Poésies (1820)/Romances/L’Étrangère

PoésiesFrançois Louis (p. 167-168).


L’ÉTRANGÈRE.


Ah ! que le monde est difficile !
Hélas ! il n’est pas fait pour moi.
Ma sœur, en ton obscur asile,
J’étais plus heureuse avec toi !
On m’appelle ici l’étrangère ;
C’est le nom de qui n’a point d’or.
Si je ris, je suis trop légére ;
Si je rêve… on en parle encor !

Si je mêle à ma chevelure
La fleur que j’aimais dans nos bois,
Je suis, dit-on, dans ma parure,
Timide et coquette à la fois ;
Puis-je ne pas la trouver belle !
Le printemps en a fait mon bien ;
Pour me parer je n’avais qu’elle ;
On l’effeuille… et je n’ai plus rien !


Je sors de cet âge paisible
Où l’on joue avec le malheur.
Je m’éveille, je suis sensible,
Et je l’apprends par la douleur !
Un seul être à moi s’intéresse ;
Il n’a rien dit… mais je le voi !
Et je vois même, à sa tristesse,
Qu’il est étranger comme moi.

Ah ! si son regard plein de charmes
Recèle un doux rayon d’espoir,
Quelle main essuîra les larmes
Qui m’empêchent de l’entrevoir ?
Soumise au monde, qui m’observe,
Je dois mourir, jamais pleurer !
Et je n’use qu’avec réserve
Du triste droit de soupirer !