Prime de langue française instituée en faveur des indigènes de l’Algérie

Anonyme
Prime de langue française instituée en faveur des indigènes de l’Algérie
Revue pédagogique, premier semestre 1886VIII (n. s.) (p. 442-443).

PRIME DE LANGUE FRANÇAISE
INSTITUÉE EN FAVEUR DES INDIGÈNES DE L’ALGÉRIE



L’article 30 du décret du 13 février 1883 établit, en faveur des indigènes, une prime de 300 francs pour la connaissance de la langue française et décide que la dépense sera imputée sur le budget de l’instruction publique.

Les formes de l’examen sont réglées par l’arrêté ministériel du 1er octobre 1833. Les examens ont lieu à la fin de chaque année scolaire, devant une commission de trois membres nommés par le recteur de l’académie d’Alger et dans les villes déterminées par ce fonctionnaire. Les épreuves écrites consistent en une dictée, une composition française et une page d’écriture. Les épreuves orales, en un exercice de conversation, lecture et explication d’un texte en français, interrogations sur les principes de la grammaire.

Ces examens ont eu lieu pour la première fois le lundi 20 juillet 1885, à Alger, à Constantine et à Oran. On a dû choisir, pour cette première année, des compositions assez difficiles, afin de ne pas trop multiplier les primes. Pour être admis à concourir, il suffit, à tout indigène musulman, d’être âgé de 18 à 25 ans, de bonnes vie et mœurs, et d’avoir étudié pendant deux ans dans un ou plusieurs établissements d’instruction publique, ou dans un ou plusieurs établissements libres autorisés par l’État.

33 candidats étaient régulièrement inscrits pour l’examen, savoir :

10 dans le département d’Alger,
04 dans le département de Constantine,
19 dans le département d’Oran.

30 candidats ont pris part aux épreuves ;

6 ont été admis aux épreuves orales, puis définitivement admis.

Ces 6 candidats ont reçu la prime de 300 francs accordée par M. le ministre de l’instruction publique.

Les candidats avaient eu à traiter, comme composition française, le sujet suivant : « Lettre écrite à un ami resté en Algérie par un Arabe ayant eu l’honneur de faire partie de la députation qui a suivi le char de l’Algérie aux obsèques de Victor Hugo. »

Une de ces compositions, celle de M’hammed ben Rahhal, mérite surtout d’être signalée. Elle dénote une sérieuse connaissance de la langue française et révèle un sentiment profond d’attachement à la France. En voici quelques extraits :

« Me trouvant en excursion en France où mon étoile m’a mené à une époque particulièrement fertile en incidents grandioses, je croirai faillir aux devoirs de l’amitié en ne te faisant pas part de mes impressions du voyage telles que je viens de les éprouver.

»… Me trouvant à Paris au moment du décès de l’immortel poète, je n’ai pas manqué — tu le penses bien — d’aller rendre mon devoir à la dépouille de l’homme que toute la France pleurait.

»… C’était le 1er juin au matin ; le corps exposé sous l’arc de triomphe de l’Étoile que le Grand Napoléon a élevé à la gloire des armées françaises et à la sienne, était, depuis la veille, l’objet des pèlerinages fervents d’une foule immense, recueillie et calme.

»… Quand j’arrivai, les larges avenues des Champs-Élysées contenaient à grand’peine une population pour laquelle l’immensité elle-même semblait devenir trop exiguë. Je m’’approchai, saisi d’une émotion indéfinissable dans laquelle se mêlaient les sentiments les lus divers : mon respect et ma vénération particuliers pour le grand homme dont les poésies ont, les premières, réveillé mes meilleurs instincts, et fait battre mon cœur ; ce sentiment de ma petitesse devant la plus grande figure du siècle, puis l’espèce de mission dont je m’étais investi et que trop tard je reconnaissais être au-dessus de mes forces…

» Lentement le cortège se forme… En tête tous les pouvoirs publics… puis la diplomatie… les écoles… le commerce… bref, l’humanité entière représentée dans chacune de ses parties par les sommités et les illustrations, et dans toute cette foule, dans ce monde devrais-je dire, pas un cri, pas une parole, mais l’attitude calme et digne d’une grande nation concourant à l’apothéose d’un grand homme.

» J’étais derrière le char de l’Algérie ; un char magnifique, décoré avec ce goût français si délicat et cette fantaisie orientale si coquette et si riche…

» Je t’ai déjà dit combien nous sommes sympathiques aux Français et particulièrement à ceux de la métropole ; eh bien, mon cher ami, si tu avais assisté comme moi aux applaudissements qui nous accueillaient à chaque coin de rue, sur chaque boulevard, si tu avais lu, sur tous ces visages penchés vers nous, l’intérêt et l’amour que j’y ai lus, tu aurais, comme moi, versé des larmes de joie et de reconnaissance et, comme moi, tu aurais renouvelé le serment de mourir pour notre patrie d’adoption, chaque jour plus aimée et plus chère…

» Mais qu’est donc, me demanderas-tu, l’homme auquel on a fait ces funérailles incomparables ? C’était un ami du pauvre, un patriote ardent, un orateur inspiré, l’apôtre du progrès, de la fraternité et de la liberté…

» Il est mort comme il a vécu, simple et grand… »