Principes de dressage et d’équitation/Partie II/II

Marpon et Flammarion (p. 62-66).

II

Travail rapproché, marche en avant.


J’abandonne la longe et je tiens le cheval par le filet que j’ai d’abord passé par-dessus sa tête. Je remplace la chambrière par la cravache, et je me sers du filet et de la cravache exactement comme j’ai fait de la longe et de la chambrière.

Étant à main gauche, le cheval au mur, je me place près de son épaule gauche. De la main gauche, je tiens l’extrémité des rênes du filet[1] Dans cette même main se trouve la cravache que je dissimule le long de ma jambe, de façon que le cheval ne puisse la voir. De la main droite, je saisis alors les deux rênes de filet près de la bouche et en dessous du menton[2]. Puis je fais quelques pas en avant. Si le cheval suit mon mouvement, je le caresse ; si, au contraire, il refuse d’avancer, ma main gauche passe derrière mon dos et le touche près des sangles avec la cravache. Assez généralement le cheval neuf refuse d’abord d’avancer et a besoin du coup de cravache[3].

Ici, j’appelle toute l’attention du lecteur, car l’instant est décisif : nous sommes à la première lutte de laquelle dépend l’avenir.

Il importe de comprendre que le cheval ne se rend aucun compte, à ce moment, de ce qu’on lui demande et qu’il ignore les moyens de coercition dont dispose l’écuyer. Il ne craint pas encore le châtiment et connaît à peine l’action rassurante des caresses.

Or tout le dressage est renfermé dans ces deux moyens : châtier ou caresser à propos.

Je suppose que mon cheval refuse d’avancer. On remarquera que, dans la position que j’occupe, il lui est assez difficile de reculer ; difficile, mais non impossible, car il faut s’attendre à tout de la part d’un cheval neuf qui dispose librement de sa force et de sa masse.

Pour le faire avancer, je tends le bras droit, — la main droite tenant toujours le filet sous le menton, exactement à l’endroit où se place la gourmette, — et je pousse devant moi plutôt que je ne tire ; tandis que derrière mon dos, de la main gauche qui tient toujours l’extrémité du filet, je frappe légèrement du bout de la cravache un peu en arrière des sangles.

Si le cheval est doux, pas trop nerveux et peu impressionnable, il se porte en avant sans trop de brusquerie. Souvent, au contraire, il répond aux coups de cravache par un mouvement violent et peut, suivant son caractère, bondir, se cabrer, se jeter avec force de côté ou reculer avec vitesse. Telles sont les quatre défenses que le cheval peut opposer dans ce cas.

Examinons les moyens de les combattre.

Si le cheval bondit, vous n’avez qu’à lui lever la tête, pour lui charger l’arrière-main, en ayant soin de vous tenir très près de son épaule pour éviter les coups de l’avant-main. La tête haute, un cheval ne peut bondir.

La cabrade est plus dangereuse ; aussi je recommande à tous les écuyers qui travaillent à pied de toujours porter un chapeau haut de forme. Cette sage précaution m’a sauvé de plus d’un coup de sabot sur la tête. Lorsque le cheval se cabre, votre main droite abandonne forcément le filet, dont l’extrémité demeure seule dans la main gauche. Vous vous trouvez alors éloigné de l’animal de toute la longueur de ce filet, ajoutée à celle de votre bras gauche, en sorte que, si vous faites demi-tour, pour lui faire face, il est impossible qu’il vous atteigne.

Laissez-le reprendre son aplomb, puis approchez-vous de lui très doucement, en prenant toujours soin de cacher votre cravache. S’il se cabre de nouveau, pesez fortement et sans saccades sur le filet. Quand il aura essayé trois ou quatre fois de ce moyen de défense, voyant qu’il ne lui réussit pas, il y renoncera bientôt et peut-être se jettera brusquement de côté.

Notez, toutefois, qu’il ne peut se jeter qu’à gauche, puisqu’il a le mur à droite. La cravache sur le flanc gauche et une action un peu vigoureuse sur la rêne gauche du filet suffisent pour le redresser.

Reste le reculer. Quand le cheval emploie cette défense, il faut encore vous placer en face de lui et tirer fortement sur le filet des deux mains en fléchissant légèrement les genoux et en portant le corps très en arrière. Faites-vous lourd, comme on dit vulgairement, afin que l’animal ne puisse que péniblement vous entraîner dans son mouvement rétrograde. Le cheval sera vite fatigué.

J’ai une telle habitude de me laisser traîner tout en restant debout que j’arrête presque toujours n’importe quel cheval à son deuxième ou troisième pas. Quand il sent qu’on lui résiste par la force d’inertie et non la violence, il s’arrête et fixe généralement l’homme en même temps qu’il pousse comme un profond soupir. Fixez-le aussi, et tâchez de deviner s’il va cesser ou s’il va continuer de se défendre. Avec un peu d’habitude on s’en rendra facilement compte.

jamais la leçon ne doit être interrompue et en-core moins prendre fin sur une défense.

La défense terminée, je redemande avec douceur et par les mêmes procédés la marche en avant et je ne cesse qu’après l’avoir obtenue. Il est rare que le cheval ne cède pas promptement.

Baucher, dans cette première partie du dressage, cherchait à obtenir la marche en avant en donnant de petits coups de cravache sur le poitrail, tandis qu’il tenait le filet à mi-longueur, faisant face au cheval.

Comme on l’a vu dans le chapitre relatif au travail à la longe, je n’ai pas d’objection de principe à faire à ce procédé, sinon qu’il présente l’inconvénient grave d’exposer l’homme aux coups de l’avant-main et de rendre souvent le cheval chatouilleux.

En outre, l’attaque au poitrail ne sert à rien dans la suite du dressage, tandis que l’attaque aux flancs comme j’ai eu à la décrire est la meilleure préparation à l’éperon.

Enfin, dans le système de Baucher, on tire sur l’avant-main, qui doit, si on réussit à le mettre en mouvement, entraîner l’arrière-main, tandis que, par mon procédé, c’est l’arrière-main qui s’engage et pousse l’avant-main. Or ce dernier mouvement est le principe même de toute équitation.

  1. Il va sans dire que tous les effets sont inverses si l’on est à main droite.
  2. Voir planche I.
  3. Généralement la cravache suffit. Certains chevaux cependant refusent de se porter en avant, surtout si l’on demande la flexion. Dans ce cas, je remplace la cravache par la chambrière, et derrière mon dos j’attaque l’arrière-main. Il n’y a pas de cheval qui ne cède.