Poésies (Amélie Gex)/À Madame J. S. D.

Claude-Paul Ménard Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 51-54).

V
À MADAME J. S. D.


De profundis clamavi ad te !


Quelques-uns nous ont dit : « L’espérance est atroce !…
« Votre Dieu n’est qu’un leurre ou qu’un bourreau féroce ;
            « Et, paria de l’azur,
« L’homme va, cherche, appelle, interroge et retombe,
« Ignorant et lassé, sur le bord de la tombe
« Sans que rien ne s’émeuve au fond du ciel obscur !…

« Il aime, il croit, il prie !… Amour et foi, — chimères ! —
« Mots qui faites verser tant de larmes amères,
            « Qui donc vous a trouvés ?
« Quelles âmes, quels cœurs, de l’idéal avides,
« Ont créé ces bochets tout dorés et tout vides,
« Rêves toujours conçus et jamais achevés ?

« Dans les champs radieux où l’on dit que Dieu règne,
« Que d’amours le cherchant, que sans cesse il dédaigne,
            « Trouvent les cieux fermés !
« Que de sanglots perdus ! que de cris ! que de plaintes !
« Que de vœux ! que d’élans et de prières saintes
            « Le doute a comprimés ! »

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C’est vrai, mon Dieu, c’est vrai : ces âmes que tu brises,
Jadis, tu les voyais, aimantes et soumises,
            S’incliner sur ton seuil ;
Et, pendant de longs jours, sans vaincre leur constance,
La douleur, comme un flot qui toujours recommence,
Leur prenait une joie et leur laissait un deuil !…

Et quand, le front meurtri, terrassé par l’épreuve.
Ces vaillants retrouvaient une espérance neuve
            Pour grandir leur vertu,
Te laissas-tu fléchir ?… Te montras-tu leur père ?…
Non non ! Pourtant, mon Dieu, malgré leur sort sévère,
C’était le bon combat qu’ils avaient combattu !

Sans cesser de souffrir et sans cesser d’attendre,
Ils disaient : « Nous servons un maître juste et tendre,
            « Nous sommes dans sa main !…
« Il nous voit, il nous suit, il connaît notre peine… »
Ils disaient tout cela : — mais l’espérance humaine,
Hélas ! nous le savons, n’a pas de lendemain.

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Qui donc es-tu, Seigneur, puisque rien ne te touche !
Créateur oublieux, ou bien maître farouche…
            Protecteur impuissant ?…

Fais-tu, comme un jouet, tourbillonner les mondes
Au gré de ton caprice ? ou de tes mains fécondes
Chaque œuvre serait-elle immolée en naissant ?…

Non ! Tu n’es point un Dieu distrait ou versatile :
Sur ton trône de gloire, immuable et tranquille,
            Tu restes l’Eternel !
L’univers est présent à ta vaste pensée :
L’astre roi de l’Ether, la fleur sèche et froissée
Ont tous deux même part du regard paternel.

Mais l’homme !… l’homme seul dans tes bras tu l’enserres,
L’homme tu le poursuis l’homme tu le lacères !…
            Tu n’en fais qu’un lambeau !
Il prie… — et tout est sourd. Il pleure… — et rien ne vibre.
Il marche vers la mort en croyant être libre…
Le doute le retient sur le seuil du tombeau !

… Tu fécondes l’amour des loups et des vipères !
Les vautours ont des nids… et les tigres sont pères !
            L’aigle dort en repos ;
L’âne trouve toujours un chardon sur sa route ;
L’insecte a le gazon, l’hirondelle une voûte ;
La terre a la rosée… et l’homme ? — les sanglots ! —

Oui, les pleurs ! oui, la soif ! oui, l’effroi, le silence !
Dans le cœur, le désir ; dans l’âme, l’ignorance ;
            Dans l’esprit, les combats.

Notre lot c’est la lutte et notre part c’est l’ombre :
Hier s’en va dans la nuit, demain reste encor sombre,
Et c’est toujours ainsi jusqu’au jour du trépas ?

Que faut-il ? Que faut il pour que ton bras s’apaise
De la foi ?… de l’amour ?… ou qu’on souffre et se taise
            Devant tes volontés ?…
Vois !… tes temples sont pleins d’un peuple qui t’adore :
N’est-il donc en ton Ciel aucun écho sonore
Répétant tous les cris qui vers Toi sont montés ?…

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