Promenades japonaises—Tokio-Nikko/Chapitre 27

G. Charpentier (Vol. IIp. 171-174).


XXVII

MISSIONS BOUDDHIQUES


’arrivée, au VIe siècle, des premiers prêtres bouddhiques venus de Chine dévoila aux Japonais des horizons sur l’art qu’ils n’avaient pas entrevus et leur donna des moyens nouveaux de développer leurs qualités naturelles.

Le bouddhisme a été la première religion qui s’adressa à l’humanité toute entière. Sakia-Mouni, à force de réfléchir, étendit sa pensée sur toutes les races de la terre, il sonda tous les infinis dans le passé, le présent et l’avenir. Préoccupé d’améliorer les hommes, il révéla la solidarité de tous les êtres, rattacha l’homme à la nature et les dieux à l’homme. Il pensa que des récompenses attendraient les bons et que des châtiments seraient réservés pour les méchants. Il voulut que l’homme fût responsable et de ses actes et des conséquences de ses actes, et par là pénétra dans l’éternité. Donc lui, le prince jeune, riche et beau, crut pouvoir dire aux hommes de l’Inde, resserrés dans les castes multipliées :

— Nous sommes égaux et nous avons les mêmes droits et aussi les mêmes devoirs. Suivez la bonne loi et vous arriverez à la perfection, au bonheur, à la cessation des passions qui avilissent l’homme et le font souffrir.

Mais, du moment que sa révélation ne s’adressait pas à un peuple spécial, du moment qu’il donnait un moyen pour sauver les hommes, ses sectaires devaient avoir le désir d’en sauver le plus grand nombre possible. De là à organiser des missions, il n’y avait qu’un pas : il fut vite franchi.

Et les frères prêcheurs partirent dans tous les sens : mais, à l’Ouest, les déserts de l’Arabie, de la Perse, les arrêtèrent. Peut-être, de ce côté, dans cette zone sémitique, demandait-on des religions moins compliquées et des fins moins lointaines. Mais, à l’Orient, les missionnaires bouddhiques trouvèrent des populations très préoccupées de la nature, très disposées à lui trouver un sens, toutes prêtes à accepter une morale douce, une philosophie qu’on pouvait laisser dans les nuages et un culte brillant, majestueux, plein de détails impressionnants.

De proche en proche, le bouddhisme envahit le Thibet, la Birmanie, le Siam, le Cambodge, la Chine… se pliant à tous les climats, à tous les gouvernements, à tous les usages, respectant les croyances locales, les expliquant au besoin, se superposant aux religions des peuples, en ajoutant au fétichisme ce qui lui manquait d’élévation, en complétant la froide sagesse par ce sentiment humain, cet esprit de dévouement que Socrate entrevit, que Jésus proclama.

Lorsque arriva au Japon la première mission bouddhique, elle apporta avec elle des industries inconnues et qui étaient nécessaires à son culte ; il lui fallait les riches étoffes sacerdotales, les vases sacrés en poteries et en bronzes, les idoles dorées, les temples luxueux ; et derrière les prêtres, s’avançaient des sculpteurs, des peintres, des tisseurs, des potiers, des fondeurs, des ciseleurs, des doreurs, toute une invasion d’industriels à tête rasée, d’artistes aux yeux baissés, d’ouvriers en frocs et en chasubles.

Ces gens étaient porteurs d’une double révélation ; ils dévoilaient une foi nouvelle et pour la rendre saisissable, ils enseignaient l’art sous ses manifestations les plus multiples ; les procédés industriels venaient concourir à l’expression de la pensée religieuse cachée sous la forme artistique.

Et tous les êtres immatériels prenaient un corps ; les âmes insaisissables descendaient du ciel sur des nuages d’or ; les niouraï resplendissants souriaient sur l’autel avec des gestes de paix ; dans les angles sombres du sanctuaire, les bousats aux auréoles lumineuses se dressaient sur d’immenses fleurs de lotus ; le long des murs, les dix-huit ratons, les propagateurs de la religion en Chine, étaient représentés, artisans divins, confectionnant de leurs mains sacrées les objets du sacerdoce ; dans les frises sculptées et fouillées, des anges aux ailes d’azur s’élançaient comme des hirondelles, tenant entre leurs mains les instruments harmonieux qu’on n’entend que dans le ciel des bouddhas bienheureux.

À part les tembous terribles, chargés d’effrayer les méchants par leurs gestes multiples et leurs grimaces féroces, les représentations bouddhiques ont ce sentiment indo-européen des peintures primitives du moyen âge.

Les plis des vêtements sont doux et harmonieux, on dirait que le Pérugin a passé par là et qu’un reflet de l’art grec illumine ces œuvres.

Voilà donc l’artiste japonais en présence d’un ordre d’idée tout nouveau ; il en profitera même pour donner une forme à ses légendes vagues, il osera représenter les dieux du shintoïsme, il les abaissera jusqu’à leur donner une figure d’être humain, mais son art en sera élevé.

Le sentiment religieux viendra s’ajouter à ses productions, et la grande peinture, tout en se restreignant dans la formule, viendra lui ouvrir des voies nouvelles.

Et puis les moyens d’action, singulièrement multipliés par les industries pratiquées autour des temples, lui donneront des facilités particulières dont il profitera avec l’intelligence, le goût et la discrétion qui caractérisent toujours sa manière.