Poésies (1820)/Élégies/Les Roses

PoésiesFrançois Louis (p. 22-24).


LES ROSES.


L’air, était pur, la nuit régnait sans voiles ;
Elle riait du dépit de l’Amour ;
Il aime l’ombre ; et le feu des étoiles,
En scintillant, formait un nouveau jour.
Tout s’y trompait. L’oiseau, dans le bocage,
Prenait minuit pour l’heure des concerts ;
Et les zéphyrs, surpris de ce ramage,
Plus mollement le portaient dans les airs.
Tandis qu’aux champs quelques jeunes abeilles
Volaient encore en tourbillons légers,
Le Printemps en silence épanchait ses corbeilles,
Et de ses doux présens embaumait nos vergers.
Ô ma mère ! on eût dit qu’une fête aux campagnes,
Dans cette belle nuit, se célébrait tout bas ;
On eût dit que de loin mes plus chères compagnes
Murmuraient des chansons pour appeler mes pas.

Près du ruisseau qui rafraîchit les roses,
Je respirais leurs suaves odeurs.
Le cœur ému de tant d’aimables choses,

Cherchant le frais sur la mousse et les fleurs,
Je m’endormis… Ne grondez pas, ma mère !
Dans notre enclos qui pouvait pénétrer ?
Moutons et chiens, tout venait de rentrer,
Et j’avais vu Daphnis passer avec son père.
Au bruit de l’eau, je sentis le sommeil
Envelopper mon âme et mes yeux d’un nuage,
Et lentement s’évanouir l’image
Que je tremblais de revoir au réveil !…
Je m’endormis. Mais l’image, enhardie,
Au bruit de l’eau, se glissa dans mon cœur :
Le chant des bois, leur vague mélodie,
En la berçant, fait rêver la pudeur.
En vain, pour m’éveiller, mes compagnes chéries
Auraient fait de mon nom retentir les prairies,
En me tendant leurs bras entrelacés,
J’aurais dit : Non, je dors, je veux dormir, dansez !

Mille songes couraient ; c’étaient les seuls nuages
Que la lune teignît de ses vagues lueurs :
Comme les papillons sur leurs ailes volages
De l’air qui les balance empruntent les couleurs.
Calme, les yeux fermés, je me sentais sourire ;
Des songes, prêts à fuir, je retenais l’essor ;
Mais las de voltiger, (ma mère, j’en soupire),
Ils disparurent tous… Un seul me trouble encor !

Un seul ! — Je vis Daphnis franchissant la clairière ;
Son ombre s’approcha de mon sein palpitant ;
C’était une ombre ; et j’avais peur, pourtant :
Mais le sommeil enchaînait ma paupière.
Doucement, doucement, il m’appela deux fois ;
J’allais crier, j’étais tremblante ;
Je sentis sur ma bouche une rose brülante ;
Et la frayeur m’ôta la voix.

Depuis ce temps… ne grondez pas, ma mère !
Daphnis, qui chaque soir passait avec son père,
Daphnis me suit partout, pensif et curieux ;
Ô ma mère ! il a vu mon rêve dans mes yeux !