Politique commerciale de l’Angleterre depuis Walpole



POLITIQUE COMMERCIALE
DE
L’ANGLETERRE
DEPUIS WALPOLE.

I. — Speeches of the right hon. W. Huskisson,
in three volumes, 1831.
II. — Speech delivered in the house of commons the 11 march 1842,
by the right hon. sir Robert Peel, first lord of the treasury.
III. — Course of commercial policy at home and abroad, by the right hon.
W. E. Glasdstone, president of the board of trade, 1843.
I.

L’esprit de la politique anglaise, presque uniquement dirigée par le souci des intérêts matériels, a long-temps soulevé dans notre pays une répugnance instinctive, et c’est pour cela sans doute qu’elle nous a été jusqu’à ce jour si peu connue ; mais nous commençons à nous guérir d’une maladroite antipathie dont nos propres intérêts ont trop souffert. Depuis qu’elle a mis la main elle-même à la conduite de ses affaires, la France a mieux su apprécier la valeur des moyens à l’aide desquels l’Angleterre a conquis l’imposante situation qu’elle occupe dans le monde. Le mot de Napoléon : « les Anglais sont une nation de boutiquiers, » ne serait plus aujourd’hui une injure, grace à notre expérience mûrissante et à ce juste sentiment d’admiration que les grandes choses de tout ordre obtiennent si naturellement de notre caractère national. En effet, la politique qui a formé en Amérique un des plus puissans états de la terre, qui peuple les immensités de l’Océanie, et semble appelée à renouveler le vieux monde asiatique, n’exerce pas apparemment une action médiocre sur les destinées de l’humanité ; quel qu’en soit le mobile, elle n’est certainement pas à mépriser, et en présence des résultats qu’elle a produits, on est forcé de reconnaître qu’avec de l’industrie et du commerce, et, si l’on veut, pour des intérêts de boutique, on peut travailler à des œuvres d’une réelle et durable grandeur. Au point de vue des idées vers lesquelles la portent ses inclinations les plus généreuses, la France a donc raison de s’informer avec une curiosité persévérante des procédés de la politique anglaise.

La partie de la politique britannique sur laquelle, en ce moment surtout, l’attention nous semble devoir se fixer de préférence, est celle que les Anglais désignent ordinairement eux-mêmes sous le nom de politique commerciale, commercial policy. Le mobile de cette politique est tout entier dans un problème économique : maintenir du moins, si on ne peut l’accroître, la production industrielle, et suppléer à l’insuffisance des débouchés existans par l’acquisition de nouveaux marchés consommateurs. Ainsi formulée, la question est simple : il n’en est point dont la solution ait de plus vastes conséquences. Tout y semble lié par une solidarité fatale. Tandis que la politique extérieure et la politique coloniale travaillent à l’extension des débouchés, celle-là au moyen des traités de commerce, celle-ci par la conservation ou la conquête violente de marchés vassaux de la législation douanière de la Grande-Bretagne, au succès de ce double effort sont suspendues les grandes questions sociales et constitutionnelles soulevées par les formidables émotions que les moindres vacillations du commerce excitent au sein des populations manufacturières, comme la prospérité des finances publiques, qui doivent aux contributions dont la richesse commerciale est la source la partie la plus considérable de leurs revenus. Aussi, nation et gouvernement, l’Angleterre est, pour ainsi dire, courbée tout entière sur la tâche toujours plus laborieuse du développement commercial et industriel ; les partis adaptent leurs combinaisons stratégiques aux exigences de cet impérieux intérêt, et livrent sur des questions de tarif ces batailles décisives où la possession du pouvoir est le prix de la victoire. Par elle-même, cette situation est déjà assez remarquable pour qu’il ne soit pas indifférent de rechercher les causes qui l’ont produite, et de mesurer les tendances irrésistibles que ces causes ont créées ; mais une sollicitation plus directe nous engage encore à la sonder. Nous n’avons pas devant la politique commerciale de l’Angleterre le rôle d’observateurs désintéressés. L’Angleterre nous demande depuis plusieurs années, et avec des instances pressantes, un traité de commerce. Il nous semble donc que, sans entrer dans la discussion des conditions mêmes de ce traité, il peut être d’abord fort utile de se rendre un compte exact, d’avoir une idée nette des nécessités de la politique commerciale de l’Angleterre. Il peut sortir de cette étude préalable des lumières que l’intérêt politique et l’intérêt économique engagés dans la question, du côté de la France, ne devront pas négliger.

Parmi les causes de la prééminence industrielle et commerciale pour long-temps encore assurée à la Grande-Bretagne, la plus considérable sans doute est la supériorité des richesses accumulées ; c’est-à-dire des capitaux. Il ne faut pas se méprendre sur l’origine de cette supériorité. L’Angleterre n’en est ni exclusivement ni même principalement redevable à ce que l’on considère comme les priviléges exceptionnels de sa position géographique ou géologique. Lorsque la découverte de la nouvelle route des Indes et de l’Amérique eut commencé pour l’Europe l’ère du grand commerce, l’Angleterre n’était pas plus riche que l’Espagne ou que la France, et si l’on ne considère que les conditions naturelles, il semble à cette époque que la France et l’Espagne pouvaient devenir, aussi bien que l’Angleterre, de grandes nations maritimes et commerçantes. Au XVIIe siècle encore, les premières années de l’administration de Colbert l’ont prouvé surabondamment pour la France. Mais l’Angleterre avait dès-lors, elle a conservé jusqu’à ce jour, dans la forme de son gouvernement, l’avantage auquel elle a été vraiment redevable de la prospérité de ses intérêts matériels. Il est loin de notre pensée de faire ici allusion aux subtilités si débattues de l’équilibre des trois pouvoirs, ou, suivant des idées aujourd’hui plus en faveur, aux qualités de gouvernement attribuées aux aristocraties ; nous ne voulons louer que la forme représentative et rendre hommage à cette admirable vertu qui lui est propre, — dans quelque milieu et sur quelque base qu’on l’établisse, quelle que soit l’influence ou de caste ou de personne qui paraisse en avoir le maniement, — de provoquer la manifestation de tous les besoins réels, de toutes les forces vives, et d’assurer en définitive la pondération normale des intérêts. Les intérêts matériels ont été en Angleterre, ils le seront partout où existera la forme représentative, la clientelle remuante et puissante des intérêts politiques. On comprend mieux que telle est la cause de la merveilleuse fortune qu’ils y ont faite, lorsqu’on jette un coup d’œil sur l’histoire lamentable de ces intérêts chez les peuples où ils furent livrés à l’arbitraire ignorant et à la prodigue insouciance du despotisme. Que d’enseignemens douloureux offre le passé de la France, lorsqu’on l’étudie à ce point de vue ! Obligée de traverser l’intermédiaire de la monarchie absolue, la France n’accomplit qu’aux dépens de ses intérêts matériels le travail de son organisation nationale et de son unité politique. Toujours instinctivement et sûrement instruits par leurs besoins, les représentans de ces intérêts étaient aussi éclairés chez nous qu’en Angleterre ; on voit néanmoins le pouvoir absolu, absorbé par les nécessités présentes ou entraîné par de ruineuses fantaisies, les sacrifier presque en toute circonstance aux expédiens ou à la routine[1].

Les choses ne se passèrent pas ainsi en Angleterre ; mais, depuis la révolution de 1688 surtout, les nécessités politiques y contraignirent plus fortement encore le pouvoir à seconder, à précipiter même l’essor naturel du commerce et de l’industrie. Les grandes guerres soutenues contre la France par Guillaume III et les whigs sous la reine Anne coûtèrent des sommes immenses. Le gouvernement, dans la crainte de rendre le nouvel établissement odieux au pays, n’osa les demander à l’impôt : il se les procura principalement par l’emprunt, et donna ainsi aux financiers, aux monied men, une influence qui tourna au profit des intérêts commerciaux. La sollicitude du pouvoir pour ces intérêts s’accrut encore lorsque la maison de Hanovre monta sur le trône. La dynastie nouvelle ne rencontrait qu’hostilité ou indifférence dans la propriété (the landed interest, comme disent les Anglais) : elle devait chercher son principal appui dans les classes commerçantes. Dès 1721, cette préoccupation s’annonçait d’une manière remarquable à l’ouverture d’une session parlementaire, dans un discours du roi qui définissait avec une parfaite précision le but et les intérêts permanens de la politique commerciale devenue depuis traditionnelle en Angleterre. « Dans la situation actuelle, disait la couronne, nous nous manquerions à nous-mêmes si nous négligions l’occasion que la paix générale nous offre d’étendre notre commerce, le principal fondement de la richesse et de la grandeur de ce pays. Évidemment, le moyen le plus efficace de remplir cette grande vue d’intérêt public est de donner des facilités nouvelles à l’exportation de nos manufactures et à l’importation des matières qu’elles emploient. Nous assurerons ainsi en notre faveur la balance du commerce, nous verrons notre marine s’accroître, et nous procurerons du travail à un nombre plus considérable de nos pauvres. »

Ce programme avait été tracé par sir Robert Walpole. La persévérance et l’habileté avec lesquelles ce ministre travailla à le réaliser lui ont mérité, malgré les fautes qu’il put commettre dans d’autres parties du gouvernement, la haute renommée qu’il a laissée dans son pays. Un intérêt politique combiné avec un intérêt financier engagea toujours plus avant cet homme d’état dans une voie où l’appelaient déjà ses aptitudes naturelles et son goût passionné pour les travaux calmes et féconds de la paix. Afin de conquérir des amis à la dynastie parmi les grands propriétaires, dont la plupart lui faisaient une opposition systématique, la pensée dominante de sir Robert Walpole était de diminuer les impôts sur la propriété. L’augmentation naturelle des revenus des douanes et de l’excise, c’est-à-dire des contributions fournies par le commerce, lui en facilita une première fois les moyens. Plus tard, aliénant la moitié du fonds d’amortissement (the sinking fund), qu’il avait lui-même créé au commencement de son ministère pour affermir le crédit public, il put abaisser à 10 pour 100 du revenu foncier la land tax, qu’il avait déjà réduite à 15 pour 100, de 20 où il l’avait trouvée en arrivant au pouvoir, et ce fut un des actes les plus heureux de son administration, celui qui lui valut le plus de popularité dans le pays, et lui gagna le plus d’amis dans le parlement.

Sir Robert Walpole se trouva ainsi conduit à imprimer au système financier de l’Angleterre cette tendance à s’adresser à l’impôt indirect qui a été arrêtée seulement l’année dernière par les mesures de sir Robert Peel. Il avait un grand avantage politique à diminuer la partie du revenu public dont le fardeau pesait sur la propriété ; il s’y voyait secondé par l’accroissement progressif des impôts de consommation, dû à l’extension des affaires commerciales : il s’appliqua à grossir cette dernière branche du revenu, en favorisant de tout son pouvoir le développement du commerce. Pour atteindre ce résultat, l’abaissement des tarifs et la simplification de la perception des droits devinrent sa préoccupation principale. Le plan dans lequel il réunit ses vues sur ce sujet a été regardé par les économistes et les hommes d’état anglais comme une grande pensée ; l’excise scheme, — c’est le nom qu’il a laissé dans l’histoire, — n’était pas seulement en effet une habile manœuvre politique, une sage mesure administrative : ce n’était rien moins que l’application des théories devenues plus tard si célèbres sous la retentissante devise de free trade, de liberté du commerce. Si l’entière abolition de la land tax en faveur de la grande propriété était l’intérêt actuel qui dirigeait Robert Walpole, il s’inspirait, pour le satisfaire, des principes les plus avancés de l’économie politique, de principes que la science n’avait point encore formulés. Il voulait diviser en deux catégories les marchandises d’importation, les unes soumises à des taxes, les autres affranchies de tout droit. Il plaçait parmi celles-ci les principaux objets nécessaires à la vie et les matières premières des manufactures. L’importation libre des objets de grande consommation et des matières premières employées par l’industrie devait, en en diminuant le prix, amener aussi une réduction proportionnelle dans les prix des manufactures anglaises, et par conséquent donner à celles-ci de nouveaux avantages sur les marchés étrangers. Quant aux marchandises taxées, Walpole ne se contentait pas de diminuer les droits auxquels elles étaient déjà soumises : il se proposait encore d’en régler les rapports avec la douane, de manière à assurer plus de liberté et une activité plus fructueuse aux opérations commerciales. Il conçut dans ce but le système des entrepôts. Le négociant avait acquitté jusqu’alors les droits de douane à l’importation des marchandises ; désormais il ne les paierait plus qu’à la mise en consommation, ce qui lui épargnerait des avances de fonds considérables et donnerait au commerce de réexportation une entière liberté. Les avantages de cette dernière partie du plan de sir Robert Walpole étaient certains ; l’expérience ultérieure de l’Angleterre et des grandes nations commerçantes les a irrécusablement constatés. Cependant, chose étrange, phénomène peut-être unique dans l’histoire de l’économie politique, sur ce point le pouvoir devançait trop son époque. Sir Robert Walpole ne put faire accepter par ses contemporains ses hardis projets de réforme. Peut-être en compromit-il le succès par cette fausse prudence qui lui faisait toujours craindre de soulever des tempêtes en attaquant les grandes choses comme il faut les attaquer, avec franchise et vigueur. On pourrait, en renversant un mot du cardinal de Retz, dire de lui qu’il eut en cette circonstance le cœur moins haut que l’esprit. Il n’osa pas présenter tout d’abord l’ensemble de son système : il voulut en détacher des parties comme pour essayer l’opinion. Ce fut la cause de son échec. Les partis hostiles et les intérêts puissans engagés dans la contrebande qu’enrichissaient les droits prohibitifs soulevèrent contre l’intention et la portée de l’excise scheme d’injustes défiances. Walpole disait qu’il voulait changer les droits payés à l’importation, les custom duties, en droits payables à la mise en consommation, en excise duties. Ce malheureux mot d’excise, qui n’avait désigné jusque-là que des impôts indirects extrêmement impopulaires, lesquels donnaient aux agens du pouvoir sur la vente au détail de certaines marchandises de grande consommation un contrôle vexatoire, ruina dans l’opinion le projet de sir Robert. On ne voulut y voir que l’avide calcul d’un ministre des finances, et non l’œuvre habile et féconde d’un homme d’état économiste. Les chefs de partis signalèrent et les masses redoutèrent un piége fiscal dans l’excise scheme. Walpole avait voulu en commencer l’application sur les tabacs : le bill qu’il avait proposé dans ce but (1733) avait subi dans la chambre des communes une première épreuve favorable ; mais l’agitation populaire fut si universelle et si violente (à Londres il y eut même une émeute où la vie du premier ministre fut gravement exposée), que sir Robert Walpole retira le bill et ajourna l’exécution de ses projets. Les embarras qui l’assaillirent peu de temps après dans la politique extérieure, et le poursuivirent jusqu’à sa chute, l’empêchèrent d’y revenir. Adam Smith les réhabilita plus tard au nom de la science, et les idées qui les avaient inspirées passèrent par une réalisation progressive dans la pratique de la politique commerciale de l’Angleterre ; elles marquaient bien, et c’est pour cela que nous y avons insisté un peu longuement, les deux tendances corrélatives et permanentes de cette politique : d’un côté, faire des impôts indirects, dont le fardeau est à peine senti dans les temps prospères, la base principale, exclusive presque, du revenu public ; de l’autre, pour favoriser le mouvement du commerce et de l’industrie qui alimentent ces impôts, écarter au dedans par des remaniemens de tarif, au dehors par des traités de commerce, les obstacles fiscaux qui paralysent le placement des marchandises anglaises[2].

Après l’excise scheme de sir Robert Walpole, quoique plusieurs cabinets, celui surtout de M. Henry Pelham, son successeur et son élève, aient déployé dans l’administration des intérêts commerciaux beaucoup de zèle et d’intelligence, il faut descendre jusqu’au ministère de M. Pitt pour rencontrer une mesure qui caractérise avec éclat la politique commerciale de l’Angleterre. Il y a dans la carrière de M. Pitt deux parties bien distinctes, divisées par la révolution française. Les souvenirs que le nom de Pitt réveille parmi nous appartiennent surtout à la seconde, durant laquelle il servit les haines et peut-être les intérêts de son pays contre la France avec une énergie si opiniâtre. Déjà, néanmoins, pendant la première période de son administration, période pacifique qui s’ouvre à l’époque où, à l’âge de vingt-quatre ans, il remonta premier ministre au pouvoir d’où l’avait pour un moment renversé la coalition de M. Fox et de lord North contre lord Shelburne, M. Pitt avait mérité d’être placé au premier rang parmi les hommes d’état dont l’Angleterre s’honore. Il ne s’était pas seulement distingué dans les luttes de la chambre des communes par l’élévation de sa raison, par la sûreté de son jugement, et par une science consommée des artifices les plus délicats et des formes les plus splendides de l’éloquence ; de vastes mesures financières, d’habiles réformes administratives, avaient signalé dans le jeune chancelier de l’échiquier un génie pratique non moins remarquable. Parmi les titres qu’il acquit à cette illustration, le plus considérable, sans doute, est le célèbre traité de commerce qu’il conclut avec la France en 1786.

La nouveauté radicale des stipulations de ce traité, les conséquences économiques qu’il eût pu avoir, si la guerre de 1793 ne l’avait rompu au moment où il allait peut-être exercer sur les intérêts français une influence décisive et irrémédiable, en font un des actes diplomatiques les plus importans de l’histoire moderne. Il était conçu, on le sait, dans l’esprit le plus libéral (pour parler comme les économistes) qui ait jamais inspiré une convention de cette nature, libéral envers la production anglaise, veux-je dire, car la concession que l’Angleterre faisait sur nos vins (le plus grand et presque le seul avantage qui fût accordé à la France) se bornait à les admettre aux mêmes droits que les vins de Portugal, en faveur desquels devaient demeurer d’ailleurs et les vieilles habitudes de l’importation, et la prédilection, fortifiée par un long usage, des plus riches consommateurs. Sur les produits manufacturés, au contraire, à l’égard desquels la supériorité de l’Angleterre était incontestable, les tarifs étaient abaissés avec une générosité dont l’honneur ne revenait assurément qu’à la France. Ainsi, la quincaillerie, la coutellerie, les aciers, les fers, les cuivres ouvrés, ne devaient payer qu’un droit ad valorem, de 10 pour 100. Les tissus de laine et de coton (excepté ceux où la soie serait mêlée, restriction désavantageuse à la France) étaient admis à 12 pour 100 ad valorem, de même que les poteries et les porcelaines. Les articles de sellerie étaient portés à 15 pour 100, et c’était le droit le plus élevé.

Les économistes persuaderont difficilement que ce traité, le dernier acte par lequel l’ancienne monarchie ait marqué son intervention dans la conduite des intérêts matériels de notre pays, dût être profitable à la France. Quant à l’Angleterre, la faveur avec laquelle il y fut accueilli par la population et les souvenirs qu’il y a laissés ne permettent pas de douter qu’elle n’eût de justes raisons de s’en louer. M. Pitt n’eut pas de peine à en trouver d’excellentes pour lui faire obtenir l’approbation de la chambre des communes. Le discours où il les présenta renferme plusieurs passages qui ne seront pas rappelés sans utilité, ni lus sans intérêt. Il fit, avec l’emphase orgueilleuse d’un chant de triomphe, l’énumération des résultats qu’il attendait de ce traité ; il semblait ne pouvoir féliciter assez son pays des avantages inespérés que presque au lendemain de cette guerre de l’indépendance américaine dans laquelle la France avait porté tant de coups à l’Angleterre, une ennemie si formidable et si récente venait lui offrir. « C’est, disait-il, pour un Anglais non-seulement une consolation, mais un sujet de joie, de penser qu’après avoir été engagé dans la lutte la plus difficile qui ait jamais menacé l’existence d’une nation, l’empire britannique a maintenu si fermement son rang et sa puissance, que la France, voyant qu’elle ne peut l’ébranler, lui ouvre aujourd’hui les bras et lui offre une alliance profitable à des conditions faciles, libérales, avantageuses[3]. »

Un traité de commerce n’est qu’un compromis entre les intérêts producteurs de deux pays ; les intérêts de consommation n’y interviennent presque jamais comme partie prépondérante. M. Pitt commençait donc par apprécier les rapports dans lesquels se trouvaient les intérêts producteurs de l’Angleterre et de la France. Il établissait cette division arbitraire et fausse, répétée si volontiers depuis par les économistes et les politiques anglais, suivant laquelle la France devrait être uniquement vouée à la spécialité des productions naturelles ou agricoles, tandis que les productions artificielles ou industrielles seraient l’exclusif et inaliénable privilége de l’Angleterre. M. Pitt louait le traité de concilier et de compléter l’une par l’autre ces deux vocations : après avoir tracé un tableau pompeux des richesses dont la France est redevable au climat et à la fertilité du sol, « l’Angleterre, disait-il, n’a pas été ainsi favorisée de la nature ; mais en revanche, grace à sa libre constitution, aux garanties de ses lois, à l’habileté qui a dirigé les desseins de son peuple, à la vigueur qui en a soutenu les entreprises, elle s’est élevée à un très haut degré de grandeur commerciale. Elle a suppléé aux dons du ciel par l’art et par le travail, et s’est mise à même de fournir à ses voisins, en échange de leurs richesses naturelles, tous les produits artificiels qui contribuent au bien-être et à l’agrément de la vie. » M. Pitt avait raison d’attribuer la supériorité industrielle de l’Angleterre à l’activité de son peuple, favorisée par une excellente constitution politique ; mais il se trompait étrangement, les faits l’ont bien prouvé, s’il croyait la France déshéritée à jamais de la richesse industrielle, parce qu’elle n’était pas encore parvenue à conquérir pour ses intérêts la garantie d’institutions libres.

Le régime politique auquel la France était soumise à cette époque permettait aussi à M. Pitt d’apprécier les avantages comparés que les deux pays devaient retirer du traité, avec une franchise qui eût été bien imprudente, si dans le parlement britannique il eût fallu compter alors, comme de nos jours, avec l’opinion publique française. « Il serait ridicule d’imaginer, disait M. Pitt, que les Français voulussent consentir à nous faire des concessions sans aucune idée de retour. Ce traité leur procurera donc des avantages. Cependant je n’hésite pas à déclarer fermement mon opinion, même en face de la France, et tandis que l’affaire est encore pendante : je crois que, quoique avantageux à la France, ce traité le sera bien plus à l’Angleterre (that though advantageous to her, it would be more so to us). Cette assertion n’est pas difficile à justifier. La France gagne, pour ses vins et d’autres produits, un grand et opulent marché ; nous faisons un bénéfice analogue sur une échelle bien plus vaste. La France acquiert un marché de huit millions d’ames, nous un marché de vingt-quatre millions ; la France, pour des produits à la préparation desquels concourent un petit nombre de mains, qui encouragent peu la navigation et ne rapportent pas grand’chose aux revenus de l’état ; nous, pour nos manufactures, qui occupent plusieurs centaines de milliers d’hommes, qui, en tirant de toutes les parties du monde les matières premières qu’elles emploient, agrandissent notre puissance maritime, et qui, dans toutes leurs combinaisons, à chaque degré de leurs transformations successives, portent à l’état des contributions considérables. La France ne gagnera pas au traité un accroissement de revenu de 100,000 livres sterling ; l’Angleterre y gagnera infailliblement dix fois plus, il est aisé de le prouver. L’élévation du prix du travail en Angleterre provient de l’excise, et on dit que les trois cinquièmes du prix du travail entrent dans l’échiquier. Les productions de la France, au contraire, sont à un degré inférieur de l’échelle du travail et rapportent moins par conséquent à l’état. Quoique réduits, les droits fixés par le traité demeurent relativement si élevés, que la France ne pourra pas nous envoyer pour 500,000 liv. sterl. d’eau-de-vie, et nous gagnerons 100 pour 100 sur cet article. Ainsi, bien que le traité puisse être profitable à la France, nos bénéfices seront en comparaison si supérieurs, que nous ne devons pas avoir de scrupules de lui accorder quelques avantages… Il est dans la nature essentielle d’un arrangement conclu entre un pays manufacturier et un pays doté de productions spéciales, que l’avantage soit en définitive en faveur du premier. »

Le traité était inattaquable au point de vue commercial. Les adversaires de M. Pitt, pour justifier leur opposition, furent obligés de faire de violens appels aux ressentimens de l’Angleterre contre la France ; cette partie toute politique de la discussion répand d’instructives lumières sur la mobilité des sympathies au sein des partis anglais. Il est piquant de voir comment Fox et Sheridan s’exprimaient alors à l’égard de la France. Le comte Grey, bien loin certainement de prévoir qu’il devait être appelé à contracter un jour avec la France une alliance intime, fit à cette occasion dans la chambre des communes son maiden speech, et signala son début politique par de véhémentes attaques contre notre pays. En revanche, le langage des tories, se faisant les prôneurs de l’alliance française, n’est pas moins curieux. Il est douteux que sir Robert Peel, s’il obtenait de la France un traité de commerce, eût pour nous des paroles plus bienveillantes, plus mielleuses, que celles que M. Pitt prononçait en 1787, deux ans seulement avant la révolution. « On emploie l’expression de jalousie, » répondait-il à M. Fox, à M. Burke, à M. Grey, qui proclamaient que l’Angleterre devait éternellement se défier de la France ; « que veut-on dire ? conseille-t-on à ce pays une jalousie insensée ou aveugle, une jalousie qui lui fasse rejeter follement ce qui doit lui être utile, ou accepter aveuglément ce qui doit tourner à sa ruine ? La nécessité d’une animosité éternelle contre la France est-elle donc si bien démontrée et si impérieuse, que nous devions lui sacrifier les avantages commerciaux que nous pouvons espérer de nos bons rapports avec cette nation ? ou bien une union pacifique entre les deux royaumes est-elle quelque chose de si funeste, que l’accroissement de notre commerce ne soit pas une compensation suffisante ? Les querelles de la France et de la Grande-Bretagne ont duré assez long-temps pour lasser ces deux grands peuples. À voir leur conduite passée, on dirait qu’ils n’ont eu d’autre but que de s’entre-détruire ; mais, j’en ai confiance, le moment approche où, se conformant à l’ordre providentiel, ils montreront qu’ils étaient mieux faits pour des rapports de bienveillance et d’amitié réciproques. — Je n’hésiterai pas à combattre, s’écriait-il ailleurs, la doctrine trop souvent soutenue, que la France sera éternellement l’ennemie de la Grande-Bretagne. Il est puéril et absurde de supposer qu’une nation soit l’ennemie inaltérable d’une autre nation. Cette opinion n’a de fondement ni dans la connaissance de l’homme, ni dans l’expérience des peuples. Elle calomnie la constitution des sociétés politiques, et attribue à la nature humaine un vice infernal[4]. »

Le traité de 1786 avait été conclu pour douze ans ; lorsque la guerre le rompit, en 1793, la plupart des prévisions de M. Pitt s’étaient déjà réalisées. Durant les six années qu’il demeura en vigueur, les exportations de l’Angleterre dépassèrent toujours de plus du double la valeur des importations françaises[5]. Aucun intérêt producteur ne fut compromis ; au contraire, des faits notables, rappelés encore en 1825 par M. Huskisson, vinrent prouver combien l’émulation de la concurrence étrangère peut devenir profitable à l’industrie anglaise. Il y eut, par exemple, l’année qui suivit le traité, une importation considérable de draps fins français : on les préférait aux tissus indigènes ; un homme à la mode ne pouvait porter que des habits de drap français. Au bout de deux ans, les manufacturiers anglais nous avaient déjà supplantés, et les habits de drap français étaient toujours prescrits par la mode avec la même rigueur, que les étoffes employées ne sortaient plus que des fabriques de la Grande-Bretagne[6]. Quelles n’eussent pas été pour la France les conséquences économiques et politiques du traité de Versailles, si la révolution ne les avait prévenues ! que l’on réfléchisse seulement aux résultats que l’Angleterre en eût retirés. Lorsqu’à l’accumulation des capitaux, cet élément déjà si considérable de la supériorité industrielle et commerciale, elle aurait joint les forces toutes-puissantes qu’allait lui donner l’application de la vapeur aux machines, ses produits auraient conquis sur le marché français une domination absolue. La division établie par M. Pitt entre la vocation industrielle de l’Angleterre et la vocation purement agricole de la France n’eût plus été une supposition arbitraire, elle serait devenue une réalité irrévocable ; alors aussi aurait été confirmé ce mot de M. Pitt, si vrai en plus d’un sens, qu’entre une contrée spécialement agricole et un pays manufacturier l’avantage d’un traité de commerce doit finalement demeurer à celui-ci. La suprématie industrielle, commerciale et maritime, cette suprématie accidentelle et incertaine que tant de peuples ont tour à tour possédée, et pour laquelle l’Angleterre soutient aujourd’hui avec des chances de jour en jour plus défavorables une lutte si laborieuse, aurait été peut-être à jamais consolidée entre ses mains.

Nous concevons donc sans peine que le souvenir du traité de Versailles réveille des regrets amers parmi les économistes et les hommes d’état anglais. À la rupture de la paix, en 1793, l’Angleterre, il est vrai, ne pouvait pas encore mesurer l’étendue de la perte qu’elle allait faire. Le mouvement industriel qui l’emporta peu de temps après n’avait pas pris encore ce développement gigantesque qu’il devait lui être plus tard si difficile de maintenir. Les revenus de l’état n’avaient pas encore contracté avec l’industrie et le commerce cette solidarité dont les embarras se sont fait si fréquemment et si rudement sentir depuis 1815. Peut-être d’ailleurs M. Pitt désespérait-il avec raison d’obtenir de la France libre et se gouvernant elle-même la prolongation du sacrifice que lui avait fait aveuglément l’ancienne monarchie. Quoi qu’il en soit, au sein d’une prospérité inouie, l’élan que les inventions nouvelles imprimèrent à ses manufactures devait détourner l’attention de l’Angleterre des funestes retours que l’avenir pouvait lui garder. La guerre contribua même puissamment à l’affermir dans cette trompeuse sécurité.

II.

Il semble que la guerre doive amener inévitablement avec elle l’appauvrissement et la détresse. Pendant les vingt-trois années qui s’écoulèrent de 1793 à 1815, années troublées par de si vastes conflits, l’Angleterre consacra en sa faveur une exception extraordinaire à cette loi. Il est vrai que, durant cette période, elle a dépensé plus de cinquante milliards, que dans les six dernières années de la lutte seulement elle en dévora dix-huit, qu’à la même époque les revenus des taxes en enlevaient annuellement plus de deux au pays, et qu’enfin les frais de la guerre, l’obligeant à en demander quinze à l’emprunt, ont attaché à son budget le perpétuel fardeau d’une rente de cinq cents millions. Néanmoins la richesse du pays, ce que les économistes appellent le capital national, bien loin d’avoir été épuisée, s’était au contraire accrue énormément durant cet orageux quart de siècle. « Ce qui le prouve, écrivait en 1819 M. Ricardo[7], c’est l’augmentation de la population, l’extension de l’agriculture, l’accroissement de la marine et des manufactures, les constructions de docks, le percement de nombreux canaux, et plusieurs entreprises non moins dispendieuses, signes certains de l’immense accroissement du capital national et de la production annuelle. »

Quel est le secret de cet étrange phénomène ? Les découvertes de la chimie et de la mécanique, la création de la colossale industrie du coton qui en fut la conséquence, et sans laquelle M. Huskisson déclarait en 1825 que l’Angleterre n’eût pu soutenir la lutte ; l’essor que prirent du même coup toutes les branches de l’industrie britannique ; l’état du crédit qui, depuis la suspension de la circulation métallique en 1797, excitait la fièvre des entreprises en fournissant par l’émission illimitée du papier de banque un capital fictif intarissable à la spéculation ; les données économiques, en un mot, le constatent plus qu’elles ne l’expliquent. La cause profonde de ce grand fait est éminemment politique ; elle ne peut être attribuée qu’au caractère spécial de cette guerre. Singulière coïncidence : en même temps que, par une fortune militaire sans exemple, la France établissait son ascendant sur le continent européen, la Grande-Bretagne acquérait sur l’océan la même suprématie, et il sembla un instant qu’il n’y eût plus dans le monde que deux puissances se partageant la souveraineté de la terre et de la mer. Mais les profits de ces deux dominations étaient bien différens. Tandis que les préoccupations militaires absorbaient l’activité et les forces de la France et du continent, que l’Europe, labourée sans repos par les armées, souffrait tous les désastres matériels de la guerre, la Grande-Bretagne, seule à l’abri des perturbations violentes, offrait seule aussi aux capitaux un asile où ils pussent se livrer avec sécurité aux fructueuses transformations que recherche la richesse mobilière. Ainsi la situation de la Grande-Bretagne fut précisément inverse de celle des pays continentaux directement engagés dans les hostilités. Loin d’être comprimée, l’industrie y prit au contraire un élan prodigieux. L’Angleterre fut pendant quelque temps la seule nation commerçante du monde. Les colonies de la France, de la Hollande et de l’Espagne étaient tombées en son pouvoir, ou avaient proclamé leur indépendance. Elle disposait de tous les produits de l’Asie et de l’Amérique. Lorsque en 1810 le commerce de transport des États-Unis fut arrêté à la fois par les Anglais et par Napoléon, les nations du continent ne purent plus même se procurer les matières premières de leurs manufactures que par l’entremise de l’Angleterre. Il ressort d’une enquête dirigée à cette époque par une commission de la chambre des communes, que la livre de coton, qui valait alors 2 fr. 50 cent. à Londres et à Manchester, se payait 7 fr. 50 cent. à Hambourg et 10 fr. à Paris, et que les prix des principaux produits manufacturés que les Anglais fournissaient au continent y étaient de 50 à 200 et même 300 pour 100 plus élevés qu’en Angleterre. Les bénéfices de l’exportation étaient donc si considérables, ou si l’on veut les marchandises anglaises tellement demandées, qu’aucune douane ne pouvait empêcher qu’elles ne s’introduisissent en quantités immenses sur le continent.

D’énormes capitaux agglomérés, continuellement grossis et par leurs profits et par l’absorption progressive du capital flottant des nations continentales, la grande industrie, la navigation et le commerce monopolisés, l’approvisionnement du monde à desservir, tels furent donc les merveilleux priviléges dont la Grande-Bretagne fut surtout investie au paroxisme même de la lutte. Ainsi secondée, il n’est pas surprenant que l’industrie anglaise ait suffi sans peine aux charges immédiates de la guerre ; mais on comprend aussi que la paix dut rompre brusquement le cours de ces factices prospérités. Si, après la paix, l’Angleterre conserva encore sur le reste de l’Europe une avance considérable dans la carrière de l’industrie et du commerce, ses monopoles furent entamés. La paix rappela vers les entreprises industrielles et commerciales les capitaux et l’activité du continent, que la guerre en avait si long-temps détournés. Les nations maritimes reprirent leur place naturelle dans la navigation du monde. Les souverains vainqueurs de Napoléon acceptèrent ses idées économiques dans l’héritage de sa puissance politique, et, pour développer dans leurs états les manufactures dont la politique de Napoléon avait jeté les premières semences, ils s’entourèrent contre l’invasion des produits britanniques d’une formidable enceinte de tarifs. Les alliés que les Anglais avaient eus durant la guerre devinrent ainsi à la paix leurs rivaux commerciaux. La situation de l’industrie anglaise fut complètement altérée. D’une expansion continue et rapide qu’avaient jusqu’alors plutôt excitée qu’entravée les obstacles qu’on avait voulu lui opposer, elle passa à un état de lutte sérieuse, et par suite fut exposée à subir de fréquens et douloureux resserremens. D’ailleurs ses charges envers l’état, qui avaient triplé depuis 1793, continuèrent à peser sur elle du même poids. Elle fut obligée d’apporter au revenu public le même contingent que durant la guerre, et de subvenir à peu près seule à un budget de 12 à 1,500 millions. Les périls de ce nouvel ordre de choses, manifestés de 1816 à 1820 par des crises commerciales qui eurent un contre-coup politique immédiat dans l’agitation des populations ouvrières, ramenèrent l’attention des économistes et des hommes d’état anglais vers les idées qui avaient inspiré la politique de sir Robert Walpole et de M. Pitt, et on pensa à soulager l’industrie par des remaniemens de tarif.

Les manufacturiers et les négocians, premières victimes du mal, furent aussi les premiers à signaler le remède. Dans le mois de mai de l’année 1820, M. A. Baring (aujourd’hui lord Ashburton) présenta à la chambre des communes une pétition du haut commerce de Londres, qui formulait en termes très remarquables le symbole économique auquel l’industrie et le commerce anglais allaient se rallier. En 1826, M. Huskisson, pour justifier ses réformes, relisait encore en entier cette pétition devant la chambre des communes. On a dit et souvent répété en Angleterre, que cette pétition a été le signal d’une ère nouvelle dans la législation commerciale du royaume-uni ; il importe donc d’en bien saisir le sens[8]. À travers les principes généraux qu’elle expose, il n’est pas difficile de démêler les mobiles particuliers qui l’ont suggérée. L’abaissement des droits de douane y est réclamé, non pour l’application désintéressée d’abstraites théories, mais en réalité au nom des grandes et solidaires nécessités qui dominent, depuis la paix, la situation économique de l’Angleterre. Le trait caractéristique de cette situation, c’est-à-dire la diminution des profits de la production industrielle, une fois établi, les pétitionnaires en déduisent avec une inflexible logique les conséquences obligées. La première, c’est qu’il faut réduire proportionnellement les frais de la production en permettant à l’industrie d’acheter sur le marché le moins cher, c’est-à-dire aussi peu grevées de taxes que possible, les matières brutes et les articles de grande consommation. Ce n’est pas tout : il faut créer des débouchés nouveaux ou élargir les issues déjà ouvertes à l’écoulement des produits anglais ; et comme on ne peut espérer de vendre à l’étranger que dans la mesure suivant laquelle on lui achètera soi-même, il faut, pour maintenir ou accroître ses propres exportations, favoriser l’importation des marchandises étrangères. Enfin, à cette importation étrangère, c’est-à-dire en définitive aux grandes industries du pays dont elle soutient la prospérité en lui demandant des retours, il faut sacrifier celles des productions indigènes qui ne peuvent être offertes sur le marché national à plus bas prix que les produits similaires de l’étranger. Dans un pays éminemment industriel, obligé de vendre beaucoup au dehors, parce qu’il ne saurait trouver de bénéfices qu’après le placement d’une immense quantité de produits, tel est en effet le dernier mot de cette logique des faits et des intérêts que l’on appelle la force des choses. Toutes les forces productrices doivent s’y amasser, s’y concentrer autour des industries qui, capables d’une extension indéfinie, placent leurs produits plus facilement et avec plus de profits sur les marchés extérieurs, abandonnant celles qui ne pourraient soutenir sur le marché intérieur la concurrence étrangère. De là naissent ces grandes luttes entre les intérêts producteurs d’un même pays, dont nous voyons aujourd’hui un exemple gigantesque dans le conflit engagé entre les intérêts manufacturier, commercial et maritime d’un côté, et l’intérêt agricole de l’autre, au sujet des lois sur les céréales. Les pétitionnaires faisaient aussi entrevoir comme résultat possible de la politique qu’ils conseillaient, et ce n’était certainement pas celui qui les préoccupait le moins et qui flattait le moins leurs espérances, l’influence de l’exemple de l’Angleterre pour la propagation des principes de la liberté commerciale parmi les nations étrangères. On le voit, les intérêts qui dictaient la pétition de 1820 n’ont pas varié depuis, les questions posées alors pour la première fois sont encore pendantes.

Néanmoins, parmi les hommes qui étaient au pouvoir à cette époque, les idées exprimées par cette pétition avaient déjà de zélés et habiles partisans[9]. Lorsqu’ils virent les premiers négocians de Londres apporter à ces idées la sanction de leur expérience, le moment leur sembla venu de les faire passer dans la pratique. Une commission parlementaire, nommée pour examiner la pétition, en recommanda au gouvernement les vues générales, et même désigna à son attention celles des parties de la législation douanière et commerciale qui appelaient une plus prompte réforme.

Ce fut le célèbre M. Huskisson, placé peu de temps après à la tête du bureau du commerce, qui eut l’honneur d’attacher son nom aux mesures par lesquelles fut inaugurée la politique nouvelle. On se tromperait fort néanmoins si, sur la foi des éloges que lui ont prodigués les économistes, on regardait ce grand homme d’état comme un fanatique sectateur de la théorie absolue de la liberté des échanges. Homme pratique avant tout, M. Huskisson s’inspirait principalement des besoins immédiats de son pays ; ses mesures (il ne fit que substituer un système de protection au système prohibitif) et ses paroles formelles ne laissent aucun doute à cet égard. En toute rencontre, et surtout lorsqu’en 1824 il proposa à la chambre des communes de remplacer par un droit ad valorem de 30 pour 100 la prohibition qui pesait sur les soieries étrangères, il crut devoir se défendre avec énergie de toute prédilection pour les théories économiques. « Dans le cours de ma vie publique, disait-il en terminant son discours sur cette mesure, j’ai trop appris à me défier de l’incertitude des théories pour pouvoir jamais me prendre d’enthousiasme en faveur d’aucune… Si je suis libéral envers les autres nations, c’est parce que je sens que je sers mieux par là les intérêts de mon pays[10]. » L’année suivante, en présentant le plan d’une révision générale du tarif, il formulait en ces termes le principe, assurément fort peu téméraire, qui réglait ses concessions aux produits manufacturés étrangers : « Le résultat des changemens dont j’ai soumis le plan à la chambre sera, relativement aux produits manufacturés étrangers sur lesquels le droit est imposé pour protéger nos propres manufactures, et non dans le but de grossir le revenu, que le droit ne dépasse plus désormais 30 pour 100 de la valeur. Si l’article n’est pas manufacturé à beaucoup plus bas prix ou bien mieux à l’étranger que dans ce pays, un droit semblable est suffisant ; si l’étranger le donne à un prix inférieur et d’une qualité tellement supérieure que le droit de 30 pour 100 soit insuffisant pour protéger notre industrie, je dis d’abord qu’une plus grande protection ne serait qu’une prime accordée au contrebandier, et ensuite qu’il n’est pas sage de tenter une concurrence qu’une protection semblable ne pourrait soutenir. Donnez à l’état la taxe qui sert aujourd’hui de salaire au contrebandier, et permettez au consommateur d’acquérir une marchandise meilleure et moins chère sans l’exposer, pour satisfaire ses convenances, à violer chaque jour les lois de son pays. » Telles sont, pour l’abaissement des droits, les limites pratiques et, on le voit, très modérées que M. Huskisson n’a jamais dépassées.

Si les réformes de ce ministre ont eu un si grand retentissement, ce n’est donc pas qu’il ait fait, ni préparé, ni souhaité une révolution économique. Il n’a pas proclamé que pour tous les peuples et dans toutes les circonstances la liberté absolue des échanges fût le système le plus avantageux ; il n’a pas même déclaré que l’Angleterre se fût trompée jusque-là en protégeant par des prohibitions sa marine, son commerce, son industrie. Son principal mérite fut de comprendre mieux que personne cette nécessité toute spéciale à l’Angleterre, toute nouvelle même pour elle, qui la contraint à abandonner progressivement le système restrictif, et de la signaler avec assez de force pour en rendre l’évidence irrésistible. Nous ne saurions mieux faire apprécier cette nécessité caractéristique qu’en recourant à l’autorité des paroles mêmes de ce ministre.

Une des mesures les plus considérables de la politique de M. Huskisson est le bill de réciprocité des droits (reciprocity duties bill), par lequel le gouvernement se fit autoriser à fixer les droits et les drawbacks sur l’importation ou l’exportation des marchandises par navires étrangers, aux mêmes conditions que les droits ou drawbacks payés dans les états étrangers sur les marchandises transportées sous le pavillon britannique. Je cite volontiers quelques passages du discours que M. Huskisson prononça à l’appui de cette mesure. Il peut n’être pas inutile, je crois, de connaître cet aveu aussi franc que précis des motifs qui ont commandé de nos jours à l’Angleterre l’abaissement de ses tarifs. Rappelant que, depuis le fameux acte de navigation, la politique de l’Angleterre avait été d’imposer sur les chargemens apportés par des navires étrangers des droits plus élevés que sur ceux que couvrait le pavillon britannique, « il n’était peut-être pas nécessaire, disait M. Huskisson, de modifier cette législation tant que les puissances étrangères n’étaient pas en état de protester efficacement contre l’inégalité qu’elle consacrait ; mais on pouvait prévoir qu’il faudrait y renoncer dès qu’elles seraient en mesure d’y résister ». C’est précisément ce qui était arrivé en 1823, au moment où parlait M. Huskisson. Les États-Unis et la Hollande avaient frappé de droits prohibitifs le commerce par pavillon anglais, et la Prusse menaçait de suivre cet exemple. « Après les embarras qui ont longtemps et rigoureusement pesé sur nous, ajoutait M. Huskisson, nous ne pouvons maintenir ce système de restriction ; en y persévérant, nous ne ferions que nous attirer des représailles qui produiraient sur nos intérêts commerciaux un effet désastreux. » — « Tant qu’il n’y a pas eu hors de l’Europe, disait-il dans une autre circonstance, de nation commerçante indépendante, tant que les vieux gouvernemens européens ont regardé les affaires commerciales comme peu dignes de leur attention, et, soit indifférence, soit impéritie, se sont abstenus de combattre notre système, c’eût été de notre part une faute de le modifier ; mais aujourd’hui l’état du monde est-il le même ? Pour se donner une grande marine de commerce, et neutraliser nos lois de navigation, Les États-Unis n’en ont-ils pas adopté les prescriptions les plus rigoureuses ? N’ont-ils pas poussé, contre notre marine, le système des droits différentiels plus loin que nous ne l’avons jamais porté ? Fermerons-nous les yeux sur les autres nations qui suivent leurs traces ? Ne les voyons-nous pas toutes, l’une après l’autre, arracher chaque jour un feuillet à notre code maritime ? Ne nous sommes-nous pas assez vantés de nos lois de navigation pour les convaincre (à tort sans doute) qu’elles sont la condition presque unique ou du moins indispensable de la prospérité commerciale ou de la puissance maritime ?… Voyez donc si le système des droits différentiels, maintenant que le brevet en vertu duquel nous l’avons exploité est expiré, n’est pas plutôt un expédient à l’usage des pays peu avancés, que la ressource d’une nation qui possède déjà la marine commerciale la plus considérable du monde. Peut-être alors comprendrez-vous qu’il est d’une bonne politique de détourner de ce système les nations sur lesquelles nous avons l’avantage, au lieu de leur imposer la nécessité ou même de leur laisser le moindre prétexte de s’y engager. »

M. Huskisson exposait d’une manière plus saisissante encore les pertes que l’industrie anglaise devait nécessairement éprouver à une guerre de tarifs. « Les droits sont une taxe sur le commerce et la navigation ; cette taxe, disait-il, doit peser plus lourdement sur le pays dont le commerce et la marine sont plus considérables. En supposant que des deux côtés les droits imposés arrivassent au même niveau, ce qui serait l’effet inévitable des représailles, n’est-il pas évident que les marines des deux pays se trouveraient l’une à l’égard de l’autre dans la même situation relative que si les droits n’existaient pas ? Les droits ne seraient donc en réalité, dans les deux pays, qu’un surcroît de taxe sur leurs produits échangés ; mais ces produits étant de nature différente, les industries respectives des deux contrées en seraient différemment affectées. Les principales exportations de l’Angleterre se composant de produits manufacturés et coloniaux, et ses importations de matières premières, il arriverait qu’elle vendrait ses exportations et qu’elle paierait ses importations plus cher de tout le montant de la taxe. Mais, à l’étranger, que résulterait-il de cet état de choses ? Il agirait évidemment comme une prime en faveur des manufactures indigènes des états rivaux contre les manufactures anglaises (obligées d’acheter et de vendre plus cher). Le résultat extrême de la lutte serait que chaque contrée exporterait ses propres produits sur ses propres navires, et qu’aucun pays n’importerait les productions étrangères par navires étrangers : qui y perdrait le plus du pays manufacturier ou du pays producteur de matières premières[11] ? »

Les anxiétés de M. Huskisson s’accrurent sans cesse devant cette nécessité économique qui se produisait avec la même rigueur dans toutes les branches du système commercial de l’Angleterre. Il ne les exprima jamais avec plus d’énergie et d’émotion, jamais il ne signala avec plus de précision les dangers auxquels la Grande-Bretagne s’exposait, si elle ne savait céder à temps aux exigences d’une situation fatale, que dans un discours que l’on pourrait considérer comme son testament politique, car il fut prononcé en 1830, quelques mois seulement avant le funeste accident qui termina sa vie. Il était impossible d’indiquer les causes de cette situation et d’en définir la nature avec plus de sagacité et de profondeur que dans les paroles suivantes : « Nous devons avoir constamment présens à la pensée les effets nécessaires de la paix et des concurrences des industries étrangères contre les nôtres sur les marchés du monde. Ces effets, déjà si souvent et si bien expliqués, se réduisent à deux : premièrement, nous ne pouvons obtenir pour nos marchandises un meilleur prix que celui auquel elles peuvent être produites et amenées sur les marchés par les autres pays ; secondement, ce sont les prix auxquels nous pouvons vendre au dehors qui déterminent nos prix sur le marché intérieur. Ces axiomes admis, suivons-en les conséquences légitimes et nécessaires. On ne saurait nier qu’un esprit d’amélioration, qu’un inquiet désir d’accélérer les progrès de l’industrie, qu’un zèle persévérant à répandre les connaissances dans toutes les branches du travail auxquelles s’allient les sciences chimiques et mécaniques, ne soient aujourd’hui les sentimens dominans non-seulement de tous les peuples, mais de tous les gouvernemens du monde civilisé. On ne saurait nier non plus que, dans plusieurs pays, plus de liberté dans les institutions et une sécurité plus grande donnée à la propriété n’aient favorisé l’accroissement des capitaux et le développement des autres élémens indispensables des entreprises industrielles et commerciales. Ainsi deviennent de jour en jour plus formidables les rivalités qu’ont à soutenir notre capital, notre travail, notre habileté. S’il est vrai que nous abordions la lutte avec quelques élémens de supériorité, nous avons aussi à faire face à des désavantages considérables et croissans. Nous exportons plus ou moins de tous les produits de nos manufactures, et les productions de notre sol ne suffisent pas à nourrir notre population, car nous ne pourrions passer plusieurs années sans demander du blé à l’étranger, et nous avons une importation annuelle considérable de beurre, de fromage, etc. Notre législation sur les céréales, quoique convenable pour prévenir d’autres maux, pèse comme une charge, comme une restriction, sur l’industrie et le commerce. Or, tandis qu’il faut que les produits de cette industrie s’abaissent au niveau des prix du marché général du monde, nos producteurs ne participent pas, pour leur nourriture, aux avantages de ce niveau. Si le prix des subsistances, c’est-à-dire des articles que nous n’exportons jamais, et que nous sommes souvent forcés d’importer, est matériellement plus élevé ici que partout ailleurs, cette cherté ne peut influer sur le prix des articles que nous exportons, elle doit retomber par voie de déduction, soit sur le salaire et le bien-être des ouvriers, soit sur les profits de ceux qui les emploient. De là, une lutte permanente entre les profits du capital et les profits du travail, lutte dont l’effet constant est d’abaisser le niveau des uns et des autres ; car l’inconvénient sous le poids duquel ils combattent s’accroît à mesure que les manufactures rivales de l’étranger tendent davantage, par leurs progrès, à égaler les nôtres[12]. »

Il fallait évidemment, pour corriger cette situation, faire disparaître ou atténuer les causes factices de l’exagération des prix des grandes consommations et de la diminution des profits. Plusieurs années auparavant, en 1821, M. Huskisson le conseillait à une commission de la chambre des communes. « Vous ne pouvez vous dissimuler, disait-il, que, la somme nominale des impôts demeurant la même, le poids cependant, depuis la paix, doit en être devenu plus lourd à supporter dans la proportion de la diminution de revenu éprouvée par les capitaux engagés dans l’agriculture, le commerce et l’industrie. Il ne faut donc épargner aucun effort pour diminuer ces charges. » Mais en 1830 toutes les réductions possibles sur les dépenses publiques avaient été opérées ; la situation n’était pourtant pas meilleure : il fallait aller plus loin encore. « Puisque le chiffre de nos dépenses ne peut plus être réduit, disait M. Huskisson, ne devons-nous pas chercher à parer au mal, en remaniant le système actuel de l’impôt, en en modifiant l’assiette et la distribution ? »

Examinant donc les deux branches les plus considérables du revenu, l’excise et les douanes, dont le produit formait plus des trois quarts des recettes du budget, M. Huskisson n’avait pas de peine à montrer combien l’exagération de ces impôts devait être funeste à l’industrie et au commerce, dont ils prélevaient les bénéfices les plus nets. Pour diminuer ces charges, pour relever l’industrie, il n’y avait plus qu’une mesure à essayer : frapper d’une taxe directe les revenus de la propriété. M. Huskisson la proposait hardiment, et réunissait à l’appui de son opinion les argumens les plus péremptoires que l’on ait jamais fait valoir en faveur de cette réforme des finances anglaises. « D’abord, disait-il, il n’y a pas de pays en Europe qui ait une portion aussi considérable de son budget pesant directement sur les revenus du travail et du capital employés à la production ; — secondement, il n’y a pas de pays égal en étendue à celui-ci, je pourrais même dire cinq fois plus vaste, qui compte une masse aussi considérable de revenus appartenant aux classes qui ne les emploient pas directement à la production ; — troisièmement aucun pays n’a une aussi grande partie de ses finances hypothéquées ; plus le fardeau de la dette est lourd, plus nous sommes intéressés à réaliser une mesure qui, sans être injuste à l’égard du propriétaire de l’hypothèque, diminuerait néanmoins pour nous les charges de la dette ; — quatrièmement enfin, dans aucun autre pays du monde, une partie aussi considérable de la classe qui n’est pas engagée dans la production ne dépense ses revenus à l’étranger. On me dira, je le sais, qu’en taxant leurs revenus, vous courez le risque de pousser les propriétaires à retirer aussi du pays leurs capitaux. Je réponds que sur cent non-résidens, quatre-vingt-dix-neuf n’ont pas ce pouvoir sur la source de leur revenu, et en outre que nous sommes aujourd’hui menacés par un danger bien plus alarmant, le danger de voir émigrer dans d’autres contrées, où un placement plus avantageux leur serait assuré, les capitaux de ce pays employés à la production. Si vous voulez prévenir ce péril, venez en aide à l’industrie[13]. »

III.

Ces graves paroles annonçaient une réaction prochaine contre l’impulsion imprimée par sir Robert Walpole aux finances britanniques vers les impôts indirects. Dix ans après, en 1840, les faits avaient développé les difficultés si bien analysées par M. Huskisson, et exigeaient, comme une nécessité immédiate, la solution d’abord suggérée par une habile prévoyance. Les impôts de consommation avec un produit de près d’un milliard ne pouvaient plus atteindre au niveau des dépenses, et le budget se soldait en déficit. Le chancelier de l’échiquier, M. F. Baring, crut pouvoir remplir les vides du trésor en augmentant de 5 pour 100 du taux existant les droits de douanes et d’excise, et de 15 pour 100 les impôts de quotité (assessed taxes) ; mais cette mesure échoua. Si sur le produit de l’impôt direct, des assessed taxes, il y eut un accroissement qui dépassa les espérances de M. Baring, cette branche du revenu étant relativement peu considérable, le résultat fut en réalité insignifiant ; sur l’impôt indirect, au contraire, le chancelier de l’échiquier éprouva une énorme déception. Au lieu de 50 millions qu’il attendait, le droit additionnel de 5 pour 100 ne produisit pour l’année 1841 que dix millions. Il était bien évident que l’extrême limite des taxes sur les consommations, comme moyen de revenu, était atteinte et même dépassée[14]. Le budget ne pouvait prélever rien de plus sur les salaires du travail et les profits des capitaux industriels. Cependant il fallait combler le déficit ; le moment était venu d’entrer dans la voie que M. Huskisson avait indiquée. Le ministère whig, qui avait alors les affaires, ne prit qu’un côté de ce système et l’exagéra. Il proposa comme moyen de revenu le dégrèvement radical de ces quatre articles de grande consommation : les céréales, le sucre, le café et les bois de construction. Les intérêts industriels avaient, il est vrai, à s’applaudir de ce plan, et à la veille de quitter le pouvoir, pour un parti qui voulait prendre sur ces intérêts son principal appui, il était habile sans doute d’en arborer si franchement et si fièrement le drapeau ; mais, pour parer aux exigences immédiates de la situation, rien de plus illusoire que les mesures projetées par les whigs. Elles blessaient trop fortement et l’intérêt de la propriété territoriale en portant un coup décisif au monopole des céréales, et l’intérêt des colonies et de quelques ports de mer en touchant au monopole des planteurs des West Indies, pour être actuellement réalisables. D’ailleurs, et c’était pourtant la chose essentielle, elles ne pouvaient assurer avec précision au budget l’appoint du déficit. Si lord John Russell ne s’arrêta pas à l’idée, seule pratique, seule sérieuse, d’une taxe directe sur les revenus, nous ne saurions l’attribuer qu’à la faiblesse politique du ministère whig, impuissant à vaincre, même dans son propre parti, les répugnances que soulevait un impôt de cette nature.

Plus heureux, l’homme d’état éminent qui était alors le chef incontesté du parti conservateur put accepter pleinement l’héritage des idées de son ancien collègue, M. Huskisson. Dans les termes où les whigs l’avaient engagée, la question du déficit mettait en présence trois ordres d’intérêts : les intérêts territoriaux et coloniaux, réclamant le maintien des priviléges sur lesquels les lois du pays avaient assis leur existence ; les intérêts industriels, réclamant à la fois la réduction des droits sur les grandes consommations, afin de pouvoir produire à moins de frais, et l’encouragement de l’importation étrangère pour agrandir les débouchés de leurs produits ; enfin l’intérêt financier de l’état, le plus impérieux, le plus pressant de tous, réclamant, lui, au nom du crédit public et de la puissance politique du pays, un accroissement immédiat de revenu. Sir Robert Peel, en homme de gouvernement sérieux, avait d’abord à satisfaire complètement et sûrement le dernier intérêt : où devait-il chercher un accroissement immédiat et certain de revenu ? De l’impôt indirect, on peut l’obtenir par deux systèmes contraires, en procédant par augmentation ou par réduction de droits ; mais l’échec récent de M. Baring venait de prouver l’inefficacité du premier de ces moyens dans les circonstances actuelles. Quant au second, lors même qu’il n’eût pas été repoussé par les intérêts auxquels sir Robert Peel empruntait sa force politique, le résultat en était hasardeux. « Au lieu donc de songer à demander l’accroissement du revenu aux taxes sur la consommation, c’est mon devoir, déclarait sir Robert Peel dans cette fameuse nuit du 11 mars 1842 où il exposa son plan financier, c’est mon devoir de m’adresser aux propriétaires… Je propose que les revenus de ce pays soient appelés à contribuer au budget pour une certaine somme, afin de remédier au mal immense et croissant du déficit. » Mais sir Robert Peel attendait plus encore de la taxe des revenus ; il voulait s’en servir pour alléger les souffrances des intérêts industriels et commerciaux. « Je fais appel aux revenus, ajoutait-il, non-seulement pour suppléer au déficit, mais pour me mettre à même d’accomplir de grandes réformes commerciales qui puissent ranimer le commerce et apporter aux intérêts manufacturiers des soulagemens dont les heureux effets réagiront sur tous les autres intérêts du pays. »

La réforme que le premier ministre annonçait était la révision générale des tarifs. Le déficit comblé, sir Robert Peel se promettait de l’income tax un surplus de trente millions de francs environ ; il voulait en faire profiter les intérêts industriels, en combinant les diverses réductions de droits de manière à dégrever d’une somme égale le montant des impôts indirects. Nous ne reviendrons pas sur les détails de cette grande mesure financière, qui d’ailleurs ont été exposés et discutés ici avec soin dans des travaux spéciaux ; il suffit d’en rappeler les dispositions générales : lever les prohibitions et diminuer les droits de nature prohibitive, sur les matières premières n’en plus laisser aucun au-dessus de 5 pour 100 de la valeur, fixer la limite extrême sur les articles demi-manufacturés à 10 ou 12 pour 100, et à 20 sur les marchandises entièrement manufacturées ; abaisser en même temps les droits et sur les produits coloniaux et sur les articles étrangers similaires de ces produits ; enfin abolir tout droit d’exportation sur les manufactures anglaises[15] : telles furent les lignes principales du plan de sir Robert Peel. Il croyait même, grace à ces combinaisons nouvelles, pouvoir produire dans les frais de la consommation de l’Angleterre une diminution suffisante pour faire regagner aux fortunes soumises à l’income tax la valeur de leur contingent dans cet impôt. S’il faut aujourd’hui l’en croire, l’expérience n’aurait pas démenti sur ce point ses prévisions. « J’ai recueilli des informations diverses, disait-il naguère[16], auprès de personnes possédant de grands ou de petits revenus : elles s’accordent à reconnaître qu’en apportant à leurs dépenses une attention convenable, elles ont pu, par suite de la diminution des prix sur un grand nombre d’articles, réaliser une économie supérieure au montant de leur taxe. » Ce résultat serait à lui seul un fait économique très remarquable ; il ne faut pas oublier d’ailleurs que, l’income tax n’étant levée que sur les revenus de plus de 100 livres sterl., la masse de la population jouit complètement de l’avantage de la baisse de prix produite par la combinaison de sir Robert Peel.

Cependant, quelque judicieuses qu’aient été les mesures de cet habile ministre, elles n’ont pu prévenir la crise qui a si douloureusement pesé sur l’Angleterre durant les six derniers mois de 1842. On s’est beaucoup préoccupé en Europe des effets de cette crise ; c’était surtout, à notre avis, la cause réelle et profonde de ce fait qui devait fixer l’attention. Les crises commerciales sont, depuis la paix, une des nombreuses maladies chroniques de l’Angleterre. Mais, jusqu’à présent, elles avaient été provoquées par de brusques accidens, comme celle de 1837 par exemple, contre-coup de l’ébranlement du crédit public aux États-Unis. Au contraire, la crise de 1842 n’a été que la conséquence d’un resserrement naturel des affaires qui s’est manifesté par une diminution des exportations de 1842, comparées à celles de 1841, que le président du bureau du commerce, M. Gladstone, évaluait à environ un quinzième[17].

La cause permanente des crises commerciales en Angleterre est cette diminution des profits du capital et du travail constamment aggravée par les progrès des industries étrangères, que nous avons vue signalée plus haut par M. Huskisson. Vainement, pour expliquer la crise de 1842, allègue-t-on une foule de faits particuliers : les lois sur les céréales, l’extension imprudente donnée au crédit par les banques à fonds unis, le perfectionnement des machines, l’absorption dans les emprunts étrangers d’une somme de capitaux anglais qui, dans ces vingt dernières années, a atteint le chiffre de 1,500 millions de francs, ou les pertes infligées au pays par quatre mauvaises récoltes consécutives de 1838 à 1841 (pertes que M. Gladstone évalue à 10 millions sterling par an, ce qui ferait un milliard de francs en tout), etc. ; quelques-unes de ces causes ont sans doute contribué à faire éclater la crise, mais elles ne sont pas les seules, ni même les plus considérables. Vainement encore parlerait-on de l’excès de la production (over-production). Pour que ce mot explique quelque chose, il faut qu’il soit lui-même expliqué. L’excès de la production n’est qu’une conséquence, la conséquence forcée de la diminution des profits. « Lorsque, subissant une diminution constante, les profits ont touché à ces limites au-delà desquelles le commerce ne trouve plus de marge suffisante pour opérer sans perte la transformation des capitaux, nos manufacturiers, dit M. Gladstone, se précipitent dans la lutte avec cette indomptable obstination naturelle à la race anglaise, et qui quelquefois, dans les complications des affaires humaines, accroît les embarras par les efforts même qu’elle fait pour en sortir. On comprend, sans être initié aux procédés actuels du commerce, comment, par un motif tout-à-fait innocent, louable même, des hommes peuvent persister ainsi à lutter par l’augmentation des produits contre la diminution des profits, quoique ce combat inégal, en reculant le jour de la crise, ne fasse qu’en aggraver l’intensité. » En descendant à la racine des choses, l’excès de la production est, on le voit, la conséquence nécessaire de l’engorgement des capitaux et de l’insuffisance des profits. Les funestes effets de l’over-production découlent donc de ce péril, « le plus formidable, dit M. Gladstone, le seul peut-être qui soit constamment à redouter pour notre industrie agricole et manufacturière : le resserrement sérieux, veux-je dire, du cercle du commerce anglais. »

Ce resserrement, à quoi l’attribuer, sinon à la pression des industries étrangères fermant, amoindrissant ou disputant à l’Angleterre ses débouchés. L’année 1842 a vu cette action des nations productrices du monde contre l’industrie et le commerce britanniques se manifester dans la promulgation presque simultanée de six tarifs hostiles aux intérêts anglais. C’est un fait grave que ces tarifs lancés au moment même où sir Robert Peel présentait avec tant de bruit ses réductions de tarif comme un exemple de libéralisme en matière de commerce. Les élévations de droits décrétées sur les produits britanniques par la Russie, le Portugal et l’Espagne, n’étaient pas sans doute de nature à affecter douloureusement le royaume-uni, mais il n’en était pas de même de l’ordonnance qui, en France, doublait les droits sur les fils de lin anglais ; dans le Zollverein, du décret qui, indépendamment d’autres altérations très défavorables au commerce britannique, élevait de 30 thalers (le centner) au chiffre exorbitant de 50 thalers les droits sur les tissus mêlés de coton et de laine de plusieurs couleurs ; enfin du tarif américain imposant sur les manufactures anglaises des droits qui varient de 30 à 40 et 50 pour 100, et dont l’effet immédiat fut d’arrêter, l’automne dernier, dans les ports d’Angleterre, des chargemens considérables de tissus de coton qui allaient être expédiés pour les États-Unis.

Sir Robert Peel se flattait du moins de regagner par des traités de commerce le terrain que les tarifs hostiles enlevaient à l’industrie britannique. En vue des négociations commerciales, il avait excepté de l’abaissement général des droits plusieurs articles manufacturés ou de consommation de luxe, les soieries et les vins par exemple, et il annonçait qu’il ne les dégrèverait qu’en obtenant des pays intéressés des concessions équivalentes en faveur des marchandises anglaises. Les intérêts industriels attendaient avec anxiété l’issue de ces négociations, dont le succès pouvait seul faire supporter patiemment les protections exorbitantes maintenues encore à leurs dépens en faveur des intérêts agricoles et coloniaux ; mais on sait qu’en matière de traités de commerce, la politique de sir Robert Peel a été sur tous les points mise en déroute. Le parti industriel a redoublé alors d’exigences, il a repris l’argument déjà formulé dans la pétition de 1820 : « L’Angleterre doit abandonner le système restrictif, alors même que les autres états s’opiniâtreraient à le maintenir contre elle ; car, même dans cette hypothèse, ce système ne porterait pas un moins grave préjudice aux capitaux et à l’industrie britanniques. » Ce parti ne voit plus dans les traités de commerce qu’un vain leurre dont il ne veut pas se laisser plus long-temps amuser ; tel est le sens de la résolution qu’il a proposée dernièrement[18] dans la chambre des communes par l’organe de M. Ricardo, résolution qui demandait « qu’il fût présenté à sa majesté une humble adresse lui exprimant respectueusement que, suivant l’opinion de la chambre, il ne convenait pas que les réductions sur les droits d’importation fussent ajournées dans le dessein d’en faire la base de négociations commerciales avec les autres pays. »

La motion de M. Ricardo a été rejetée par une majorité de 74 voix, mais elle a soulevé un débat dont les enseignemens, nous l’espérons, ne seront pas perdus pour les gouvernemens européens. Les orateurs qui l’ont combattue, M. Gladstone, lord Sandon, M. d’Israeli, sir Robert Peel, ont fait, aussi bien que lord Howick et lord John Russell, qui l’ont soutenue, de précieux aveux, soit sur les nécessités présentes du commerce anglais, soit sur les dispositions des nations étrangères à l’égard des doctrines économiques que l’Angleterre a récemment adoptées. « Est-ce que l’opinion publique, demandait lord Sandon, a pris dans les pays étrangers une direction favorable à la liberté du commerce ? Bien au contraire : nous voyons qu’à mesure que les institutions libérales se répandent sur le continent, les peuples se montrent moins disposés à recevoir de nous tout produit manufacturé qui peut faire ombrage chez eux au moindre intérêt local. » À chaque pas qu’a fait l’Angleterre dans la voie de la réduction des droits, les autres pays, disait M. d’Israeli, qui connaît bien le continent, ont augmenté leurs restrictions, et si leurs économistes sont convaincus qu’en excluant nos marchandises par des droits élevés, tandis que nous admettons les leurs à des droits nominaux, ils suivent un système favorable à la prospérité de leur pays, on ne saurait supposer qu’ils puissent abandonner une politique dont ils attendent de semblables résultats. Au contraire, plus nous relâcherons nos tarifs, plus ils élèveront les leurs. » Je doute qu’il suffise aux conservateurs de constater ces dispositions des nations étrangères pour répondre légitimement au cri des manufacturiers : « ne vous occupez pas de nous chercher des débouchés ; commencez d’abord par agrandir la somme de nos consommations, et laissez-les arriver sur nos marchés à leurs prix naturels, » que M. Ricardo a énergiquement traduit dans la formule suivante : Prenez soin de nos importations ; nos exportations auront soin d’elles-mêmes (take care of our imports ; our exports will take care of themselves). Si les manufacturiers et les whigs se bercent d’une chimérique espérance, lorsqu’ils se flattent de voir les nations étrangères abaisser leurs tarifs à l’exemple et dans l’intérêt de la Grande-Bretagne, ne peuvent-ils pas reprocher aux tories, avec une raison égale, de poursuivre dans les traités de commerce une fuyante et trompeuse perspective ? « Je demande à la chambre, disait lord Howick, de considérer simplement où nous en sommes. Pendant plusieurs années, les hommes les plus habiles des deux grands partis de ce pays ont été employés sans résultat à des négociations dont les plus importantes viennent d’être rompues. Plus on s’obstine à suivre cette marche, plus l’espoir d’arriver à quelque arrangement semble reculer. Et si l’on songe à la jalousie avec laquelle les nations étrangères voient notre prééminence commerciale et à la crainte qu’elles ont d’être débordées par nous, est-il un homme raisonnable qui puisse croire que des négociations commerciales aient pour l’avenir de meilleures chances de succès qu’elles n’en ont eu jusqu’à présent ? »

Au fond, en réunissant les avis des tories et des whigs, on formerait une opinion unanime à reconnaître la répugnance des nations étrangères à abaisser leurs tarifs soit comme mesure générale, soit comme condition particulière de traités de commerce. Mais tandis que les tories ne voient dans cette disposition hostile qu’un argument en faveur du statu quo, les whigs et le parti manufacturier, déjà plus logiques, ce semble, lorsqu’ils disent : — Laissez à l’étranger importer ses produits, il sera bien forcé d’exporter les nôtres en retour, — ont encore l’avantage sur plusieurs questions de pratique immédiate. Sir Robert Peel, nous l’avons dit, a maintenu des droits élevés sur quelques articles, les soieries entre autres, dans la pensée d’en subordonner l’altération à la conclusion des traités commerciaux. Or, pendant que les négociations traînent en longueur, la contrebande se joue de ces droits et frustre le trésor. L’année dernière, lord Ripon, alors président du bureau de commerce, disait à la chambre des lords que tout article manufacturé français pouvait être introduit en fraude en Angleterre moyennant une prime de 10 ou 12 pour 100 de la valeur des marchandises. À l’appui de cette assertion, sir Robert Peel montrait à la chambre des communes une lettre émanée d’un négociant engagé dans le commerce indirect (c’est ainsi qu’il appelait la contrebande) ; ce négociant y déclarait qu’il se chargeait de faire entrer des soieries en Angleterre moyennant une prime de 8 à 10 pour 100, et d’autres articles à un taux un peu plus élevé. Sur les spiritueux, les fraudes sont énormes. Le trésor a donc un intérêt réel à la réduction immédiate de certains droits. C’était la considération sur laquelle lord John Russell insistait de préférence en défendant la motion de M. Ricardo. L’avantage que la France retirerait de cette réduction lui paraissait même une raison décisive de l’opérer sans retard. Ses paroles sur ce point sont au moins assez piquantes pour être citées. M. Gladstone attribuait l’insuccès des négociations commerciales avec la France à l’activité et à l’influence politique de nos manufacturiers, qui dominent, ce sont ses expressions, « une administration beaucoup moins forte, nous regrettons de le dire, qu’elle ne mérite de l’être (far less strong, we regret to say, than it deserves). » Lord John Russell a une manière de porter intérêt à notre cabinet qui serait peut-être plus profitable à notre pays. « Sans doute, disait-il, nous devons désirer l’accroissement de notre commerce avec la France ; mais, après ce que nous avons vu durant les trois dernières années, une chose est certaine à mes yeux, c’est que, si nous réussissons à conclure un traité de commerce avec la France, une grande partie de la nation française croira que nous lui aurons extorqué un marché désavantageux pour ses intérêts, et que son ministère se sera laissé entraîner à un compromis injurieux à son pays par une servilité blâmable envers l’Angleterre : telle n’est pas, assurément, l’impression que nous devons avoir en vue de produire. Au contraire, si nous admettons à des droits assez bas pour neutraliser les efforts de la contrebande quelques-uns des principaux produits de la France, nous nous concilierons infailliblement le bon vouloir de ce pays, et nous servirons mieux par là nos intérêts que par un traité de commerce, à quelque condition que nous puissions espérer de l’obtenir[19]. »

Sir Robert Peel, obligé par les nécessités de sa position politique à retarder des progrès auxquels sa haute raison ne saurait être hostile, n’opposait qu’un système de temporisation aux réclamations du parti industriel. Sur les principes, il n’a pas une opinion différente de celle de ses adversaires. « Il y a des principes, disait-il, que je serai le dernier à déserter ; je l’ai assez prouvé dans la discussion du tarif. J’ai déclaré alors que, dans les arrangemens commerciaux, nos intérêts domestiques doivent passer en première ligne, et qu’il serait absurde de nous punir nous-mêmes parce que d’autres pays refuseraient d’adopter des combinaisons analogues aux nôtres relativement aux droits d’importation. Ces principes, je les professais l’année dernière, je les professe encore. » Mais sir Robert Peel déclarait que, s’il en ajournait l’entière application, c’était parce qu’il conservait l’espoir de conclure des traités de commerce. « La réduction de nos droits, disait-il, est chose excellente sans contredit ; mais si, en l’opérant, nous pouvons parvenir en même temps à faire diminuer par d’autres nations les droits qu’elles lèvent sur nos produits, ne vaut-il pas mieux poursuivre un double résultat qu’un seul but ? » Amené à parler des négociations avec la France, « au point où elles sont arrivées, s’écriait-il, dire à la France : Nous allons opérer des réductions sur les droits que vos produits paient chez nous, et nous vous avertissons que nous n’attendons pas de retour de votre part, ce serait, suivant moi, dans la situation actuelle du pays, un acte de prodigalité que cette chambre ne pourrait sanctionner[20]. »

Il est permis de douter que la confiance de sir Robert Peel dans le succès futur de ses négociations commerciales soit appuyée sur des fondemens bien solides. Les vagues espérances qu’il devait alléguer pour justifier sa résistance aux sollicitations du parti industriel laissent donc entière la grande question économique sur laquelle pivote aujourd’hui tout l’intérêt de la politique commerciale de l’Angleterre ; il s’agit de savoir si l’on satisfera ce double et impérieux besoin de l’industrie britannique, qui demande l’agrandissement des débouchés et la diminution des frais de la production, ou par une mesure générale, un abaissement de tarifs sans réciprocité, ou par des mesures spéciales, des compromis particuliers, des traités de commerce. Ce problème est la forme sous laquelle se produit aujourd’hui la lutte entre le parti industriel et le parti de la propriété territoriale. Les préoccupations qu’il excitait il y a deux mois, un moment effacées par l’agitation irlandaise, ne tarderont pas à se manifester avec plus de force, au premier embarras que le contre-coup de cette agitation (M. O’Connell se le promet bien et l’a donné à entendre) jettera dans le mouvement de l’industrie anglaise et dans les finances du royaume-uni.

Devant cette situation qui touche de si près aux intérêts des grandes nations industrielles du monde, il est naturel de se demander quelle est l’attitude que ces nations doivent garder ou peuvent prendre. Une considération préalable nous semble dominer cette question. Il n’est pas de pays que le besoin de placer ses produits presse avec autant de force et par autant de côtés que l’Angleterre. Là, ce sont d’immenses capitaux qui ne peuvent trouver leurs profits nécessaires que dans un développement industriel énorme et toujours croissant. Là, l’existence de plusieurs millions de travailleurs est suspendue aux moindres vacillations de la machine commerciale. Là, des finances obérées, ayant à faire face à des besoins toujours plus grands, tirent presque uniquement leurs ressources du mouvement des affaires mercantiles et en subissent les perpétuelles et périlleuses vicissitudes. Ajoutez que ces nécessités vont sans cesse s’aggravant depuis un quart de siècle par l’effet naturel de la double concurrence du dedans et du dehors, et qu’il y a un an à peine elles se manifestaient à la fois par une diminution considérable du commerce, par une suspension de travail qui a poussé les ouvriers jusqu’à la limite des séditions, et par un déficit considérable dans le revenu. Bien loin, certes, de se trouver dans une situation aussi difficile, aussi tendue, aussi exposée, les grandes nations productrices du monde, la France et l’Allemagne, en première ligne, voient au contraire leur industrie et leur commerce s’accroître par un progrès continu et sûr ; elles ont donc sur l’Angleterre, à l’égard de ces vastes mesures, réformes radicales de tarifs ou traités de commerce, l’immense avantage de pouvoir temporiser sans péril, probablement même avec profit. L’Angleterre traverse une phase critique : son gouvernement vient de tenter une expérience qui n’est elle-même qu’une transition forcée vers un état de choses très voisin d’une entière liberté commerciale ; le plus simple bon sens n’indique-t-il pas qu’il y a tout à gagner à attendre et à accélérer, même par cette attitude expectante, le développement de faits qui doivent tourner à l’avantage de toutes les nations commerçantes, et dont d’irrésistibles tendances rendent infaillible l’accomplissement prochain[21] ?

Nous ne sommes pas les adversaires systématiques de tout traité de commerce avec l’Angleterre, et nous entrevoyons même dans l’avenir telle circonstance à la faveur de laquelle une convention de cette nature pourrait s’accomplir avec profit ; mais aujourd’hui il ne faut pas avoir fait une étude bien profonde des nécessités de la situation économique et politique du royaume-uni pour pouvoir apprécier l’étendue du service qu’on lui rendrait en lui accordant le traité qu’il nous demande. Il importerait surtout de bien songer, si l’on se croyait soi-même sollicité par quelque intérêt considérable à accueillir ses avances, qu’il serait aujourd’hui plus impardonnable que jamais de faire avec l’Angleterre un marché de dupe. Le péril qu’il y aurait à commettre une faute aussi lourde nous paraît devoir suffire en ce moment pour refroidir les résolutions les plus téméraires. Cependant des hommes d’état perspicaces trouveraient peut-être ailleurs des motifs d’ajournement plus solides et non moins puissans.

L’Angleterre laisse, sans doute, bien loin encore derrière elle les nations qui la suivent de plus près dans les voies du commerce et de l’industrie. Ce n’en est pas moins à nos yeux une chose très grave et qui donne à réfléchir que la tendance prononcée du commerce anglais à diminuer, je ne dis pas seulement dans l’importance de ses bénéfices, mais encore dans le chiffre brut de ses affaires, tandis qu’au contraire, chez plusieurs autres nations, en France et en Allemagne par exemple, l’industrie et le commerce suivent une marche ascensionnelle qui ne semble pas près de s’arrêter. Il y a là un symptôme significatif : ces contrées procurent apparemment aux capitaux qu’elles emploient plus de profits que l’Angleterre ne peut en donner aux siens. Aussi remarquez le mouvement des capitaux anglais vers les entreprises continentales. Sans rappeler la part qu’ils ont déjà prise dans les emprunts, ne voit-on pas comme ils viennent s’offrir aujourd’hui, en France, à concourir à la construction des chemins de fer ? Si elle n’est pas maladroitement traversée, la force et l’étendue de cette impulsion ne peuvent manquer de s’accroître. Il y a en Angleterre deux sortes de capitaux : les uns sont attachés immuablement au pays, avec les propriétés foncières et les fonds publics qui les représentent ; les autres, mobiles et flottans, commanditent l’industrie et le commerce ; ceux-ci sont cosmopolites, ils n’ont pas de patrie, ils vont où les profits les appellent. Or, tandis que l’Angleterre, par la constitution illogique de son système financier, ne touche encore que légèrement aux revenus des premiers, qu’elle fait peser sur les seconds la part la plus lourde des charges publiques, la politique des nations industrielles serait-elle de créer à ceux-ci de nouveaux profits en Angleterre, et de fortifier ainsi les liens débiles par lesquels ils y sont encore retenus, lorsqu’au contraire, en maintenant la situation actuelle, en usant habilement des avantages qu’elle leur offre, elles peuvent en seconder, en activer l’émigration, déjà commencée sur une échelle considérable ? Le XVIIIe siècle a vu s’accomplir, par un semblable déplacement de la richesse mobile, la décadence commerciale de la Hollande. Les grands capitalistes hollandais avaient disséminé leurs capitaux chez les nations étrangères, quoique la plupart, comme le remarquait Adam Smith, occupant des emplois élevés dans la république, parussent devoir tenir, plus que les négocians des autres contrées, à conserver leur fortune auprès d’eux. Dès 1830, M. Huskisson s’alarmait pour l’Angleterre de cette émigration, dont il avait vu l’origine et calculé toute la portée. Il savait bien, en effet, que le principal fondement de la suprématie commerciale de son pays était cette accumulation de richesse mobile qui pendant tant d’années s’était si prodigieusement et si persévéramment accrue. Ce n’est pas sans doute à cette suprématie que la France et les autres nations doivent viser ; mais elles peuvent et doivent prétendre à diminuer de plus en plus une inégalité qui maintient entre les puissances politiques de trop menaçantes disproportions. Le moyen le plus sûr d’atteindre ce résultat n’est-il pas de favoriser les changemens qui tendent naturellement à s’opérer aujourd’hui dans la répartition des capitaux entre les nations commerçantes ? Si la richesse s’est jusqu’à ce jour concentrée en Angleterre, qu’on n’en oublie pas surtout la principale cause : c’est que là seulement, grace à une constitution fermement assise et à des lois inspirées par les intérêts représentés du pays et contrôlées par le bon sens national, elle trouvait une sécurité que l’ignorance ou la folie du pouvoir absolu lui refusait sur le continent. La paix générale et de libres institutions assurent aujourd’hui le même privilége à notre patrie, et l’attraction qu’elle commence à exercer sur les capitaux anglais n’est pas le moindre des bienfaits dont elle soit redevable à ces institutions qu’elle a conquises et à cette paix qu’elle a maintenue au prix de tant de sacrifices. Ne serait-ce donc pas céder à un entraînement aveugle que de renoncer aux avantages qu’elle peut s’en promettre ? Les partisans du traité de commerce avec l’Angleterre parlent beaucoup, il est vrai, des garanties qu’il donnerait à la paix. Pour nous, nous ne pensons pas que ce serait se montrer ami fort intelligent de la paix que de s’exposer à en perdre un des fruits les plus précieux, en faisant témérairement avorter un état de choses qu’elle a tant contribué à produire.


E. Forcade.
  1. On trouve souvent exprimés dans les discours prononcés aux assemblées des notables sur des questions de finance et de commerce, à la fin du XVIe et au commencement du XVIIe siècle, ainsi que dans des mémoires rédigés à la même époque par les négocians, les principes les plus sains et les plus avancés d’économie politique, vaines protestations qui échouaient contre l’ignorance, les passions mauvaises, souvent même contre les besoins immédiats et l’impuissance réelle du gouvernement. Colbert lui-même ne put abolir la douane de Lyon, cette coutume qui obligeait presque toutes les marchandises, matières premières ou manufacturées, qui sortaient de l’est et du midi de la France, ou qui y étaient importées, à passer par Lyon pour y acquitter des droits exorbitans. Que l’on se représente les camelots de Lille prenant le chemin de Lyon pour se rendre à Bayonne, et l’on comprendra ce qu’il y avait de monstrueusement absurde et de mortel au commerce dans cette loi barbare. La douane de Lyon eut une sœur cadette non moins vexatoire qu’elle dans la douane de Vienne, devenue plus tard douane de Valence. Celle-ci obligeait toutes les marchandises venant tant de l’étranger que de la Provence, du Languedoc, du Vivarais, du Dauphiné, etc., pour aller à Lyon, soit par eau, soit par terre, ou allant de Lyon dans ces provinces, à passer par Vienne, et dans la suite par Valence. Elle fut établie par Henri IV. Elle n’était destinée, dans l’origine, qu’à fournir au gouverneur de Vienne le montant d’une somme stipulée pour la reddition de la place entre les mains du roi. On le voit, l’industrie et le commerce payaient durement les frais de l’affranchissement du pouvoir monarchique.
  2. Coxe, Memoirs of sir Robert Walpole. — Ad. Smith’s Wealth of nations.
  3. Parliamentary History, t. XXVI, p. 386.
  4. Parliamentary History, t. XXVI, pag. 392.
  5. Mac Pherson’s Annals of commerce.
  6. Speeches of the right hon. W. Huskisson, t. II, p. 345 ; Exp. of the foreign commercial policy of the country.
  7. Principles of political economy, third edit., p. 164.
  8. « Le commerce extérieur, disaient les pétitionnaires dans ce document, qu’il faut citer comme l’un des plus intéressans de l’histoire économique de l’Angleterre, est du plus haut intérêt pour la prospérité de ce pays. C’est par ce commerce en effet que nous tirons du dehors les marchandises que le sol, le climat, le capital, l’industrie des autres contrées les met à même de fournir à de meilleures conditions que nous, et qu’en retour nous exportons celles à la production desquelles notre situation spéciale nous donne plus d’aptitude.

    « L’affranchissement de toute restriction doit donner la plus grande extension au commerce extérieur et imprimer la meilleure direction possible au capital et à l’industrie de ce pays.

    « La maxime que suit chaque négociant dans ses affaires privées : acheter dans le marché le moins cher et vendre dans celui où le prix est le plus élevé, doit être strictement appliquée au commerce de la nation tout entière.

    « Une politique fondée sur ces principes ferait du commerce du monde un échange d’avantages mutuels et répandrait parmi les habitans de chaque contrée un accroissement de richesse et de bien-être.

    « Malheureusement une politique contraire a prévalu et est encore pratiquée par le gouvernement de ce pays et les états étrangers. Chaque pays s’efforce d’exclure les productions des autres contrées, sous le prétexte d’encourager les siennes. Ainsi, chaque pays inflige à la masse de ses habitans qui sont consommateurs la nécessité de subir des privations sur la quantité ou la qualité des marchandises, et fait de ce qui devrait être une source de bénéfices réciproques et d’harmonie entre les états une occasion toujours renaissante de jalousie et d’hostilité.

    « Les préjugés régnans en faveur du système prohibitif ou restrictif peuvent être attribués à la supposition erronée que toute importation de marchandises étrangères diminue et décourage d’autant notre propre production ; mais il est très facile de réfuter cette opinion : il ne peut y avoir importation pendant une certaine période de temps sans une exportation correspondante directe ou indirecte. Si une branche de notre industrie n’était pas en état de soutenir la concurrence étrangère, ce besoin d’exportation encouragerait donc davantage les productions pour lesquelles nous aurions plus d’aptitude, et ainsi un emploi au moins égal, probablement plus considérable et à coup sûr plus avantageux, serait assuré à notre capital et à notre travail. »

    À cet exposé préliminaire de principes, les pétitionnaires faisaient succéder des considérations sur les motifs d’opportunité qui devaient, suivant eux, porter l’Angleterre à effacer du tarif celles des restrictions qui ne compensaient pas, par les produits qu’elles rapportaient au revenu de l’état, les sacrifices qu’elles coûtaient au pays.

    « Dans la conjoncture présente, ajoutaient-ils, une déclaration contre les principes anti-commerciaux de notre système restrictif serait d’autant plus importante, que récemment et à plusieurs reprises les négocians et les manufacturiers étrangers ont pressé leurs gouvernemens d’élever les droits protecteurs et d’adopter des mesures prohibitives, alléguant en faveur de cette politique l’exemple et l’autorité de l’Angleterre, contre laquelle leurs instances sont presque exclusivement dirigées. Évidemment, si les argumens par lesquels nos restrictions ont été défendues ont quelque valeur, ils ont la même force, employés en faveur des mesures prises contre nous par les gouvernemens étrangers.

    « Rien donc ne tendrait plus à neutraliser les hostilités commerciales des autres nations qu’une politique plus éclairée et plus conciliante adoptée par ce pays.

    « Quoique, au point de vue diplomatique, il puisse convenir quelquefois de subordonner la suppression de prohibitions spéciales, ou l’abaissement des droits sur certains articles, à des concessions proportionnelles de la part des autres états, il ne s’ensuit pas que, dans le cas où ces concessions ne nous seraient point accordées, nous dussions maintenir nos restrictions ; de ce que les autres états s’obstineraient dans un système impolitique, nos restrictions n’en porteraient pas moins préjudice à notre propre capital et à notre industrie. En ces matières, la marche la plus libérale est la plus politique.

    « En faisant lui-même ces concessions, non-seulement ce pays recueillerait des avantages directs ; il obtiendrait encore incidemment de grands résultats par la salutaire influence que des mesures si justes, promulguées par la législature et sanctionnées par l’opinion nationale, ne sauraient manquer d’exercer sur la politique des autres peuples. »

  9. Lord Liverpool, M. Canning, M. Huskisson, M. Robinson (lord Ripon).
  10. Alteration in the laws relating to the silk trade. — Speeches, t. II, p. 238.
  11. Speeches, t. III, p. 1-55. — State of the Navigation of the united kingdom.
  12. Speeches, tome III, page 542. — Exposition of the state of the country (March 16,1830).
  13. Speeches, t. III, p. 544-545. — Exposition of the state of the country.
  14. Le relevé des produits de l’excise et des douanes pendant les trois dernières années marque une progression décroissante qui prouve combien l’élasticité de cette branche du revenu a été épuisée :

    ANNÉES : 1840 : — — 37,760,000 livres sterling.
    1841 : — — 36,674,000
    1842 : — — 34,115,000

  15. La conséquence la plus importante de cette abolition était la liberté accordée à l’exportation des machines anglaises, les machines à filer ou à tisser le lin exceptées néanmoins.
  16. Séance de la chambre des communes du 8 mai 1843, discussion du budget.
  17. Foreign and Colonial Quarterly Review. Je cite ici un excellent article sur les dernières réformes commerciales de sir Robert Peel, que toute la presse de Londres a attribué au jeune président du bureau du commerce, M. W. E. Gladstone. Depuis que ce travail a paru, le relevé officiel des exportations de 1842 a été publié ; la diminution a été plus forte que ne le faisait pressentir M. Gladstone. La valeur déclarée des exportations avait été en 1841 de 44,609,000  liv. st. ; elle n’a été en 1842 que de 40,738,000. On voit que la différence est de près d’un onzième.
  18. Séance du 25 avril de cette année.
  19. Séance de la chambre des communes du 25 avril dernier.
  20. Discours de sir Robert Peel, séance du 25 avril. — Il y a quelques jours, dans la séance du 5 août, sir Robert Peel répétait encore, en répondant à une interpellation de M. Bowning, qu’il espérait mener à bien ses négociations avec la France.
  21. Nous croyons devoir citer ici les lignes qui servent, pour ainsi dire, de péroraison à l’article de M. Gladstone auquel nous avons fait souvent allusion déjà. Elles sont trop énergiquement significatives, et la position de celui qui les a écrites leur donne trop d’autorité pour ne pas mériter une attention sérieuse.

    « Ce n’est plus seulement un intérêt de science théorique, c’est un intérêt d’utilité pratique et immédiate, je dirai mieux : c’est une nécessité de fer qui veut que nous abordions avec plus de liberté la concurrence universelle sur tous les marchés du monde, et par conséquent que nous tournions tous nos efforts à diminuer les frais de notre production, en affranchissant des exactions fiscales les matériaux de notre industrie, et en allégeant, avec de justes égards pour les intérêts existans et les droits acquis sous la protection des lois établies, toutes les charges particulières qui, pesant sur le commerce, font, aux dépens de la communauté tout entière, les affaires de certaines classes. Si nous voulons prospérer, si nous voulons vivre, nous devons nous mettre en état, de manière ou d’autre, de lutter avec une main-d’œuvre moins chère, avec des taxes moins lourdes, avec des sols plus fertiles, avec des mines plus riches que les nôtres, et pour cela il faut, aussitôt que possible, que, chez nous, la main-d’œuvre et les matériaux qu’elle emploie soient libres. » Foreign and Colonial quarterly Review, p. 267.)