Procès verbaux des séances de la Société littéraire et scientifique de Castres/2/7

Séance du 19 février 1858.


Présidence de M. A. COMBES.


M. le Sous-Préfet assiste à la séance.

M. COMBES fait hommage à chacun des membres de la Société d’un exemplaire de la notice qu’il a lue dans une séance précédente, sur M. Magloire Nayral.

La Société d’agriculture, sciences et arts de la Lozère, adresse deux livraisons de ses publications.

M. Cumenge est nommé pour représenter la Société au Congrès des délégués des Sociétés savantes, qui doit se réunir à Paris, du 5 au 15 avril 1858.

La Société fixe le chiffre des cotisations personnelles pour l’année 1858.


M. Armand GUIBAL lit un mémoire sur l’application de la vapeur aux travaux agricoles.

La science a découvert et l’industrie a pu appliquer au XIXme siècle un moteur d’une puissance infinie, dont les effets ont dépassé tout ce que l’imagination avait conçu, et que la raison avait déclaré impossible.

La vapeur a multiplié dans une proportion considérable les forces de l’homme. Elle est devenue docile à sa volonté ; et, transportée dans les plus grands centres comme dans les plus petits villages, sur mer comme sur terre, elle a pris à sa charge les efforts les plus pénibles, les labeurs les plus ingrats, pour augmenter la production, et rendre plus faciles les relations lointaines en distribuant le travail.

Jusqu’à présent, l’agriculture seule avait été en dehors de ce mouvement si actif en lui-même, si fécond dans ses résultats. La terre semble trop souvent le dernier point sur lequel doive se porter l’attention, pour l’application des découvertes nouvelles. Et cependant là est la fécondité, là est le réservoir immense dans lequel l’homme doit puiser à toute heure, pour la satisfaction de ses besoins et les nécessités de son existence.

La vapeur doit apporter dans l’agriculture les réformes les plus radicales, et lui rendre les services les plus importants. C’est ainsi que, sous la main de l’homme, l’œuvre de la création semble s’agrandir tous les jours, et concourir à augmenter le bien-être de la société en mettant à profit toutes les forces de la nature. Car le mot impossible n’est, le plus souvent, que le cri d’une génération fatiguée. Chacune de celles qui nous ont précédés l’a prononcé à son tour pour des faits qui se sont accomplis dans les siècles suivants ; et l’avenir se charge presque toujours, jusqu’au point marqué à la puissance humaine, par la volonté divine, de résoudre les problèmes et de donner satisfaction aux aspirations du passé.

Déjà, en Angleterre, la vapeur a pris possession de l’intérieur de la ferme. Elle y accomplit la majeure partie des travaux ; elle dépique le blé, le réduit en farine et le forme en pain. Elle prépare la nourriture du bétail, hache la paille, coupe les racines, concasse les tourteaux et les graines, broie les engrais et les distribue dans les champs. En Amérique, l’application est aussi générale ; elle descend jusqu’aux plus petits détails de la vie domestique.

En France, nous entrons dans cette vole, mais d’une manière plus lente et plus modeste. Notre propriété moins riche, plus morcelée, ne peut guère rien tenter de considérable par elle-même ; aussi appelle-t-elle à son aide le levier puissant de l’association. Ce que l’individu ne peut pas ou n’ose pas tenter, le corps doit l’entreprendre : mais les difficultés sont nombreuses et la défiance qu’elles apportent toujours avec elles, est une des causes les plus invincibles du retard que l’on signale dans notre pays. Mais si le principe de l’association était bien compris, sagement appliqué, maintenu dans des bornes nettement définies, le résultat, pour être plus lent, ne serait ni moins sûr, ni moins fécond.

On a voulu se servir de la vapeur pour travailler la terre. La charrue telle qu’elle est généralement employée a été attachée au moyen d’un cable s’enroulant sur un cabestan, à une locomobile fixée dans le sol.

La charrue à parfaitement fonctionné. Le sillon, était mieux et plus profondément tracé qu’avec les moteurs ordinaires. Mais la nécessité de l’appareil pour changer la direction du sillon, a fait abandonner ce système. Le premier résultat n’était pourtant pas perdu : une nouvelle préoccupation, une ambition ardente et noble, parce qu’elle peut avoir d’immenses résultats, avait surgi au cœur de l’homme.

Plus tard, deux locomobiles furent mises en œuvre. Chacune occupait une extrémité du champ. Elles attiraient successivement la charrue qui, dans ce mouvement continuel de va et vient, traçait de profonds sillons. Il y avait économie de temps, et le déplacement des locomobiles était plus facile, grâce au système employé. Mais on ne labourait ainsi qu’en ligne droite ; les replis du champ restaient incultes, et l’appareil des deux locomobiles rendait l’opération dispendieuse.

Dans l’espace de temps qui a séparé l’exposition de Londres de celle de Paris, une troisième tentative a été faite. Une seule locomobile a été placée au milieu d’un champ. Une ou plusieurs charrues ont été attachées au moteur, par le moyen de deux cables et de deux cabestans. Au dedans, ou au dehors du champ, on a choisi, dans diverses directions, des points fixée et très-résistants ; et, par des poulies de renvoi, on a transporté successivement l’action de la charrue sur toutes les parties du champ. C’est un progrès, mais il semble avoir atteint son degré extrême ; et ce n’est pas par ce procédé, où par des procédés analogues, qu’il semble possible d’aller plus loin.

Il y a dans la création de toutes choses, une marche qui ne se dément jamais. Quand un fait important se produit, et qu’il est de nature à modifier profondément, d’une manière radicale, les faits du même ordre qui existaient antérieurement, il ne s’adapte pas à la forme ancienne, comme le ferait un simple perfectionnement. C’est tout une révolution qui s’accomplit. Les lois ne sont pas changées, mais les moyens d’action ne sont plus les mêmes, et ils réclament des intermédiaires en rapport avec leurs exigences. À cet élément nouveau, il faut de nouvelles conditions d’existence ; à cette force, auparavant inconnue, il faut des instruments créés pour elle ; et conformes dans leur principe et dans leur action, à la manière dont elle se manifeste.

Avec l’ancienne forme de nos navires, il était vrai de dire que la navigation à vapeur était impossible. La machine fut changée radicalement dans ses parties essentielles, et la vapeur s’établit bientôt dans ce nouveau domaine. Il en sera de même pour l’application de la vapeur aux travaux agricoles.

Deux inventeurs, français, MM. Barral frères, ont fait une tentative hardie. L’appareil engendrant la vapeur et l’appareil destiné à travailler le sol, forment une seule et même machine. Une rangée de pioches soulevées à la fois par l’action de la vapeur, retombent de tout leur poids sur le sol, à la manière des foulons à draps. La locomotive qui engendre la vapeur avance, par suite d’un mouvement communiqué à des roues cannelées en travers sur leurs jantes et qui s’enfoncent dans le sol. Elle entraîne avec elle tout l’appareil.

Le progrès est sensible ; mais le résultat obtenu reste borné ; et, malgré, les encouragements donnés, malgré l’intérêt qui s’attache à des efforts si laborieux et à des tentatives si louables, on est obligé, en étudiant le principe sur lequel repose cette machine, de reconnaître et d’avouer qu’elle ne donne pas, pour le moment, et ne peut pas promettre dans l’avenir, quelque perfectionnement qu’elle reçoive, une solution définitive au grand et important problème du travail de la terre par la vapeur.

Presque toujours, quand un moyen mécanique tient à remplacer l’action directe de l’homme, le mouvement rectiligne alternatif se transforme en mouvement circulaire continu. C’est là le point de départ de toutes les usines, et la condition de tous les moteurs.

Dans la machine de MM. Barral, les pioches agissent sous l’impulsion d’un mouvement alternatif. La moitié du temps se perd à les soulever ; la force est ainsi inutilement employée. MM. Barral ne peuvent espérer un résultat utile de leurs longs et laborieux efforts, qu’en changeant leur point de départ, et en rentrant dans les voies tracées par toutes les précédentes applications de la vapeur.

C’est ce qu’a senti M. Usher d’Édimbourg. Malheureusement, au lieu de s’en tenir au mouvement circulaire, il a voulu donner cette forme à la charrue. L’expérience n’a pas réussi.

Mais l’attention est portée de ce côté. Chaque jour, chaque travailleur ajoutera désormais une pierre à ce grand édifice. La génération présente est-elle appelée à voir ce résultat qui donnerait satisfaction à tant de besoins, et multiplierait dans une si étonnante proportion les forces de l’homme appliquées au travail de la terre ? ou bien doit-elle, comme tant d’autres, se contenter de vaines aspirations, et ne pas aller au-delà des espérances ? Dieu seul le sait.

Pourtant, quand un navire immense, poussé par la vapeur, s’élève majestueusement au-dessus des vagues qu’il semble braver, poursuit sa route et arrive à son but à travers tous les obstacles, ne doit-on pas regretter que cet agent puissant qui lui donne une si vigoureuse impulsion, n’ait pas pris possession de la terre avant de dominer les mers ? Ne doit-on pas désirer que ce qui nourrit l’homme trouve un élément nouveau de fécondité dans un travail plus rapide et plus profond ? Le problème est posé. Il semble, avec les données actuelles de la science, qu’il soit réservé à la volonté patiente et énergique de le résoudre.

M. A. Guibal expose à la Société les tentatives qu’il a faites dans ce sens. La machine dont il est l’inventeur est un rouleau composé de plusieurs disques armés de pioches, dont les dents, sauf quelques modifications indiquées par la pratique, sont tracées suivant la développante du cercle, seule courbure qui leur permette de s’enfoncer dans la terre, sans frottements inutiles, sous la pression du poids d’une roue mise en mouvement.

Il donne ensuite lecture de l’opinion exprimée sur cette machine, en 1853, par M. le comte de Gasparin ; en 1855 dans le procès-verbal de la séance du 15 juin de la Société centrale d’agriculture ; dans le rapport du jury des machines agricoles de l’exposition universelle ; enfin, par M. Léonce de Lavergne, membre de l’institut, dans un article de la Revue des deux mondes, du 1er octobre 1855.

La Société engage M. A. Guibal à poursuivre des travaux qui ont amené déjà de si importants résultats ; elle l’invite à consigner dans des rapports destinés à lui être communiqués, les observations qu’il sera amené à faire, et les progrès qu’il pourra réaliser.


M. V. CANET entretient la Société d’une inscription dont l’existence lui a été signalée par M. A. Terrisse.

Dans une maison de la rue Frascaty, la première marche d’un escalier est formée d’un marbre noir sur lequel sont inscrits des caractères.

Les mots qu’ils forment sont incomplets, parce qu’une partie de l’inscription manque, et que l’autre est cachée sous l’escalier. La longueur actuelle est de 1m 08 ; la largeur de 0m 50 et l’épaisseur de 0m 15. La longueur primitive paraît avoir été de 1m 40. L’inscription se compose de quatre vers latins dont les premiers pieds manquent complètement, et dont plusieurs lettres sont difficiles à reconnaître, ou sont placées de manière à ne pouvoir être suffisamment distinguées.

Il résulte des renseignements recueillis, que cette pierre fut enlevée de la cathédrale ou du palais épiscopal, au moment où, pendant la révolution, les églises furent fermées. On avait le projet de la soustraire à une mutilation que l’on croyait sans doute inévitable, à cause des armoiries qui devaient la surmonter. Elle fut brisée au moment où elle était déposée dans le clocher. Une partie disparut, et l’autre fut recueillie et employée plusieurs années après, à la destination actuelle.

Pendant les guerres religieuses de la fin du XVIme siècle, l’église et le monastère de St-Benoît furent pillés et en partie détruits. L’évêque et le chapitre se retirèrent à Lautrec où ils restèrent jusqu’à l’édit de pacification de 1629. Leur rentrée à Castres est du 10 septembre 1630. À cette époque, commencent les projets de reconstruction de l’église cathédrale. Ces projets retardés ou interrompus dans leur exécution, à cause de la situation difficile du Chapitre, dont les revenus avaient été considérablement réduits par les troubles, furent repris sous Michel de Tubœuf, nommé en 1664 évêque de Castres. L’ancienne église qui allait jusqu’à la rue de la Coutélarié, aujourd’hui Sabatier, dut être définitivement abandonnée pour être remplacée par un bâtiment plus vaste. On commença par le chœur, dont les fondements furent jetés sur une partie de l’ancien cimetière du monastère de St-Benoît, en face de l’évêché nouvellement construit. La nef réservée aux fidèles devait arriver, d’après les plans primitifs, jusqu’à la rue de la Coutélarié.

Le chœur seul a été construit ; le mur qui le termine, du côté opposé au sanctuaire, n’était que provisoire, et les pierres d’attente attestent encore aujourd’hui de plus grands projets. M. de Tubœuf jeta les fondements de ce vaste édifice, après avoir bâti le palais épiscopal sur des terrains qui avaient autrefois appartenu à l’abbaye de St-Benoît. Quel que soit celui des deux monuments auquel appartenait l’inscription, M. V. Canet croit qu’il est possible de la rétablir ainsi :

IMPIVS HANC ÆDEM DVDVM PROSTRAVERAT HOSTIS.

NVNC STVDIO TVBÆE TVO RENOVATA RESVRGIT.

QVÆ PROSTRATA DIV TERRÆQVE ÆQUATA IACEBAT

SUBLIMIS RECREATA TVO CVM STEMMATE FVLGET.

M DC LXX.

Les souvenirs de toute sorte qui nous restent du passé dans notre pays, sont trop rares pour qu’il soit permis de négliger ceux qui ont échappé à une destruction complète. M. V. Canet demande que la Société prenne des mesures pour enlever la pierre et la placer, soit parmi les objets qu’elle a recueillis déjà, soit à sa destination naturelle, dans l’église de St-Benoît ou dans une partie quelconque du palais épiscopal. La personne à qui elle appartient consent volontiers à la céder.

Le fait auquel se rapporte l’inscription est consigné dans le Gallia Christiana. On lit en effet, dans l’article consacré à M. de Tubœuf : « Suâ in ecclesiâ insigne monumentum reliquit, palatium videlicet episcopale, quod eleganti opere construxit. Ecclesiœ et chori fabricam inchoaverat, quando morte prœreptus est. (1. 657.) »

M. de Tubœuf est mort en 1682. Le palais épiscopal avait été achevé vers 1670. L’église de St-Benoît fut continuée par son successeur, M. de Meaupou, et mise en l’état où nous la voyons, par M. de Beaujeu, qui l’inaugura en 1718.

La Société accueille la proposition, et charge une commission des démarches à faire et des mesures à prendre pour obtenir une prompte solution. Elle l’autorise à faire les dépenses nécessaires.