Poésies (Amélie Gex)/Comme le dit un vieil adage
, (p. 139-141).
VIRELAI.
Comme le dit un vieil adage :
Chacun doit rester de son âge.
Fillette à quinze ans, c’est l’usage,
Faisant d’amour un badinage,
Sans trop rêver au mariage,
Comme le dit un vieil adage :
— Va brülant sa poudre aux moineaux, —
La mère, souvent fort peu sage,
Dit : « Ce n’est rien qu’enfantillage
« Plus tard, les soucis du ménage
« La retiendront près des fourneaux.
« Jeune pinson fait grand ramagc ;
« Cœur de quinze ans est cœur volage ;
« Chacun doit rester de son âge ! »
Sylvain partout fait grand tapage :
Il a chevaux, maîtresse et page ;
Au bal, en ville, en équipage,
Il est roi de l’aréopage
De tous nos jeunes étourneaux.
Papa dit : « Ce n’est pas dommage,
Chacun doit rester de son âge…
« À vingt ans le rire soulage ;
« Jeunesse, amour sont des défauts
« Auxquels on doit livrer passage !…
« — Gourme jetée est bon présage. —
« Comme le dit un vieil adage. »
Raymond, vieillard du voisinage,
N’a point mis son cœur en chômage…
Et souvent, tout bas il enrage
Quand Barbe, dame aux airs rustauds,
Lui dit qu’amour et radotage
Ne furent point frères jumeaux…
« Chacun doit rester de son âge,
« Monsieur, croyez mon témoignage,
« Il est temps d’entrer en sevrage…
« Vieux vaisseau doit craindre naufrage
« Et, comme dit un vieil adage,
« — Herbe tendre à jeunes chevreaux… — »
Chloé, coquette au vieux plumage,
Craignant de voir sur son visage
— « Des ans l’irréparable outrage. » —
Fait manœuvrer brosse et pinceaux.
« Ah ! dit un malin personnage,
« Chacun doit rester de son âge :
« Lait, pâte, onguent, philtres nouveaux.
« N’amincissent pas le corsage…
« Et bientôt nous verrons, je gage,
« Malgré sa peine et ses travaux,
« Du vieux mur tomber le plâtrage,
« Et du bois craquer le placage… »
Comme le dit un vieil adage :
— Chacun doit rester de son âge. —