Réceptions académiques - Réception de M. Alfred Capus

Réceptions académiques - Réception de M. Alfred Capus
Revue des Deux Mondes6e période, tome 40 (p. 449-456).
RÉCEPTIONS ACADÉMIQUES

RÉCEPTION DE M. ALFRED CAPUS

La salle était comble. Au fond de la cuve circulaire qui en forme le centre, le maréchal Joffre était assis ; il était entré au milieu des acclamations ; les cinq étoiles faisaient une constellation sur la manche du dolman ; il avait une main gantée de daim brun. Il était un peu penché, l’air attentif, son regard profond et clair fixé sur l’orateur. Son front de marbre tournait sous ses cheveux qui sont de la couleur du vermeil dédoré. La dure lumière qui tombe de la voûte dessinait ses sourcils touffus, son profil bien établi, et les plans solides de son visage.

De ce fond et de ce centre, le public refluait, couvrant les gradins de velours vert, jusqu’au haut des arcs. Les tribunes regorgeaient. Jusque dans le secteur de cercle réservé aux membres de l’Institut, la foule tassée déferlait jusqu’au bureau élevé où M. Donnay était assis entre M. de Régnier et M. Lamy. Plus loin, à gauche, sous la statue de Bossuet, M. Capus avait pris place, entre M. Bourget et M. Hanotaux. Devant lui, en contre-bas, le président de la République était venu siéger parmi ses collègues : une jaquette noire, une cravate sombre, un air pensif. Auprès de lui, M. Barrès. Près de M. Barrès, M. Bazin. Près de M. Bazin, M. Boutroux, merveilleusement sculpté par la pensée, hérissé, avec des yeux de mage. Sur un banc plus élevé, M. Bergson, la figure étonnée et attentive, la voûte ronde du crâne élevée au-dessus des sourcils en arc de cercle, le nez long, avec petits traits de moustache peints au-dessous. Un jeune officier en bleu horizon, M. Marcel Prévost, semble suivre encore un amphi de l’École. Tout en haut, M. Whitney Warren est reconnaissable à ses traits réguliers, à son teint coloré, à ses cheveux rejetés. De l’autre côté du bureau, au rang d’en bas, M. Widor suit les discours sur sa partition, et rit de plaisir. Ses voisins font comme lui, et la foule des cinq académies s’élève jusqu’à un praticable, au-dessus duquel apparaissent encore des spectateurs, découpés sur un arc vide, comme dans les tableaux de Véronése. On aperçoit là-haut M. Messager.

M. Donnay reçoit M. Capus, qui siégera au fauteuil de Henri Poincaré En d’autres temps, cette réunion eût amusé l’esprit. Mais le 28 juin de l’an III de la guerre, elle a pris un sens. Dans cet étroit espace sont réunis quelques-uns des hommes qui rendent témoignage pour la France. Sous cette coupole comme au tribunal de l’histoire, ils forment une assemblée éloquente. Avec le vainqueur de la Marne est entrée la gloire des armes, fidèle à une race guerrière. Ces penseurs ont construit à l’esprit humain de nouveaux édifices. Ces romanciers sont lus du monde entier. Si divers, ces hommes sont parens. Ce soldat écoute ces écrivains au style ailé, et on se rappelle que les soldats des Gaules, qui étaient déjà une élite, formaient une troupe sous le vocable d’un oiseau qui chante, et qu’ils étaient la Légion de l’Alouette. Le public a de tout cela un sentiment vif et fort. Il écoute avec plus de plaisir, et il ressent les louanges comme son bien.


M. Capus se lève. Il y a un verre près de lui sur un petit lutrin noir. Le soleil illumine le papier qu’il tient, s’y reflète, éclaire le bas de son visage et fait briller son lorgnon. Il a un sourcil plus bas que l’autre, et recourbé en arc. Il parle très distinctement, d’une voix un peu lente, timbrée, grave, qui ouvre les voyelles. Il commence d’un bon ton de sermonnaire ; puis, quand il revient aux malices, il reprend sa voix à la Capus. Il parle très bien de Henri Poincaré.

Une séance de réception à l’Académie Française met en scène trois personnages : un mort et deux vivans. La séance du 28 juin a eu ce caractère que le mort était un illustre géomètre, à qui succédait un ancien élève de l’École des Mines, lequel était reçu par un ancien élève de l’École centrale. M. Capus et M. Donnay se sont étonnés, après H. Poincaré, et en termes excellens, que les hautes mathématiques ne fissent pas partie de l’éducation. Elles apprennent à mesurer les phénomènes continus. Or c’est par une variation continue et un progrès insensible que l’air s’échauffe et s’élève, que le vent s’accroît, que les rivières enflent leur cours et précipitent leur débit. On apprend aux enfans à raisonner sur des nombres entre lesquels il y a des abîmes... Mais ne peut-on rendre l’accès des mathématiques plus aisé ? M. Donnay, dans son discours, a tracé tout le plan d’un jardin des racines carrées, où les enfans se promèneraient avec agrément, et il a supplié M. Capus d’en être le Lancelot. Il a rappelé le mot du Père Gratry : « L’exposition des sciences en langue vulgaire est l’un des plus pressans devoirs intellectuels des grands esprits. » Henri Poincaré (M. Donnay s’en souvient-il ?) a précisément réalisé cette exposition dans un petit livre admirable où il a réussie exposer la théorie de Maxwell, en la dépouillant de toute formule.

M. Capus et M. Donnay se sont élevés contre la distinction des esprits en scientifiques et en littéraires. Et il est vrai qu’on ne voit pas bien sur quoi elle est fondée. Pour une bonne moitié, nos grands écrivains n’ont jamais fait métier d’être des littérateurs, et les savans, depuis Descartes et Pascal, ont parmi eux une belle place. C’est que les sciences sont l’école du langage. Un écrivain formé par elles aurait de l’exactitude, de la netteté et de la force. Il aurait peut-être des moyens d’expression nouveaux. Quand Charles Péguy s’est mis à écrire en répétant la même phrase, où il introduisait des changemens insensibles, û faisait du calcul différentiel. La géométrie forme l’imagination. M. Capus a cité la curieuse rêverie de à Poincaré se représentant des êtres sans épaisseur, collés à une sphère dont ils ne pourraient quitter la surface, de sorte que pour eux la plus courte distance d’un point à un autre serait un arc de grand cercle. Mais il y a plus encore. On a découvert que la présence de certains corps était indispensable à des réactions où d’ailleurs ils n’intervenaient point. Quelle lumière sur l’esprit ! On a découvert aussi que quand deux corps étaient en présence, il se produisait entre eux non pas une réaction, mais toutes les réactions possibles, à des degrés divers. S’il en est de même entre les âmes, quelle explication simple de ces mélanges d’antipathie et d’amour, et qui font le désespoir des psychologues ! Ce sont simplement les réactions contradictoires, qui se sont produites à la fois. Jeunes romanciers, étudiez la chimie : vous y trouverez des sujets de contes.

M. Capus a fait un charmant tableau du succès qui accueillit la Science et l’Hypothèse, et de la déformation de l’œuvre par ce succès même. C’est une curiosité de notre temps que l’engouement des gens du monde pour un livre difficile, subtil et profond, et cet unique exemple d’intégrales qui atteignent un gros tirage. L’auteur vous promène avec aisance dans des mondes vertigineux : une sphère assez vaste où la température décroîtrait du centre à la périphérie, laquelle serait au zéro absolu, et où les êtres se mettraient en équihbre immédiat de température avec le milieu, de sorte qu’ils décroîtraient eux-mêmes régulièrement en se transportant du centre chaud vers la limite froide ; faisant dès lors des pas de plus en plus petits, ils tendraient vers cette limite sans pouvoir l’atteindre, et leur univers, si rigoureusement restreint, leur paraîtrait pourtant infini. Il montre que si des êtres de cette sorte, pareils à nous, mais élevés dans un milieu différent, construisaient une géométrie, elle serait éloignée des principes de la nôtre. L’étude des mouvemens d’un solide invariable n’aurait pas de sens pour eux, qui ne connaîtraient pas de solides pareils. Et il conclut qu’il y a une foule de géométries possibles et légitimes ; et que c’est l’expérience qui nous fait choisir la plus commode pour nous.

Sans doute, en lisant, on s’aperçoit que ces critiques ne touchent point à l’objet immédiat des sciences, c’est-à-dire aux rapports des choses entre elles ; c’est la nature des choses qui nous échappe, mais leurs relations nous restent connues. Poincaré croit à la réalité objective des lois, et il l’a souvent répété. Ainsi, tout l’édifice du travail accumulé reste debout : ce ne sont que les théories qui se trouvent par terre. Les catégories même où nous rangions les phénomènes s’écroulent, les fortes colonnes du temps et de l’espace se rompent, et la face du monde disparaît dans cette poussière. Le public ne vit que cette ruine et en fut enchanté. Comment les gens du monde, vers 1900, furent-ils pris d’un tel enthousiasme ? « Le trouble dans les esprits leur procurait une âpre distraction, dit M. Capus, et quelque chose d’assez analogue à de la volupté. Ils se sentirent frappés d’une sorte de grâce à l’envers quand, à la lecture du livre de Poincaré, ils crurent entendre que la science ne reposait que sur des conventions et sur des hypothèses ; qu’elle avait sa source dans l’avidité de l’esprit humain et non dans la nature... La terre ne tourne plus autour du soleil, c’est charmant ! s’écrièrent les femmes du monde qui aimaient l’astronomie. D’autres, moins savantes, se rangèrent à cette opinion avec plus de légèreté. Les messieurs avaient des sourires complaisans. Quel triomphe d’établir sur une théorie scientifique l’incertitude de nos jugemens et l’insouciance du lendemain ! Quelle justification de la vie hasardeuse et de plaisir si les lois mêmes de la science ne sont plus que du provisoire et de l’a peu près ! »

On a applaudi ce joli morceau, où paraissait l’historien des Mœurs du temps. Mais bientôt M. Capus a retrouvé, devant ces déductions troublantes, son optimisme accoutumé. « Tout s’arrange, a-t-il dit à peu près. La nature agit vis-à-vis de nous, et malgré nos soupçons à son égard, avec délicatesse et bonne foi. Elle ne nous a jamais promis formellement que le soleil se lèverait tous les matins sans exception, et cet astre, pourtant, n’y a jamais manqué, sans se préoccuper d’obéir à Copernic plutôt qu’à Ptolémée. » Ainsi l’auteur de la Veine appliquait à la philosophie de Poincaré son optimisme et cet esprit de confiance qui est une forme de la conservation de l’énergie.


Quand M. Capus eut fini de parler, M. Donnay chaussa de vastes lunettes, et se tournant sans se lever vers le récipiendaire, il commença à lire, à dire, à nuancer un discours aimable, subtil et fort. Et c’était un grand sujet de curiosité que d’entendre Donnay parler de Capus. Avec de grandes différences entre eux, ils sont associés dans l’esprit du public, et ils le seront dans l’histoire des lettres : car ils représentent l’un et l’autre un même moment de l’histoire du théâtre, et, pour les entendre, il faut se rappeler dans quel temps ils ont paru.

L’histoire du théâtre ne va point, comme le temps, d’un mouvement uniforme. Elle passe à des points morts, s’y arrête, et rebondit d’un élan. L’historien qui la divise en périodes ne fait que la peindre telle qu’elle est. Or, vers 1890, elle passait par un de ces temps morts. Au théâtre bourgeois de doctrine et agencé de composition, tel qu’on l’aimait vers 1850, avait succédé, vers 1880, un théâtre nouveau qui était l’application du réalisme. Ce théâtre nouveau a commencé, si l’on veut, quand Becque fit jouer à la Comédie-Française Les Corbeaux, le 14 septembre 1882. Au début de 1887, Antoine fonda le Théâtre-Libre, d’où les auteurs réalistes gagnèrent les autres théâtres, y apportant, avec des tempéramens divers, deux traits constans : la satire sociale et le réalisme sentimental. Leur succès resta contesté. A quelques exceptions près, la nouvelle école ne fit guère d’argent. Et l’ancienne, qu’elle avait tuée, n’en fit plus. Les théâtres se trouvèrent, vers 1891-1892, dans la situation la plus fâcheuse. Les caisses étaient vides. Faute de spectateurs, le Gymnase fut obligé, deux fois en pleine saison, de faire relâche. A la fin de la saison 1892, les directeurs éperdus essayèrent de se grouper en syndicat et n’y réussirent pas. Le Théâtre-Libre fut lui-même entraîné dans la débâcle. Quelques jours avant la représentation du Missionnaire de Marcel Luguet (25 avril 1894), Antoine passa la main à Larochelle.

Telles étaient les conditions du théâtre quand, le 23 novembre 1894, M. Capus fait jouer au Vaudeville sa première pièce, Brignol et sa fille ; le 6 novembre 1895, la Renaissance joue Amans de M. Donnay. Les deux auteurs sont très différens et les deux pièces n’ont aucun rapport. M. Capus a représenté la première de ces fripouilles cordiales, presque sympathiques, qu’il excellera à peindre ; M Donnay a chanté la mélancolie des amours mal satisfaites. Mais il y a parmi toutes ces différences les traits communs d’un art nouveau. C’est d’abord l’absence totale de l’intrigue. L’aventure la plus simple suffit. Pas d’événemens extraordinaires. On se quitte : voilà Amans. On se quitte et on se reprend : voilà la Veine. Cette simplicité était assurément une conquête du réalisme ; car on hérite de ceux qu’on remplace. Le sens de la vérité venait aussi du Théâtre-Libre. Seulement, la vérité n’était plus la même. Elle était plus indulgente, plus intelligente et plus parée. On voyait des portraits divertissans, des personnages pittoresques, en général au premier plan chez M. Capus, au second chez M. Donnay. La même nonchalance succédait aux violences noires des réalistes et aux convictions des réformateurs. Peu de passions, plus de mélancolie que de douleur, mais un mélange de sentiment, d’esprit, de tristesse et de blague, un mélange unique, subtil, auquel il a fallu donner un nom, comme à un parfum : la parisine.

Ce théâtre aimable n’a guère duré plus de cinq ou six ans, jus- qu’aux environs de 1900. Il a enchanté le public, et il est vrai qu’il était exquis. M. Donnay a tracé, en recevant M. Capus, un tableau enchanteur des rêveries auxquelles se laissaient glisser les spectateurs de la Veine. « Et les spectateurs s’en allaient contens, croyant au hasard, au bon hasard naturellement, car vous ne leur en montriez que les effets heureux. Ils ne faisaient pas de projets, mais ils faisaient des rêves. Pour eux, vous étiez la reine Mab. La petite fleuriste rêvait qu’un bon garçon très riche entrait dans le magasin où elle était employée et mettait à son doigt une pierre magnifique et à ses pieds un petit hôtel ; l’ambitieux rêvait qu’une grosse situation lui tombait sur la tête, c’est-à-dire du ciel. Chacun prêtait l’oreille pour entendre sonner à l’horloge qu’on ne voit pas son heure de veine, un moment où les autres hommes semblent travailler pour lui, où les fruits viennent se mettre à portée de sa main pour qu’il les cueille. »

Heureuse maxime, qui a pénétré les foules, et qui a fait considérer M. Capus comme « le père prodigue d’une doctrine nonchalante et optimiste. » M. Donnay a révisé cette légende ; mais déjà M. Capus, dans les Deux Hommes, avait pris soin de donner des hasards heureux de la veine une explication moins sommaire. « Enfin, voyez-vous, ma chère amie, dit Marcel Delonze, il y a deux grandes catégories d’hommes civilisés : ceux qui s’adaptent exactement à leur époque, et ne lui demandent que ce qu’elle peut donner, et c’est parmi ceux-là que la vie choisit ses vainqueurs, car ce qu’on appelle la chance, c’est la faculté de s’adapter instantanément à l’imprévu. Et puis il y a ceux qui ne s’adaptent pas, qu’ils soient nés trop tard ou trop tôt, qu’ils aient encore les idées d’hier ou qu’ils aient déjà celles de demain. Et ceux-là, ce sont les vaincus. Je ne vous dis pas qu’ils le méritent ; je ne vous dis pas que cela soit très juste, mais cela s’accomplit avec la tranquille fatalité des lois de la nature. » Ainsi, la chance, ce n’est que l’adaptation. Et voilà comment on retrouve chez un auteur parisien les idées dont il avait nourri sa jeunesse par les soins d’un oncle, ami de Liltré ; voilà comment on retrouve, par le détour le plus inattendu, sur une scène du boulevard, ce même Darwin, sur qui M. Capus avait fait, en 1885, son premier article. Et si la chance est la survivance du plus apte, voici que son règne devient beaucoup moins consolant. « Eh bien ! moi, ajoute Marcel Delonze, je ne m’adapte pas, c’est bien simple, et je fais un acte de sagesse en disparaissant d’une mêlée où je ne peux que recevoir des coups de tout le monde. » Quel cri douloureux ! M. Capus, par pure bonté d’âme, fera bien épouser, à ce Marcel, Thérèse Champlin qu’il aime ; mais changera-t-il son destin de vaincu ?

Le moment Donnay-Capus a été fort court. Dès 1900, de jeunes dramaturges apparaissaient, un Bernstein, un Bataille, et restauraient la tragédie moderne. Hervieu construisait de fortes machines. On raconte qu’en 1905, à la représentation du Réveil, un spectateur s’écria : « Nous sommes décapusinés. » Mais, en réalité, la loi de réaction avait ramené M. Donnay et M. Capus les premiers à un théâtre plus pathétique et plus dramatique. On voit M. Donnay tourner aux pièces sérieuses par un ouvrage de transition, Georgette Lemeunier, joué au Vaudeville le 15 décembre 1898. Le Torrent, donné à la Comédie-Française le 5 mai 1899, est déjà de la nouvelle manière. M. Capus a évolué un peu plus tard. Mais relisez l’Oiseau blessé, qui est de 1908. Salvière s’éprend d’une fille malheureuse qu’il protège, Yvonne. Sa femme s’en aperçoit, en devient jalouse, puis pense à se sacrifier. Salvière en est touché et revient à sa femme, tandis qu’Yvonne s’en va. Nous voilà assez loin de Brignol.

Ainsi l’un comme l’autre, M. Capus et M. Donnay ont à peu près renoncé à cet art léger et délicieux qui fut le leur pendant quelques années. Ils n’en ont pas perdu les qualités charmantes, mais de nouveaux soucis ont changé leur parole. On l’a bien vu depuis la guerre. Et en cela encore, ils ont été des images de ce génie français qui a l’air si frivole et dont on reconnaît soudain, avec surprise, que la frivolité est si sérieuse. M. Capus revenant à son état de journaliste a mis, depuis trois ans, chaque matin (le mot est de M. Donnay), « au service du patriotisme son bon sens devenu plus large et plus profond. » M. Donnay a composé ces tableaux délicieux, tendres, pittoresques, l’Impromptu du Paquetage, le Théâtre aux armées, les Lettres à une dame blanche. Il s’attendrit, ce qui fait qu’il raille un peu. Il voit le double caractère des choses, le sublime et le familier ; et il aime cette race de France d’être si familière et si simple dans le sublime. Il a touché là au point vrai. Tous ceux qui ont vu mourir nos soldats ont été étonnés de cette simplicité qu’ils avaient dans le moment suprême, tandis que, dans la tranchée d’en face, les Allemands sortaient en criant de l’univers germanique.

A la fin de son discours, M. Donnay a évoqué ces jours anxieux de 1914. où il était allé trouver M. Capus au Figaro pour avoir des nouvelles. « Là haut dans la Belgique violée, nos armées luttaient contre des bataillons innombrables et formidablement préparés. Nous nous taisions, le cœur serré. Vraiment, nous étions comme deux fils pendant qu’on opère leur mère. Elle est là-haut, dans la salle d’opérations... C’étaient des heures tragiques, la France pouvait succomber, et elle n’a pas succombé, pourtant ! Depuis, nous avons traversé bien des heures douloureuses, de glorieuses aussi, de désespérées jamais ! Notre mère ne mourra pas, monsieur, elle ne peut pas mourir. » On a acclamé ces paroles de foi. Elles répondaient à un sentiment profond, unanime, le même qu’on trouverait dans toute âme qu’on interrogerait, une confiance invincible qui est déjà la victoire. Retenons donc ces paroles pour l’histoire. Il faudra les redire quand on voudra connaître le sentiment commun après trois ans de guerre. Cette fois encore, M. Donnay a exprimé dans son langage exact, sensible et nuancé, ce que pensent tous les Français.


HENRY BIDOU.