Poésies (1820)/Élégies/Les Lettres

PoésiesFrançois Louis (p. 9-11).


LES LETTRES.


Hélas ! que voulez-vous de moi,
Lettres d’amour, plaintes mystérieuses ?
Vous dont j’ai repoussé long-temps avec effroi
Les prières silencieuses !
Vous m’appelez… je rêve… et je cherche, en tremblant,
Sur mon cœur, une clef qui jamais ne s’égare :
D’un éclair l’intervalle à présent nous sépare.
Mais cet intervalle est brûlant !
Je n’ose respirer ! triste sans amertume,
Au passé, malgré moi, je me sens réunir :
Las d’oppresser mon sein, l’ennui qui me consume
Va m’attendre dans l’avenir…
Je cède ! prends sa place, ô délirante joie !
Laisse fuir la douleur ! cache-moi l’horizon !
Elle l’abandonne sa proie,
Je t’abandonne ma raison !
Oui, du bonheur vers moi l’ombre se précipite :
De ce pupitre ouvert l’Amour s’échappe encor.
Où va mon âme ?… elle me quitte ;
Plus prompte que ma vue, elle atteint son trésor !

Il est là !… toujours là, sous vos feuilles chéries,
Doux et frêles garans d’une éternelle ardeur !
Muet enchantement des tristes rêveries
Où m’égare mon cœur !
De sa pensée échos fidèles,
De ses vœux discrets monumens,
L’Amour, qui l’inspirait, a dépouillé ses ailes
Pour tracer vos tendres sermens.
Soulagement d’un cœur, et délices de l’autre,
Et de l’âme et des yeux éloquent entretien !
L’empire de l’absence est détruit par le vôtre.
Je vous lis ! mon regard est posé sur le sien !
Ne renfermez-vous pas la promesse adorée
Qu’il n’aimera que moi… qu’il aimera toujours ?
Cette fleur qu’il a respirée…
Ce ruban qu’il porta deux jours…
Comme la volupté, que j’ai connue à peine,
La fleur exhale encore un parfum ravissant ;
N’est-ce pas sa brûlante haleine ?
N’est-ce pas de son âme un souffle caressant ?
Du ruban qu’il m’offrit que la couleur est belle !
Le ciel n’a pas un bleu plus pur ;
Non, des cieux le voile d’azur
Ne me charmerait pas comme elle !…

Qu’ai-je fait ?… Le voilà son éternel adieu ;

Je touchais au bonheur, il m’en a repoussée ;
En appelant l’espoir, ma langue s’est glacée ;
Et ma froide compagne est rentrée en ce lieu !…
Ô mortelle douleur ! sombre comme la haine,
Vous voilà de retour !
Prenez votre victime, et rendez-lui sa chaîne ;
Moi, je vous rends un cœur encor tremblant d’amour !