obtenus dans l’engraissement de six moutons dont trois avaient reçu une nourriture azotée et les autres une nourriture sucrée (riche en Carbhydrates).

La laiterie, construite depuis quelques mois, mérite une mention particulière. Le toit, le plancher, les murs sont doubles, et forment comme deux enveloppes superposées, séparées l’une de l’autre par un espace de huit à dix pouces. L’air circulant librement dans cet espace protège le lait et tout le contenu de la laiterie contre la chaleur extérieure, et produit, en même temps, une ventilation parfaite.

Cette construction est l’exécution d’un plan mis à l’étude depuis longtemps.

Je ne crois pas utile de donner de plus longs détails sur l’établissement et le fonctionnement des stations expérimentales des États-Unis. J’ajouterai seulement que chaque État possède un Collège d’agriculture et une station complète. En vertu du bill Hatch, de 1886, chaque station, qui pouvait alors compter sur une subvention annuelle variant entre $10,000 et $20,000, reçoit en outre une allocation annuelle de $15,000. Ce qui porte à plus de quinze millions les donations du Congrès en faveur de l’agriculture.


Je n’insisterai pas, Monsieur le commissaire, sur la nécessité qui s’impose au gouvernement de Québec de faire plus ou de faire mieux que ce qui a été fait jusqu’aujourd’hui dans le but d’aider la classe agricole.

La connaissance de ce qui se pratique chez nos voisins du Haut-Canada et des États-Unis ne dois pas laisser indifférent celui qui est chargé de promouvoir les intérêts des cultivateurs. L’agriculture est la profession de l’immense majorité des habitants de notre province ; elle peut donc, sans qu’on puisse l’accuser d’ambition, solliciter les faveurs du gouvernement.

Dans le cas où l’hon. commissaire de l’agriculture estimerait trop élevée la dépense annuelle de quatre à cinq mille piastres requise pour l’établissement d’une station expérimentale complète, il pourrait à la rigueur se contenter, pour le moment de la création d’un simple laboratoire agricole.

Des institutions de cette nature existent en Allemagne, on les appelle laboratoires de Contrôle. Ils s’occupent de l’essai des graines de semences et des analyses agricoles. Le programme des travaux dans ce laboratoire pourrait être réglé par le commissaire lui même ou laissé à la discrétion du directeur qui agirait de concert avec les cultivateurs de la province.

Les dépenses qu’entrainerait ce laboratoire ne seraient pas considérables. Le salaire du chimiste et les frais d’analyse ne devraient pas exiger une subvention beaucoup supérieure à $1,800 par année.

Veuillez, Monsieur le commissaire, agréer l’hommage de mes sentiments dévoués.

C. P. CHOQUETTE.

St. Hyacinthe, 15 décembre 1888.