Poésies (1820)/Mélanges/L’Orpheline

PoésiesFrançois Louis (p. --175).


Son œil mourant s’entr’ouvre à la lumière…
L’ange est Edmond à genoux sur la pierre,
Qui plein d’effroi, soutient, d’un bras tremblant
Ce corps glacé qu’il réchauffe en pleurant.


L’ORPHELINE.


Un seigneur, d’aimable figure,
Brillant d’esprit, et brillant de parure,
Prestiges tout puissans sur la simplicité,
Voulut séduire une jeune beauté ;
Sans appui dans le monde, elle était orpheline,
Et se nommait Pauline.,
Pauline, hélas ! a perdu le repos.
De vifs regards, de séduisans propos
Troublent la paix de cette âme ingénue ;
Elle aime enfin, et son heure est venue.
Pour un ingrat devait-elle sonner ?
Mais, pour craindre cette heure, il faut la deviner ;
Et l’orpheline, en sa première flamme,
Rêve un amour aussi pur que son âme.
Six mois ainsi coulent rapidement.
Tout est bonheur, ivresse, enchantement.
Un villageois, qui soupirait pour elle,
Renferme alors sa tendresse fidèle,
Ne la suit plus, et cache à tous les yeux
Son humble hommage et ses timides vœux ;

Sans le vouloir, Pauline a su lui plaire ;
Edmond n’a su que l’aimer et se taire.
L’amour modeste est souvent méconnu ;
Pour éblouir il est trop ingénu.
Sans s’occuper d’un amant qu’elle ignore,
Pauline est tout à celui qu’elle adore ;
Elle ne voit encor dans l’avenir
Que le moment où l’ingrat doit venir ;
Et, respectant le séducteur qu’elle aime,
Croit n’adorer que la sagesse même.
Pensive et seule, elle y rêvait un soir :
Dans sa cabane il entre avec l’espoir.
L’amour, la nuit, la crainte, le silence,
Tout est d’accord pour perdre l’innocence.
Les yeux baissés, d’un air naïf et doux,
Elle pleure en voyant son seigneur à genoux.
Il rit tout bas de ses tendres alarmes,
À peine il voit sa pâleur et ses larmes.
Sans deviner qu’on lui vole un plaisir,
Pauline, hélas ! en eut le repentir !
Le lendemain, dans sa simple demeure,
Avec l’Amour elle attendit en vain ;
Elle attendit encor le lendemain,
Le mois entier, chaque jour, à toute heure !
Par le remords lentement déchiré,
D’un sombre ennui son cœur est dévoré.

Elle offre à Dieu cet amour qui l’opprime ;
Puisqu’il fait tant de mal, il faut qu’il soit un crime !
Mais, ne vivant que par le souvenir,
Le passé la poursuit jusque dans l’avenir.
Plus de sommeil ; Pauline en vain l’appelle ;
Pour le malheur il est sourd et rebelle.
Plus de vertu, plus d’amis, plus d’amant ;
Tout est perdu par l’erreur d’un moment :
C’est la fleur du vallon sur sa tige abattue
Par le frimas qui l’effeuille et la tue !
C’était l’hiver : la saison de l’Amour
Semblait avoir disparu sans retour.
Assise, un soir, au bord de sa chaumière,
Pleurant sa honte, et fuyant la lumière,
Un bruit soudain fait tressaillir son cœur ;
Un char léger ramène son vainqueur…
Il a parlé… c’est la voix qu’elle adore ;
C’est lui ! dit-elle, il vient ! il m’aime encore ;
Mais un regard fait tout évanouir ;
L’espoir s’enfuit… Pauline va mourir !
Oui, c’est l’ingrat qu’elle attend et qu’elle aime,
Mais peignez-vous son désespoir extrême !
Il n’est pas seul ! il entraîne, à son tour,
L’objet nouveau de son volage amour !
À cette vue, immobile et glacée,
Le cœur saisi d’une affreuse pensée,

Pauline au ciel jette un cri douloureux,
Tombe à genoux, et détourne les yeux ;
Le froid du soir circule dans ses veines ;
Son âme s’engourdit dans l’oubli de ses peines ;
Et, prenant par degrés le sommeil pour la mort,
En embrassant la terre, elle pleure et s’endort.
Dieu, qui la plaint, l’enveloppe d’un songe ;
Et la Pitié descend sur l’aile du Mensonge ;
Elle croit voir un ange protecteur
La ranimer doucement sur son cœur, « 
Presser sa main, l’observer en silence,
Les yeux mouillés des pleurs de l’indulgence.
« Dieu vous a donc envoyé près de moi,
« Lui dit Pauline, et vous suivez sa loi ?
« Si la-vertu vient essuyer mes larmes,
« Parlez ! sa voix aura pour moi des charmes.
« Voyez mon sort ! voyez mon repentir !… »
On lui répond par un profond soupir.
Son œil mourant s’entr’ouvre à la lumière…
L’ange est Edmond à genoux sur la pierre,
Qui, plein d’effroi, soutient, d’un bras tremblant,
Ce corps glacé qu’il réchauffe en pleurant.
« Ne craignez rien, dit l’amant jeune et sage ;
« Sans défiance appuyez-vous sur moi ;
« Notre cabane est au bout du village ;
« Un cri plaintif vient d’y porter l’effroi…

« Ma mère attend, venez près de ma mère ;
« Vous lui direz le sujet de vos pleurs ;
« Ma mère est bonne, elle plaint les douleurs ;
« Soyez sa fille ; et moi… je serai votre frère ! »
« — Hélas ! lui dit Pauline avec même douceur,
« Edmond, soyez mon frère, et sauvez votre sœur ! »