Poésies en patois, Texte établi par Benjamin Rivière Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 5-10).


NOTICE

Pourquoi cette statue, diront quelques-uns, et quelle est cette femme dont le nom, il y a quelques mois à peine, nous était inconnu. À ceux-là, peut-être trop nombreux, cette courte notice. Ils connaîtront la vie d’une femme, vie pleine de courage, de dévouement, de bonté, d’abnégation, que la poésie vint soutenir, aider et consoler dans ses longs jours d’épreuve.

Marceline Desbordes naquit à Douai, le 20 juin 1786, dans une humble maison de la rue Notre-Dame, no 32, (aujourd’hui rue de Valenciennes no 36). Nous ne pouvons mieux la faire connaître qu’en la laissant parler elle-même : « Mon père était peintre en armoiries ; il peignait des équipages, des ornements d’église. Sa maison tenait au cimetière de l’humble paroisse Notre-Dame, à Douai. Je la croyais grande, cette chère maison, l’ayant quittée à sept ans. Depuis, je l’ai revue, et c’est une des plus pauvres de la ville. C’est pourtant ce que j’aime le plus au monde, au fond de ce beau temps pleuré. — Je n’ai vu la paix et le bonheur que là. — Puis, une grande et profonde misère quand mon père n’eut plus à peindre d’équipages ni d’armoiries.

« J’avais quatre ans à l’époque de ce grand trouble en France (la Révolution de 1789). — Les grands-oncles de mon père, exilés autrefois en Hollande à la révocation de l’Édit de Nantes, offrirent à ma famille leur immense succession, si l’on voulait nous rendre à la religion protestante. Ces deux oncles étaient centenaires ; ils vivaient dans le célibat à Amsterdam, où ils avaient transporté et fondé une librairie. — J’ai des livres imprimés par eux.

« On fit une assemblée dans la maison. — Ma mère pleura beaucoup. Mon père était indécis et nous embrassait. — Enfin, on refusa la succession, dans la peur de vendre notre âme, et nous restâmes dans une misère qui s’accrut de mois en mois jusqu’à causer un déchirement d’intérieur où j’ai puisé toutes les tristesses de mon caractère.

« Ma mère, imprudente et courageuse, se laissa envahir par l’espérance de rétablir sa maison en allant en Amérique trouver une parente qui était devenue riche. De ses quatre enfants qui tremblaient de ce voyage, elle n’emmena que moi. Je l’avais bien voulu, mais je n’eus plus de gaîté après ce sacrifice. J’adorais mon père comme le bon Dieu même. Les rues, les villes, les ports de mer où il n’était pas, me causaient de l’épouvante ; et je me serrais contre les vêtements de ma mère comme dans mon seul asile.

« Arrivée en Amérique, elle trouva sa cousine veuve, chassée par les nègres de son habitation, la colonie révoltée, la fièvre jaune dans toute son horreur. Elle ne supporta pas ce coup. Son réveil ce fut de mourir à quarante-et-un ans ! Moi, j’expirais auprès d’elle ; on m’emmena en deuil de cette île dépeuplée à demi par la mort, et, de vaisseau en vaisseau, je fus rapportée au milieu de mes parents devenus tout à fait pauvres. »

Pour les faire sortir de cette misère profonde, Marceline entra au théâtre et débuta à Douai, le 21 novembre 1802. Puis, accompagnée de ses deux sœurs, elle partit pour Lille et passa successivement aux théâtres de Rouen, Paris et Bruxelles, dans lesquels elle remporta de grands succès comme chanteuse.

« À vingt ans, dit-elle, des peines profondes m’obligèrent de renoncer au chant, parce que ma voix me faisait pleurer ; mais la musique roulait dans ma tête malade, et une mesure toujours égale arrangeait mes idées, à l’insu de ma réflexion.

« Je fus forcé de les écrire pour me délivrer de ce frappement fièvreux, et l’on me dit que c’était une élégie. »

En renonçant au chant, Marceline Desbordes ne renonça pas au théâtre qui était sa seule ressource, et la comédie lui valut les mêmes succès que l’opéra-comique. En 1817, elle épousa Prosper Valmore (son vrai nom était Lanchantin), qui était aussi acteur, et elle continua à jouer jusqu’en 1823, époque à laquelle elle quitta définitivement le théâtre, pour se consacrer à sa famille. Il lui restait alors trois enfants : Hippolyte, Hyacinthe (appelée plus familièrement Ondine), et Inès.

Son premier volume de poésies parut en 1818, et deux éditions successives données en 1820 et 1822, la placèrent au premier rang des femmes poètes.

Toute l’existence de Marceline ne fut qu’une longue suite de peines, de misère au milieu desquelles elle ne cessa jamais d’espérer. Avec un courage et une force morale qui jamais ne se démentirent, elle fit face à toutes les dures nécessités d’une existence précaire, trouvant même dans sa détresse les moyens de soulager d’autres infortunes qui lui paraissaient plus misérables que la sienne.

Marceline Desbordes a écrit aussi un certain nombre d’ouvrages en prose, de valeur moindre, mais parmi lesquels nous signalerons les Contes pour les enfants, et surtout les Petits Flamands. Ceux-ci retracent son enfance, ses jeux avec ses compagnes dans le vieux cimetière Notre-Dame.

Elle mourut presque ignorée, à Paris, le 23 juillet 1859.

En élevant aujourd’hui le beau monument dû à nos compatriotes MM. Houssin et F. Dutert, la ville de Douai rend un public hommage à son enfant et acquitte une dette de la France entière.

B. R.

C’est dans la collection Berthoud, au Musée de Douai, que nous avons trouvé l’Amour partout et le Dialogue ; cette dernière pièce présente une lacune. Quant à l’Oraison pour la Crèche, elle a déjà paru en 1849 dans l’Indépendant.