Poétique (trad. Ruelle)/Chapitre 20

Traduction par Charles-Émile Ruelle.
(p. 45-48).
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CHAPITRE XX


Des éléments grammaticaux de l’élocution.


I. Parmi les choses qui se rapportent à l’élocution, il y en a une catégorie qui rentre dans la théorie actuelle ; ce sont les formes d’élocution dont la connaissance appartient et à l’hypocritique et à celui à qui incombe ce genre d’exécution[1]. Telle est la question de savoir qu’est-ce que le commandement, la prière, le récit, la menace et leurs analogues.

II. En effet, la connaissance ou l’ignorance de ces moyens ne donne lieu de porter contre la poétique aucun reproche sérieux. Qui supposerait qu’il y a une faute dans ce fait critiqué par Protagoras que le Poète[2], pensant exprimer une prière, fait une injonction lorsqu’il dit :

Chante, déesse, la colère… ?

Ordonner, allègue-t-il, de faire ou de ne pas faire une chose, c’est une injonction. Laissons donc de côté cette considération comme étant du ressort non de la poétique, mais d’un autre art.

III. Voici les parties de toute élocution : l’élément[3], la syllabe, la conjonction, le nom, le verbe, l’article, le cas, le discours[4].

IV. L’élément est un son indivisible ; non pas un son quelconque, mais un son qui peut devenir naturellement un son intelligible. Car certains sons émis par les bêtes sont indivisibles, et cependant je n’appelle aucun d’eux élément.

V. Les parties du son dont je parle sont la voyelle, la demi-voyelle et l’aphone (ou muette). La voyelle est l’élément qui a un son perceptible à l’oreille, sans adjonction[5], comme, par exemple, A et O ; la demi-voyelle, l’élément qui a un son perceptible à l’oreille, avec adjonction, comme S et R. L’aphone est l’élément accompagné d’adjonction qui n’a par lui-même aucun son, mais qui devient perceptible à l’oreille quand il est accompagné d’éléments qui ont un son : tels, par exemple, le G et le D.

VI. Les éléments diffèrent entre eux par la forme de la bouche, par les lieux (d’émission), par l’aspiration et la non-aspiration, la longueur et la brièveté, enfin par l’acuité, la gravité et leur intermédiaire. C’est dans les traités de métrique qu’il convient de considérer ces divers points en détail.

VII. La syllabe est un son non significatif, composé d’un élément aphone et d’un élément qui a un son. En effet, GR, sans A, n’est pas une syllabe, mais avec un A, en est une, savoir GRA. Il appartient d’ailleurs à la métrique de considérer aussi les différences qui distinguent les syllabes.

VIII. La conjonction est un son non significatif qui n’empêche pas un son d’être significatif, mais qui ne le rend pas tel, composé de plusieurs sons, placé naturellement soit à une extrémité, soit au milieu (d’une phrase), à moins qu’il n’y ait convenance à le placer pour son propre compte au commencement d’une proposition, comme, par exemple, ἤτοι ou δή ; ou encore un son non significatif de nature à rendre un autre son significatif, composé de plusieurs sons qui, eux, seraient significatifs.

IX. L’article est un son non significatif qui montre ou le début, ou la fin, ou la division d’une proposition ; par exemple, la (locution) je dis[6], le (mot) sur[7], etc.[8]

X. Le nom est un son composé, significatif indépendamment du temps, dont aucune partie n’est significative par elle-même ; car dans les noms doubles nous n’employons pas (une des parties) comme ayant une signification en propre : ainsi, dans le mot Θεόδωρος (Théodore), la partie correspondant à δῶρον (don) n’a pas de sens.

XI. Le verbe est un son composé significatif, comportant une idée de temps et dont aucune partie n’est significative par elle-même, de même que dans les noms. En effet, le mot homme, le mot blanc ne marquent pas le temps, tandis que les mots marche, a marché, comportent, outre leur sens propre, l’un l’idée du temps présent, l’autre celle du temps passé.

XII. Le cas est ce qui, dans un nom ou dans un verbe, marque tantôt le rapport de possession ou de destination, ou tout autre analogue, tantôt celui d’unité ou de pluralité, par exemple, homme ou hommes : ou le rapport de rôle joué, comme, par exemple, s’il s’agit d’une question ou d’une injonction. En effet, cette expression : a-t-il marché ? ou celle-ci : marche, voilà des cas de verbe qui rentrent dans ces variétés.


XIII. Le discours est un son composé significatif dont quelques parties ont une signification par elles-mêmes ; car toute proposition ne se compose pas de noms et de verbes, comme, par exemple, la définition de l’homme ; mais une proposition peut exister sans qu’il y ait de verbe, et pourtant elle contiendra toujours une partie significative, comme, par exemple, Cléon, dans la proposition : « Cléon marche. »

XIV. Le discours est un de deux manières : ou bien il désigne un seul objet, ou bien il en comprend plusieurs par conjonction. Ainsi l’Iliade est un discours un par conjonction, et la définition de l’homme l’est en ce sens qu’elle désigne un seul objet.

  1. Il s’agit sans doute ici de l’art de déclamer et de régler le ton et le jeu des acteurs.
  2. Homère (Iliade, vers 1).
  3. La lettre alphabétique.
  4. La phrase ou une suite de phrases.
  5. Sans adjonction d’un son articulé.
  6. Φημί. Hartung propose ἀμφί, autour.
  7. Περί. Hermann lit πέπερι.
  8. Les manuscrits ajoutent : « Ou encore un son non significatif, soit au milieu (d’une phrase), » même texte que ci-dessus, lequel n’est sans doute ici qu’une répétition introduite par quelque copiste. Nous le supprimons, avec G. Hermann et Buhle.