Poésies inédites (Marceline Desbordes-Valmore)/La Mère qui pleure
Pour les autres éditions de ce texte, voir La mère qui pleure.
LA MÈRE QUI PLEURE.
J’ai presque perdu la vue
À suivre le jeune oiseau
Qui, du sommet d’un roseau,
S’est élancé vers la nue.
S’il ne doit plus revenir,
Pourquoi m’en ressouvenir ?
Bouquet vivant d’étincelles
Il descendit du soleil
Éblouissant mon réveil
Au battement de ses ailes.
S’il ne doit plus revenir,
Pourquoi m’en ressouvenir ?
Prompt comme un ramier sauvage,
Après l’hymne du bonheur,
Il s’envola de mon cœur,
Tant il craignait l’esclavage !
S’il ne doit plus revenir,
Pourquoi m’en ressouvenir ?
De tendresse et de mystère
Dès qu’il eut rempli ces lieux,
Il emporta vers les cieux
Tout mon espoir de la terre !
S’il ne doit plus revenir,
Pourquoi m’en ressouvenir ?
Son chant que ma voix prolonge
Plane encor sur ma raison,
Et dans ma triste maison,
Je n’entends chanter qu’un songe.
S’il ne doit plus revenir,
Pourquoi m’en ressouvenir ?
Le jour ne peut redescendre
Dans l’ombre où son vol a lui,
Et pour monter jusqu’à lui
Mes ailes ont trop de cendre.
S’il ne doit plus revenir,
Pourquoi m’en ressouvenir ?
Comme l’air qui va si vite,
Sois libre, ô mon jeune oiseau !
Mais que devient le roseau,
Quand son doux chanteur le quitte !
S’il ne doit plus revenir,
Pourquoi m’en ressouvenir ?