Poésies (Amélie Gex)/Le Matin

Claude-Paul Ménard Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 63-68).

LE MATIN



I.


Voici l’heure où l’aube pâle,
Assise en son char d’opale,
          Souriant
Aux zéphirs de son escorte,
Vient du ciel ouvrir la porte
          D’Orient.

La nuit, repliant ses voiles
Ainsi qu’on roule les toiles
          D’un décor,
À l’horizon se dérobe,
Mais derrière elle sa robe
          Traîne encor.

Les astres lointains pâlissent…
Les amoureux, lestes, glissent
          Des balcons,
Et, comme de blanches plumes,
Vers les monts volent les brumes
          En flocons.


Une lueur indécise
Tremble sur la crête grise
          Des rochers ;
Au loin, brillantes flammèches,
Surgissent les hautes flèches
          Des clochers.

Le jour naît, grandit, s’augmente ;
L’aube pudique et charmante
          Va poser,
En s’éloignant fugitive,
Sur les bois et sur la rive,
          Un baiser.

L’eau s’irise et le bois pleure
Quand ce baiser les effleure,
          Caressant…
Puis Zéphir vient et recueille
Chaque larme de la feuille,
          En passant…


II.


Ainsi qu’un roi dans sa gloire,
Tout vêtu d’or et de moire,
          Le Soleil,
Sur le front du glacier blême,
Vient mettre son diadème
          De vermeil.


La Terre, sa bien-aimée,
Par son rayon ranimée,
          Rougissant
Sous sa gaze vaporeuse,
Pousse un soupir d’amoureuse,
          Ravissant !

Comme au maître l’humble esclave
Sait offrir un don suave
          De parfums,
Ainsi montent, douce halein
Mille senteurs de la plaine,
          Des bois bruns.

C’est l’heure sainte et féconde
Où Dieu verse sur le monde
          Ses trésors :
Flots de vie et flots de séve,
Torrents qui coulent sans trêve,
          À pleins bords.

Tout est joie, espoir, ivresse !…
La brise est une caresse,
          L’air sourit,
Un chaud rayon d’or se pose
Sur chaque bouton de rose,
          Qui fleurit…


Sur la colline penchante, —
Ecoutez ! — c’est Mai qui chante
          Son refrain ;
Des oiseaux la causerie
Se mêle à la sonnerie
          De l’airain.

Au temple et sur la bruyère,
Cri d’oiseau, sainte prière,
          Tour à tour,
Voix joyeuse et voix bénie
À Dieu portent l’harmonie
          Et l’amour !

Sur le brin d’herbe posée,
La mouche boit la rosée ;
          Le lézard,
En corselet d’émeraude,
Sur le vieux mur, veille ou rôde
          Au hasard.

Dans les sentiers, la fleurette,
Rajustant sa collerette,
          Dit « Bonjour ! »
À la diligente abeille,
Au papillon qui s’éveille
          Roi d’un jour !

III.


Telle une ruche bourdonne,
Ainsi, déjà, tout résonne.
          Au hameau :
Le marteau frappe l’enclume,
Et dans l’auberge, on allume
          Le fourneau.

Les coqs, clairons du village,
Des poules du voisinage
          Font l’appel ;
Toute la gent emplumée
Court, crie ou vole affamée
          Au rappel.

L’âne, de sa voix bourrue,
Parle au bœuf, et la charrue,
          Dans la cour,
Par les vieux chevaux traînée,
Va commencer sa journée
          De labour.

Au pauvre, quoiqu’il en coûte,
Il faut reprendre la route
          Du canton ;

Mais, plus dispos, il s’avance,
Faisant frapper en cadence
          Son bâton,

Pendant que sur la colline
Un prêtre, en priant, chemine
          Doux pasteur
Montrant à Dieu la prairie
Qui chante, verte et fleurie,
          Son auteur !