Poésies (1820)/Élégies/L’Arbrisseau

PoésiesFrançois Louis (p. 3-5).

L’ARBRISSEAU.


À MONSIEUR ALIBERT,

DOCTEUR-MÉDECIN
.


La tristesse est rêveuse… et je rêve souvent !
La nature m’y porte, on lui cède sans peine :
Je rêve au bruit si doux de l’eau qui se promène,
Au murmure du saule agité par le vent.
J’écoute !… un souvenir répond à ma tristesse !
Un autre souvenir s’éveille dans mon cœur :
Chaque objet me pénètre, et répand sa couleur
Sur le sentiment qui m’oppresse.
Ainsi le nuage s’enfuit,
Pressé par un autre nuage :
Ainsi le flot fuit le rivage,
Cédant au flot qui le poursuit.

J’ai vu languir, au fond de la vallée,
Un jeune arbuste oublié du bonheur ;
L’Aurore se levait sans éclairer sa fleur ;

Et pour lui la nature était sombre et voilée ;
Ses printemps ignorés s’écoulaient dans la nuit ;
L’Amour jamais d’une fraîche guirlande
À ses rameaux n’avait laissé l’offrande :
Il fait froid aux lieux qu’Amour fuit !
L’ombre humide éteignait sa force languissante ;
Son front pour s’élever faisait un vain effort ;
Un éternel hiver, une eau triste et dormante
Jusque dans sa racine allait porter la mort.
« Hélas ! faut-il mourir sans connaître la vie !
(Disait le jeune arbuste en courbant ses rameaux)
« Je n’atteindrai jamais de ces arbres si beaux
« La couronne verte et fleurie !
« Ils dominent au loin sur les champs d’alentour ;
« On dit que le soleil dore leur beau feuillage ;
« Et moi, sous leur impénétrable ombrage,
« Je devine à peine le jour !
« Vallée où je me meurs, votre triste influence
« A préparé ma chute auprès de ma naissance !
« Bientôt, hélas ! je ne dois plus gémir !
« Déjà ma feuille a cessé de frémir !…
« Je meurs ! je meurs ! » Ce douloureux murmure
Toucha le Dieu protecteur du vallon.
C’était le temps où le noir Aquilon
Laisse, en fuyant, respirer la nature.
« Non ! dit le Dieu : qu’un souffle de chaleur

« Pénètre au sein de ta tige glacée !
« Ta vie heureuse est enfin commencée ;
« Relève-toi, j’ai ranimé ta fleur.
« Je te consacre aux nymphes des bocages ;
« À mes lauriers tes rameaux vont s’unir ;
« Et j’irai quelque jour sous leurs jeunes ombrages
« Chercher un souvenir. »

L’Arbrisseau, faible encor, tressaillit d’espérance.
Dans le pressentiment il goûta l’existence :
Comme l’aveugle-né, saisi d’un doux transport,
Voit fuir sa longue nuit, image de la mort,
Quand une main divine entr’ouvre sa paupière,
Et conduit à son âme un rayon de lumière :
L’air qu’il respire alors est un bienfait nouveau ;
Il est plus pur ! il vient d’un ciel si beau !

Humbles fleurs, modeste verdure,
Du Dieu qui vous fit naître entourez les autels.
De l’arbuste offrez-lui la première parure :
Les plus simples parfums plaisent aux Immortels.