Répertoire national/Vol 1/Adresse aux Jeunes Acteurs

Collectif
Texte établi par J. Huston, Imprimerie de Lovell et Gibson (Volume 1p. 67-69).

1805.

ADRESSE AUX JEUNES ACTEURS.

Vous qui, novices encor dans les jeux de Thalie,
Voulez avec succès jouer la comédie,
Agréez qu’en ces vers ma muse sans façon,
Vous donne sur cet art une utile leçon.
Peu fait pour m’élever au ton de Melpomène,
De Thalie autrefois je montai sur la scène ;
Ces muses quoique sœurs diffèrent dans leur goût,
Mais leur art est le même et peut servir à tout.

L’art de représenter n’est point un jeu folâtre,
Il faut du jugement pour briller au théâtre ;
Et tel, qui quelquefois se croit un bon acteur,
Ne fait qu’à ses dépens rire le spectateur.
Acteurs, pour réussir voici la règle sûre :
Observez, imitez, copiez la nature ;
Examinez surtout quelles impressions
Produisent sur les traits toutes les passions ;
Afin, selon le cas, qu’en votre personnage,
Vous puissiez sur cela mouler votre visage ;
Qu’il sache en temps et lieux exprimer la douleur,
Le plaisir ou la peine, ou la crainte ou la peur.
De chaque émotion saisissez bien le geste,
Que d’accord avec lui, votre air se manifeste ;
Sachez peindre en un mot l’exacte vérité.
Que dès votre début en entrant sur la scène,
On puisse deviner quel motif vous amène,
Et, même en la coulisse, en vous composant bien,
Avant que de paraître ayez l’air qui convient.
Je ris d’un froid acteur qui sans intelligence,
Apporte sur la scène un air d’indifférence,
Et qui par ineptie ou par distraction,
Semble être étranger à toute l’action ;
Ou qui sortant à tort de l’esprit de son rôle,
Abandonne son jeu avec que la parole.
Acteurs, pour conserver toujours l’illusion,
À ce précepte-ci faites attention :
Tout le temps qu’un acteur est présent sur la scène,
Il doit être attentif et toujours en haleine ;
Toujours à l’action il faut qu’il prenne part,
Et la marque du geste ainsi que du regard.

Des plus près spectateurs oubliez la distance,
Et n’ayez avec eux aucune intelligence ;
Si l’on vous applaudit n’en faites pas semblant,
Et gardez-vous surtout d’aucun remerciement ;
L’acteur qu’on applaudit ne doit jamais en faire.
Que vos yeux soient fixés vers le fond du parterre
Lorsque seul sur la scène on vous voit déclamer,
Attachez-vous, aussi, à vous bien exprimer ;
C’est peu pour un acteur de bien savoir ses rôles,
S’il ne sait faire aussi entendre ses paroles.

Fuyez en prononçant toute affectation,
Et parlez comme on parle en conversation.
Je sais que plus touchant, le ton de Melpomène,
Veut qu’avec dignité l’on parle sur la scène ;
Toujours triste, éperdue, la tragédie en pleurs,
Se plaît dans les alarmes et vit de ses douleurs ;
Mais sa joyeuse sœur, de sarcasmes nourrie,
Veut que tout simplement on converse et l’on rie.
Imitant la nature en sa simplicité,
Jusque dans le costume aimez la vérité,
On peut s’en écarter sans craindre la critique,
Dans les rôles outrés du burlesque comique,
Où la charge souvent soutient l’illusion ;
Il faut partout ailleurs de la précision.
Quelque talent qu’il ait, l’acteur ne saurait plaire,
Quand un costume faux dément son caractère,
Et le rôle en un mot perd souvent tout son sel,
Quand l’habit et l’acteur n’ont point l’air naturel.
Le langage affecté ne peut plaire à personne ;
Mais rien n’est plus choquant qu’un acteur qui gasconne,
Et qui, croyant briller, fait ridiculement
Sonner chaque syllabe avec un ton pédant ;
C’est d’un acteur sans goût le défaut ordinaire.
Ne donnez pas pourtant dans un excès contraire,
Et gardez-vous encor, pour avoir plus tôt fait,
De réciter un rôle ainsi qu’un chapelet ;
Les sifflets furent faits pour l’acteur monotone.
Acteurs, si les conseils qu’en ces vers je vous donne,
Reçus en bonne part sont goûtés de chacun,
Souffrez qu’en finissant j’en ajoute encore un :
Pure et chaste en ses goûts, de l’aimable Thalie,
Gardez-vous de jamais blesser la modestie,
C’est en vain dans leurs jeux que d’indiscrets acteurs
Se flattent d’amuser en corrompant les mœurs ;
Si d’un trop libre auteur vous choisissez l’ouvrage,
Des endroits mal sonnants il faut rayer la page ;
Mais pour mieux faire encor, et si vous m’en croyez,
Faites choix des auteurs décens et châtiés ;
À vos amusemens pourrait-on contredire,
Si sur le choix des pièces il n’est rien à redire ?
Non. Pourtant si quelqu’un vient blâmer ma leçon,
Il n’a rien à payer du moins pour la façon.

Joseph Quesnel.