Poésies de Frédéric Monneron/Préludes

POÉSIES DIVERSES.

I

PRÉLUDES.



 
J’aimerais vous chanter l’eau blanche du torrent,
Qui dans la nuit des pins circule en murmurant,
Car j’entends de ses flots les bruyantes batailles,
Autour des rocs moussus, sous les grandes broussailles.
Je pourrais du taureau dire le grondement,
Lorsqu’aux pentes des monts, se levant lourdement,
Il promène le soir son regard fier et louche
Sur la plaine confuse où le soleil se couche,
Des cimes d’occident les éclats veloutés,
Les chalets du val frais par la lune argentés,
Les flancs maigris des monts, monotones moraines
Qui s’en vont expirer en vaporeuses plaines,
Les rivages secrets du lac frais et profond,
Où passe nonchalant le vacher gras et blond,

Et les cités de glace où morne, sans murmure,
L’Hiver pose ses pieds dans la fraîche verdure,
Le couvent où la sainte a caché son amour,
Et la noire forêt que surmonte une tour,
Et les bergers en cercle autour de leur chaudière,
Quand le toit du chalet tremble au bruit du tonnerre,
À l’heure où, s’échangeant de longs éclats de voix,
Ils travaillent leur jatte et leur cuiller de bois…
Mais ma muse a banni ces molles habitudes :
Voici les jours d’oubli, l’heure des lassitudes !


Que j’erre au bord des lacs, où du long peuplier
La feuille qui jaunit danse sur le gravier,
Que je demande un rêve aux derniers jours d’automne,
En écoutant leur voix plaintive et monotone,
Que j’entende, accoudé sur les ais d’un vieux pont,
Tonner dans les sapins le flot tiède et profond,
Lorsqu’un ciel floconneux, aux bizarres images,
Teint l’écume des eaux du bronze des nuages ;
Que je suive, à grands pas, du maigre chevrier
La caravane blanche aux buissons du sentier,
Quand l’aube sur les rocs monte pâle et timide,
Et du lointain clocher blanchit la pyramide,
À l’heure où solitaire un cheval montagnard

Broute sa touffe d’herbe au dessus du brouillard,
Et fait crier ses fers sur la roche esquilleuse……
À toute heure, en tout lieu, mon ame soucieuse
Poursuit d’autres tableaux, n’aime à s’entretenir
Que de graves pensers et de jours à venir.


Venez, chantons du Christ la céleste figure,
Alors qu’aux cieux il remonta,
Et qu’à force d’amour ce Dieu de la nature
Vengea les pleurs de Golgotha.

Cohéritier du pauvre, il a brisé les armes
Que la mort trempait aux enfers ;
Tendre ami de Lazare, il a versé nos larmes,
Et d’un souffle a fait l’univers.

Adam, rêvons ce jour où ton âme ravie,
Au berceau de l’humanité,
Éclose du néant, palpitante de vie,
D’un jour conquit l’éternité !

Devant ses légions froides et décharnées,
Voici Satan, baissant les yeux,
Tout dégouttant de pleurs, d’or et de fleurs fanées,
Et maudissant l’azur des cieux.


Du jugement dernier écoutez les préludes,
Ces voix rauques de l’ouragan ;
Voyez du genre humain les noires multitudes
Onduler comme un océan.

Et le saint réveillé qui fuit dans l’étendue,
Et remonte au trône éternel,
Jetant de cieux en cieux à la terre perdue
Un dernier adieu solennel ;

Et l’archange, entr'ouvrant ses ailes virginales
Aux vives fraicheurs de Sion,
Indiquant de l’Éden les clartés matinales
Aux fidèles de sa légion.


Vierges qui vont danser aux noces de village
Avec leurs boucles d’or et leur plus frais corsage !
Active oisiveté ! lectures de Noël,
Près du feu qui pétille au foyer paternel !
Jours où l’étudiant qui se croit un grand barde
Chante la liberté du haut de sa mansarde !
Fumeurs qui, vers leur chaume, au crépuscule, ont soin
De conter leurs exploits sans appel au témoin !
Charmes des premiers jours ! rien ne peut me sourire…
Il faut un autre thème aux cordes de ma lyre.


Oui, nos bois et nos cieux sauraient bien m’enchanter,
Mais c’est l’ame et Dieu seuls que l’homme doit chanter.
Hélas ! qu’est le présent pour une ame immortelle ?
On n’étanche sa soif qu’à la source éternelle.
Faut-il pour nous remplir le vague de l’espoir,
Et ces grands horizons qu’on ne fait qu’entrevoir ?
De mon siècle géant l’ame est plus sérieuse :
Il lui faut une voix forte et religieuse,
Une main de martyr, qui puisse, dans nos maux,
Tracer le nom du Christ aux plis de nos drapeaux.
Pleurs, amour inquiet, vague espoir qui l’enflamme,
Cri de l’éternité qui retentit dans l’ame,
Pressentiment, écho de la voix de son Dieu,
Qui jamais ne se lasse et l’appelle en tout lieu :
Voilà d’un chant mortel la plus noble mesure……
Laisse à l’oiseau des bois à fêter la nature :
Il chante mieux que nous le monde d’ici-bas !
C’est sa seule patrie !………………………


Et si, triste et rêveur, passant les bois, les plaines,
Les rochers buissonneux qu’ornent les croix lointaines1,
Tu t’arrêtes un soir sur ce roc colossal,
Où l’azur s’assombrit autour d’un froid cristal ;
Si ton regard, perdu sur les neiges des cimes,

Rencontre le matin dans la nuit des abîmes,
Et si, tout haletant de surprise, d’effroi,
Tu planes sur ce monde où Dieu t’a créé roi,
D’un ineffable amour que ta veine s’enflamme……
Car un monde n’est rien au prix d’une seule ame !
Alors, chante plutôt, chante ce grand réveil
Où l’ame secoûra sa fange et son sommeil…
En un hymne d’amour répands ta poésie

À ce banquet funèbre où nous rêvons la vie,
Ne chantons plus, mon ame, un monde sans attraits,
Où, pour nous rappeler la seconde patrie,
L’avenir n’est qu’espoir, le passé que regrets !




Nous avons trouvé pour cette dernière partie deux versions très-différentes. Celle que nous avons rejetée, quoiqu’inférieure en général, renferme de beaux vers. Nous regrettons surtout le second de la dernière strophe :

« Les croix dont Dieu sema les hauteurs désolées. »