Théophile Berquet, Libraire (p. 156-164).

MADRIGAUX.


Déclaration.

On n’a qu’à me trouver quelque berger fidèle,
Soumis, délicat, amoureux,
Qui, de peur d’aimer moins, refuse d’être heureux,
Et je ne serai plus cruelle.



Agréable prairie où j’aime à m’arrêter,
Comme vos fleurs mes ennuis sont sans nombre.
Je voudrais vous les raconter ;
Mais l’ardeur du soleil me force à vous quitter
Pour cette forêt sombre.
Hélas ! je redoute ses feux,
Insensée, et je cherche un lieu qui m’en préserve,
Tandis que j’en conserve
Dans mon cœur de plus dangereux.


De ces lieux fortunés qu’est-ce qui vous rappelle,
Tendre et galant berger, l’honneur de nos hameaux ?
De votre Iris l’absence a fait une infidèle,
Et tout, jusqu’à son chien, dans son ardeur nouvelle,
Écoute avec plaisir le son des chalumeaux
Du berger qui triomphe d’elle.



Alcidon contre sa bergère
Gagea trois baisers que son chien
Trouverait plutôt que le sien
Un flageolet caché sous la fougère.
La bergère perdit ; et pour ne point payer
Elle voulut tout employer.
Mais contre un tendre amant c’est en vain qu’on s’obstine
Si des baisers gagnés par Alcidon
Le premier fut pure rapine,
Les deux autres furent un don.



Que la fin d’une tendre ardeur
Laisse de vide dans la vie !
Rien remplace-t-il le bonheur

Dont la douce union des amans est suivie ?
Non, il n’appartient qu’à l’Amour
De mettre les mortels au comble de la joie.
À ses brûlans transports lorsqu’on n’est plus en proie,
Qu’un cœur vers la raison fait un triste retour !



Tyran dont tout se plaint, tyran que tout adore,
Amour, impitoyable Amour,
Donne quelque relâche au mal qui me dévore
Et la nuit et le jour.
Fais, pour me soulager, que mon aimable Alcandre
Devienne un peu plus tendre ;
Va porter dans son sein cette bouillante ardeur,
Ces violens transports, cette langueur extrême,
Dont tu remplis mon triste cœur
Depuis l’heureux moment qu’il aime.
Ne crains pas que tes soins soient mal récompensés :
Mon Alcandre connaît ta puissance suprême.
Il aime ; mais, hélas ! il n’aime pas assez.

Au Roi.

Louis, que vous imitez bien
Cet Être indépendant dont vous êtes l’image !
Comme lui, des rois qu’on outrage
Vous êtes le vengeur et l’unique soutien ;
Comme lui, votre main foudroie
Ces coupables mortels dont les noires fureurs
Ont mis toute l’Europe en proie
À ce que la guerre a d’horreurs :
Comme lui, rempli de clémence,
Quelque douceur qu’ait la vengeance,
Vous êtes prêt à pardonner ;
Et sur les bords du Pô, du Rhin et de la Meuse,
Vous ne les accablez que pour les amener,
Par un prompt repentir, à cette paix heureuse
Que vous seul pouvez leur donner.



De lauriers immortels mon front est couronné,
Sur d’illustres rivaux j’emporte la victoire ;
Rien ne manquerait à ma gloire,

Si Louis, ce héros si grand, si fortuné,
Applaudissait aux prix qu’Apollon m’a donné.



L’Amour,

à monsieur caze.

De par Iris, ta souveraine,
L’Amour te commande aujourd’hui
De te rendre en ces lieux pour traverser la Seine.
Obéis ; que sait-on ? peut-être est-ce une aubaine.
Un cœur fait bien souvent du chemin malgré lui.



Au milieu des plaisirs d’une superbe fête,
Que Tircis m’a paru charmant !
La plus fière beauté de cet heureux moment
Aurait tout employé pour faire la conquête
Du cœur de mon fidèle amant.



Tircis voudrait cacher le beau feu qui l’enflamme,
Ses yeux et ses soupirs, tout trahit son secret :
Quand l’amour règne dans une âme,
L’amour, le tendre amour est toujours indiscret.



Pour bien aimer, pour mériter de plaire,
Il faut avoir un cœur comme le mien,
Abandonner ses moutons à son chien,
Négliger tout, n’avoir point d’autre affaire
Que de songer
À son berger.



Redoublez vos fureurs, terribles aquilons,
Jusqu’au retour du berger que j’adore ;
Que par vous la charmante Flore
Disparaisse dans ces vallons ;
Que la nature languissante,
Sensible à mes ennuis, vienne les partager :
Que tout aujourd’hui se ressente
De l’absence de mon berger.



Tombez, feuilles, tombez ; d’un destin rigoureux
Ce n’est point à vous à vous plaindre :
Le soleil vous rendra, d’un regard amoureux,
Les brillantes couleurs que l’hiver ose éteindre.
Mais j’ai beau vers le ciel pousser ma faible voix,
D’aucun succès, hélas ! ma plainte n’est suivie :
Le ciel pour les mortels a prescrit d’autres lois ;
Le destin à Tircis ne rendra point la vie.
Mes tristes yeux l’ont vu pour la dernière fois.



Près d’un amant heureux c’est en vain qu’on espère
Renfermer de son cœur le trouble dangereux ;
À travers l’air le plus sévère
Brille je ne sais quoi d’animé, d’amoureux,
Dont, quelque effort qu’on puisse faire,
Rien n’échappe aux regards de l’amant malheureux.



De tous les bergers de nos bois
Je croyais que Tircis était le plus fidèle ;
Il était charmé de son choix,
Et nulle autre que moi ne lui paraissait belle.

Dieux cruels ! avec tant d’amour
Aurais-je dû penser qu’un jour
L’ingrat me dût livrer à la douleur mortelle
De le voir changer sans retour ?



Dans un bois sombre, solitaire,
Et qui n’est fréquenté que des tendres amans,
Iris, cette aimable bergère,
Parlait ainsi de ses tourmens :
Tircis a donc brisé ses chaînes !
C’en est fait, juste ciel ! je ne le verrai plus !
Mais cachons à l’ingrat la cause de mes peines,
Et que de ces bois seuls mes soupirs soient connus.



Tircis, Tircis, par un refus,
Me fait sentir combien l’amour est redoutable ;
J’en ai trouvé l’ingrat mille fois plus aimable,
Moi qui croyais ne l’aimer plus.
Ah ! qu’il est dangereux d’aimer autant que j’aime !
Tout alarme un tendre cœur.
Tircis, par sa froideur extrême ;

A trouvé le secret de vaincre ma rigueur.
Ah ! qu’il est dangereux d’aimer autant que j’aime !
Tout alarme un tendre cœur.


Pour Monsieur Doujat,

doyen du parlement.

D’un madrigal on veut que je régale
Un magistrat favori de Thémis ;
Mais pour le bien louer ma peine est sans égale,
Ce magistrat pourtant est fort de mes amis ;
De tous les temps je l’appelle mon père.
S’il l’est au vrai je n’en sais rien.
Ce que je sais c’est qu’il aimait ma mère,
Et que ma mère était femme de bien.