Théophile Berquet, Libraire (p. 27-31).

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Sur la Mort

de M. le duc de montausier.

Sur le bord d’un ruisseau paisible
Olympe se livrait à de vives douleurs ;
Et, malgré ses autres malheurs,
Au sort de Montausier attentive et sensible,
Disait en répandant des pleurs :
Qu’allez-vous devenir, belles infortunées,
Muses, qu’il protégea dès ses jeunes années !

Qu’allez-vous devenir, héroïques vertus,
Vous qui, tremblantes, éplorées,
Après vos temples abattus,
Chez lui vous étiez retirées !
Les titres précieux dont furent revêtus
Ces Grecs et ces Romains, ornemens de l’histoire,
Sont dus à ce héros d’immortelle mémoire,

Qui, par des sentiers peu battus,
Marcha d’un pas égal vers la solide gloire.

Muses, vertus, hélas ! qui sera votre appui ?
Et qui regardera comme d’affreux spectacles
Votre misère et votre ennui ?
Qui vous écoutera ? qui voudra comme lui
Vous conduire, à travers d’innombrables obstacles,
Au grand roi qui règne aujourd’hui ?
Ah ! qu’une telle perte ouvre de précipices !
Qu’elle va vous livrer à d’injustes caprices !
Que de dédains et de dégoûts !
Muses, vertus, hélas ! l’ignorance et les vices
Peut-être par sa mort triompheront de vous.

Injustice de la nature !
Les arbres dont l’ombrage embellit ces coteaux
Ne craignent point des ans l’irréparable injure ;
Leur vieillesse ne sert qu’à les rendre plus beaux :
Après avoir d’un siècle achevé la mesure,
Ils passent bien avant dans des siècles nouveaux.
Où voit-on quelque homme qui dure
Autant que les sapins, les chênes, les ormeaux ?

Mais pourquoi m’amuser, dans ma douleur mortelle,

À faire à la nature une vaine querelle ?
Arbres, qui vivez plus que nous,
Jouissez d’un destin si doux ;
J’ai bien d’autres sujets de murmurer contre elle.
Puis-je voir, sans blâmer des ordres si cruels,
Qu’un de ces indignes mortels
Que dans sa paresse elle forme
De ce qu’elle a de plus mauvais,
Plus tard que Montausier s’endorme
De ce fatal sommeil qui ne finit jamais ?
Un excès de douleur et de délicatesse
Porte ma colère plus loin.

Tout homme, quel qu’il soit, dont elle a pris le soin
De conduire la vie à l’extrême vieillesse,
Quand il s’offre à mes yeux, les blesse.
Non, je ne saurais plus souffrir
Que de la fin d’un siècle ici quelqu’un approche
Sans lui faire un secret reproche
Du long temps qu’il est à mourir.

Vous, qu’avec une ardeur sincère
J’invoquais pour sauver une tête si chère,
Dieux quelquefois ingrats et sourds,
Seize lustres entiers ne firent pas le cours.

D’une vie également belle,
Et qui devait durer toujours,
Si le mérite était un assuré secours
Contre une loi dure et cruelle :
Vous ne vouliez pas que son cœur
Eût le plaisir de voir ce prince dont l’enfance
Fut confiée à sa prudence
Une seconde fois vainqueur
Des fières nations que l’envie et l’erreur
Osent armer contre la France.
Vous êtes satisfaits. Les barbares efforts
De la déesse qui délie
Les invisibles nœuds qui joignent l’âme au corps
Ont fait que sur les sombres bords
Montausier a rejoint sa divine Julie[1].
Tous deux, malgré cette eau qui fait que tout s’oublie,
Sentent encor de doux transports ;
Et tous deux sont suivis de ces illustres morts
Qui, dans une saison aux muses plus propice,
Firent de leurs charmans accords
Retentir si long-temps le palais d’Artenice,
Tandis que des grands noms du héros que je plains

Aux siècles à venir on transmet la mémoire,
Et que les plus savantes mains
Élèvent à l’envi des temples à sa gloire.

  1. Julie-Lucine d’Angennes, duchesse de Montausier, connue auparavant sous le nom de mademoiselle de Rambouillet, surtout par les œuvres de Voiture.