Poésies inédites (Marceline Desbordes-Valmore)/Ondine à l’école

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Poésies inédites, Texte établi par Gustave RevilliodJules Fick (p. 100-102).


ONDINE À L’ÉCOLE.


Vous entriez, Ondine, à cette porte étroite,
Quand vous étiez petite, et vous vous teniez droite ;
Et quelque long carton sous votre bras passé
Vous donnait on ne sait quel air grave et sensé
Qui vous rendait charmante. Aussi, votre maîtresse
Vous regardait venir, et fière avec tendresse,
Opposant votre calme aux rires triomphants,
Vous montrait pour exemple à son peuple d’enfants ;
Et du nid studieux l’harmonie argentine
Poussait à votre vue : « Ondine ! Ondine ! Ondine ! »
Car vous teniez déjà votre palme à la main,
Et l’ange du savoir hantait votre chemin.

Moi, penchée au balcon qui surmontait la rue,
Comme une sentinelle à son heure accourue,
Je poursuivais des yeux mon mobile trésor,
Et disparue enfin je vous voyais encor.
Vous entraîniez mon âme avec vous, fille aimée,
Et je vous embrassais par la porte fermée.

Quel temps ! De tous ces jours d’école et de soleil
Qui hâtaient la pensée à votre front vermeil,
De ces flots de peinture et de grâce inspirée,
L’âme sort-elle heureuse, ô ma douce lettrée ?
Dites, si quelque femme avec votre candeur
En passant par la gloire est allée au bonheur ?…

Oh ! que vous me manquiez, jeune âme de mon âme !
Quel effroi de sentir s’éloigner une flamme
Que j’avais mise au monde, et qui venait de moi,
Et qui s’en allait seule : Ondine ! quel effroi !

Oui, proclamé vainqueur parmi les jeunes filles,
Quand votre nom montait dans toutes les familles,
Vos lauriers m’alarmaient à l’ardeur des flambeaux :
Ils cachaient vos cheveux que j’avais faits si beaux !
Non, voile plus divin, non, plus riche parure
N’a jamais d’un enfant ombragé la figure.
Sur ce flot ruisselant qui vous gardait du jour
Le poids d’une couronne oppressait mon amour.
Vos maîtres étaient fiers et moi j’étais tremblante ;
J’avais peur d’attiser l’auréole brûlante,
Et, troublée aux parfums de si précoces fleurs,
Vois-tu, j’en ai payé l’éclat par bien des pleurs.
Comprends tout… J’avais vu tant de fleurs consumées !

Tant de mères mourir, de leur amour blâmées !
Ne sachant bien qu’aimer je priais Dieu pour vous,
Pour qu’il te gardât simple et tendre comme nous ;
Et toi tu souriais intrépide à m’apprendre
Ce que Dieu t’ordonnait, ce qu’il fallait comprendre.
Muse, aujourd’hui, dis-nous dans ta pure candeur
Si Dieu te l’ordonnait du moins pour ton bonheur ?