POÈTES
ET
ROMANCIERS MODERNES
DE LA FRANCE.

xxvi.

DELILLE.


Rien n’est doux comme, après le triomphe, de revenir sur les entraînemens de la lutte, et d’être juste, impartial, pour ceux qu’on a blessés dans l’attaque et malmenés. Ces sortes d’amnisties ont surtout leur charme en affaires littéraires, et l’esprit, dont le propre est de comprendre, jouit du plaisir singulier de se rendre compte, après coup, de ce qu’il avait d’abord nié, et de ce qu’il a, autant qu’il l’a pu, détruit. Il devra paraître à quelques-uns, je le sens, assez présomptueux d’être indulgent de cette sorte envers Delille, et de se donner à son égard pour des victorieux radoucis. Où donc est la victoire, peut-on dire, et qu’avez-vous produit, vous, École poétique nouvelle, qui soit si supérieur et si à l’abri d’un revers ? Sans répondre à ce qu’aurait de trop direct la question et d’embarrassant pour l’orgueil ou pour la modestie, il est permis d’affirmer, selon l’entière évidence, que la victoire de l’école nouvelle se prouve du moins dans la ruine complète de l’ancienne, et que dès-lors on a loisir de juger sans colère et de mesurer en détail celle-ci, dût quelque partisan de l’heureux Pompée de cette poésie nous venir dire :

Ô soupirs ! ô respects ! ô qu’il est doux de plaindre
Le sort d’un ennemi quand il n’est plus à craindre !

Je viens d’ailleurs ici moins m’appitoyer sur la destinée de l’abbé Delille, et la contempler du haut de notre point de vue actuel, que tâcher de m’y reporter et de la reproduire. Les critiques essentielles, sans qu’on y vise, se trouveront toutes chemin faisant, et plus piquantes dans la bouche même des personnages ses contemporains. On verra qu’il a été de tout temps jugé, et que les bons mots sur son compte ont été dits, il y a beau jour. Mais vivant, mais brillant d’esprit et de graces, on l’aimait, on jouissait de lui, jusque dans ses défauts, dulcibus vitiis. Sa personne, son agrément de conversation, son débit, ne sauraient se séparer du succès de ses vers. L’à-propos de circonstance, la facilité d’expression et de coloris qu’il possédait, ses sources et ses jets d’inspirations habituelles, allaient aux sentimens et aux modes de son époque. Sa gloire se composait de toute une partie affectueuse et charmante, qui a dû périr avec lui et avec ceux de son âge. Témoin encore de cette faveur dont il fut l’objet, et lecteur charmé de Delille dans mon enfance, j’ai peu d’efforts à faire pour rentrer dans l’esprit qui le faisait goûter, et pour me souvenir, en parlant de lui, qu’il a régné, et en quel sens on le peut dire.

Delille a régné, ou du moins il a été le prince des poètes de son temps. Il y a eu à divers momens en France de tels princes des poètes, et il serait curieux d’en noter la dynastie assez irrégulière, assez capricieuse. Sans remonter si haut que le moyen-âge, que l’époque de Chrétien de Troyes, du roi Adénès et autres, qui étaient les rois des trouvères, nous apercevons, sur la pente de ces vieux siècles et de notre côté, Jean de Meun, Villon, surtout Marot, qui méritèrent ce nom. Ronsard l’eut plus qu’aucun :

Tous deux également nous portons des couronnes,


lui disait Charles IX. Malherbe, après lui, régna ; mais ce fut déjà d’une autre espèce d’autorité, où le jugement et la grammaire entraient autant que l’agrément poétique et que la vogue mondaine. Ce nom de prince des poètes implique en effet quelque chose de galant et de mondain, quelque chose comme une rosette de rubans piquée au chapeau de laurier. Voiture, vrai prince des beaux-esprits, et galamment chaperonné de la sorte, n’eut qu’un moment. Boileau régna, mais à la façon sérieuse de Malherbe, et on ne peut dire que ce fut un prince des poètes ; c’en fut plutôt l’oracle et le conseil. Les grands poètes du règne de Louis XIV et leur gloire solide se prêtaient mal à la gentillesse de rôle que suppose ce titre raffiné. La Fontaine seul y aurait donné, je crois bien, par nonchaloir, par complaisance pour les Iris et les Clymènes, si on l’avait laissé faire. Fontenelle eut, comme Voiture, chez les caillettes de bonne maison, un vif et assez long règne de bergerie en tapinois dans les ruelles. Voltaire, qui, dans la dernière moitié de sa vie, régna véritablement, fut monarque comme philosophe, comme historien, non moins que comme poète. Delille, à quelques égards son successeur, n’hérita que de la partie légère et brillante de son sceptre ; il y rattacha des rubans retrouvés, rajeunis, du goût de Fontenelle et de Voiture. Ce fut Voiture cultivant des genres sérieux, un Gresset qui avait tout-à-fait réussi. Il devint de son temps un vrai prince des poètes, comme on l’était avant Louis XIV, avec tout ce que l’idée de mode et d’engouement ramène sous ce nom. Le monde le choya, les femmes l’adorèrent ; ce fut, pour tout ce qui le connut, un jouet charmant et une idole.

Jacques Delille, né à Aigue-Perse en Auvergne, d’une naissance clandestine, le 12 juin 1738, fut baptisé à Clermont et reconnu sur les fonts par M. Montanier, avocat, qui mourut peu après, en lui laissant une petite rente. La mère de Delille, à laquelle ce fruit d’un amour caché dut être enlevé en naissant, était une personne de condition, de la descendance du chancelier L’Hôpital. Il ne paraît pas pourtant que l’enfance du poète ait été assiégée de trop pénibles images, et, quand il eut à chanter plus tard ses premiers souvenirs, il n’en trouvait que de rians :

Ô champs de La Limagne, ô fortuné séjour !
................
Voici l’arbre témoin de mes amusemens ;
C’est ici que Zéphir, de sa jalouse haleine,
Effaçait mes palais dessinés sur l’arène ;
C’est là que le caillou, lancé dans le ruisseau,
Glissait, sautait, glissait et sautait de nouveau :
Un rien m’intéressait. Mais avec quelle ivresse
J’embrassais, je baignais de larmes de tendresse
Le vieillard qui jadis guida mes pas tremblans,
La femme dont le lait nourrit mes premiers ans,
Et le sage pasteur qui forma mon enfance !

De cette école du presbytère, le jeune Delille fut envoyé à Paris, et vint faire ses études au collége de Lizieux, où on le reçut comme boursier. Est-ce à la surveillance secrète de sa mère, à la protection de quelque tuteur, ami de son père, qu’il dut cette direction heureuse ? c’est ce qui n’a pas été dit. Il se distingua par les plus brillans succès universitaires, et, dans sa seconde année de rhétorique principalement, il obtint tous les premiers prix. Trois ans après, il remporta encore un prix d’éloquence latine proposé aux élèves de l’Université qui visaient au professorat. Tous les rangs étant occupés pourtant, il dut se rabattre à une simple place de maître de quartier au collége de Beauvais, où se trouvaient également alors, comme simples maîtres, son compatriote Thomas, l’abbé Lagrange, depuis traducteur de Lucrèce, et Selis, depuis traducteur de Perse. Dans un vilain livre de Desforges, qu’on n’ose désigner, on trouve de jolis détails sur la vie de Delille à cette époque ; les sobriquets que lui donnaient les écoliers étaient écureuil ou sapajou, ad libitum. « Il est certain, dit l’auteur du Poète, que cet aimable jeune homme avait toute la vivacité, toute la gentillesse de l’un et de l’autre, et, disons la vérité, un peu de la malice du dernier ; mais il en avait aussi l’innocence et la grace. Il était fort bien fait, et aimait assez à voir un beau bas de soie noir dessiner sa jambe fine et bien tournée. Du reste, presque aussi enfant que nous, il se faisait un plaisir, et même un mérite, de n’être que primus inter pares, et tout n’en allait que mieux, grace à cette presque égalité. » Le soir, au coin du feu, il proposait à ses élèves et mettait au concours entre eux la traduction de vers et de passages des Géorgiques, dont il s’occupait déjà.

Nous connaissons la physionomie de Delille, et elle ne fera que se dessiner en ce sens de plus en plus. Le malheur de cette enfance sans mère, cette éducation orpheline et à la charge d’autrui, cette pauvreté du jeune homme, n’ont pas altéré un trait de son amabilité gracieuse. Tout en nous dépend du tour des caractères, quand ils sont donnés par la nature un peu décidément. Voltaire reçoit, jeune, des coups de bâton d’un grand seigneur, et il ne reste pas moins ami de la noblesse, du beau monde, et l’opposé en cela de Jean-Jacques. Dans un exemple moindre, mais qui me frappe aussi, Mme Desbordes-Valmore, jeune fille, va en Amérique, d’où, après des pertes et d’affreux malheurs, elle revient élégiaque éplorée, tandis que Desaugiers revient de là même, après des malheurs pareils, le plus gai des chansonniers du Caveau. Ainsi Delille, enfant naturel, élevé par charité, n’en sera pas moins, dès son premier pas dans le monde, et au rebours de l’âcre et caustique Champfort, le petit abbé le plus espiègle et le bel-esprit le plus charmant.

C’est pendant et peut-être même avant son séjour au collége de Beauvais, et lors de ses premiers essais de la traduction des Géorgiques, qu’il fit à Louis Racine cette visite touchante dont il est parlé dans la préface de l’Homme des Champs. Au premier mot d’une traduction en vers des Géorgiques, Louis Racine se récria : « Les Géorgiques ! dit-il d’un ton sévère, c’est la plus téméraire des entreprises. Mon ami M. Le Franc, dont j’honore le talent, l’a tentée, et je lui ai prédit qu’il échouerait. » — « Cependant, continue Delille en son récit, le fils du grand Racine voulut bien me donner un rendez-vous dans une petite maison où il se mettait en retraite deux fois par semaine, pour offrir à Dieu les larmes qu’il versait sur la mort d’un fils unique… Je me rendis dans cette retraite (du côté du faubourg Saint-Denis) ; je le trouvai dans un cabinet au fond du jardin, seul avec son chien, qu’il paraissait aimer extrêmement. Il me répète plusieurs fois combien mon entreprise lui paraissait audacieuse. Je lis avec une grande timidité une trentaine de vers. Il m’arrête, et me dit : « Non-seulement je ne vous détourne plus de votre projet, mais je vous exhorte à le poursuivre. »

Ginguené, parlant de l’homme des Champs dans la Décade, relève ce qu’a d’intéressant cette visite qui lie ensemble la chaîne des noms et des souvenirs poétiques, et il ajoute avec un beau sentiment de piété littéraire : « On sait que le poète Le Brun eut avec Louis Racine les liaisons les plus intimes, et qu’il fut, pour ainsi dire, élevé par lui dans l’art des vers avec son fils, jeune homme de la plus belle espérance, le même dont le père pleurait la mort quand Delille eut de lui la permission de l’aller voir dans sa retraite. Ainsi, les deux plus grands poètes que nous ayons encore, sont, avec un seul intermédiaire, de l’école de Racine et de Boileau. Ils sont chefs d’école à leur tour. Les différences qui existent dans leur talent et dans le système de leur style s’apercevront un jour dans leurs élèves, mais tous tiendront plus ou moins à la grande et primitive école. Et voilà comment se perpétue ce bel art, qui a besoin de traditions orales, et dont tous les secrets ne s’apprennent pas dans les livres. » Delille, en effet, se rattache, sans interruption ni secousse, à cette école qu’il fit dégénérer en la faisant refleurir. L’auteur du poème de la Religion, à quelques égards le père de la poésie descriptive du xviiie siècle, dut accueillir les vers élégans dont lui-même avait enseigné l’heureux tour, dans son morceau sur le nid de l’hirondelle, sur la circulation de la sève, et ailleurs. Voltaire dut accueillir aussi un disciple de cette poésie facile, spirituelle et brillante, qu’il ne concevait guère, pour son compte, plus profonde et plus sévère. Delille, arrivant sous leurs auspices, favorisé et comme autorisé des maîtres, fut novateur sans y viser ; et en s’efforçant plutôt de ne pas l’être. Comme Ovide, il eut le culte de ses devanciers, dont il allait corrompre si agréablement l’héritage. Au sortir de cette retraite janséniste, où il avait pris oracle du fils du grand Racine inclinant vers la tombe, il pouvait se redire avec le transport d’un amant des Muses :

Temporis illius colui fovique poetas,
Quotque adorunt vates, rebar adesse deos
.

Les strophes de Delille à Le Franc, insérées dans l’Année littéraire (1758), suivirent probablement cette visite à Louis Racine, de qui il avait appris que Le Franc traduisait Virgile comme lui. Il y fait de Le Franc un grand chêne, auquel, simple lierre, il s’attache. Les premiers vers qu’on a de Delille à cette époque, son ode à la Bienfaisance, qui concourut pour le prix de l’Académie française, son épître sur les Voyages, couronnée par l’Académie de Marseille, ses autres épîtres de collége, ne sont remarquables que par la facilité, l’abondance, une certaine pureté ; mais nulle idée neuve, nulle couleur originale. Le goût des arts, des lettres, les sentimens d’un esprit vif et honnête, s’y montrent selon les traditions reçues. Les artistes en vogue y sont nommés et admirés sans aucune gradation, Boucher au niveau de Rembrandt, et Vanloo aux touches enflammées à côté de Voltaire. La plume de Rollin et la lyre de Coffin, le double honneur du collége de Beauvais, y ont leur part. Bien débité, cela devait être infiniment agréable à une thèse ou à une distribution de prix. Dans l’épître à M. Laurent, à l’occasion d’un bras artificiel qu’il a fait pour un soldat invalide (1761), on trouve pourtant déjà tout le poète didactique ; les merveilles de l’industrie et de la mécanique moderne y sont décrites en une série de périphrases accompagnées de notes indispensables :

Là le sable, dissous par les feux dévorans,
Pour les palais des rois brille en murs transparens !


Ce qui veut dire qu’on fait des glaces. Glaces donc, tapisseries, écriture, imprimerie, moulin à vent, moulin à eau, pompes, écluses, ponts portatifs, automates de Vaucanson, machine de Marly, tout est passé en revue à l’occasion de ce bras artificiel. On ne sait plus lequel de M. Laurent ou du poète est le mécanicien. Cette épître à M. Laurent semble avoir été pour Delille le programme qu’il se posa, ou, si c’est trop dire, l’écheveau qu’il tourna et dévida toute sa vie.

Le bannissement des jésuites laissait vacans beaucoup de colléges de France, et le jeune maître de quartier du collége de Beauvais fut appelé comme professeur à celui d’Amiens[1], dans cette patrie de Voiture, où Gresset vivait alors dévot et retiré. Delille dut y visiter ce spirituel poète, de qui il tenait beaucoup plus qu’il ne le soupçonnait. Occupé des Géorgiques de Virgile, il se croyait une muse grave. Il ne savait pas combien il était proche parent de Vert-Vert, et de quel danger mortel les dragées seraient pour son talent. Gresset, qu’on avait essayé dans un temps d’opposer à Voltaire, et dont Jean-Baptiste Rousseau exaltait les débuts, n’avait eu ni assez de force de talent ni assez de pensée pour soutenir la lutte, et il avait été vite jeté de côté. Delille, arrivant comme un autre Gresset, sur les derniers temps de Voltaire, reprit, à quelques égards, le rôle manqué par le premier, et avec du brillant, du mondain à force, rien du collége, mais peu de philosophie et de pensée, il réussit à succéder en poésie au trône, encore imposant, qui devint aussitôt par lui un tabouret chez la reine.

En attendant, il succédait, au collége d’Amiens, à ces jésuites dont il allait introduire en français les procédés de vers latins et tant de descriptions didactiques ingénieuses. Rapin, Vanière, par les sujets comme par la manière, semblent avoir été ses maîtres ; il y a du père Sautel dans Delille.

Un discours sur l’Éducation, prononcé par Delille, en 1766, à une distribution de prix du collége d’Amiens, marquerait, au besoin, combien peu d’idées la prose fournissait à l’élégant diseur dans un sujet déjà fécondé par l’Émile. Les autres rares morceaux de prose qu’on a de l’abbé Delille, depuis son éloge de La Condamine, lors de sa réception à l’Académie, jusqu’à son article La Bruyère dans la Biographie universelle, ne démentent pas cette observation ; agréables de tour et de récits anecdotiques, ils sont très clairsemés d’idées. Son morceau le plus capital, la préface des Géorgiques, est même, en grande partie, traduite de Dryden, que Delille combat en un endroit, sans dire jusqu’à quel point il en profite[2].

Du collége d’Amiens, le jeune professeur fut rappelé comme agrégé à Paris, et nommé pour faire la classe de troisième au collége de La Marche ; il y était encore lors de sa réception à l’Académie, en 1774. Mais la disproportion entre cette gloire si littéraire, si mondaine, et ces thèmes, qu’il dictait encore, devenait trop criante, et l’amitié de M. Le Beau, professeur d’éloquence latine au Collége de France, l’appela à professer, comme suppléant d’abord, la poésie qui était comprise dans cette chaire.

La traduction des Géorgiques parut à la fin de l’année 1769 ; elle était annoncée à l’avance par de nombreuses lectures dans les salons, que fréquentait déjà beaucoup Delille. Le succès alla aux nues. C’était la mode de la nature ; on adorait la campagne du sein des boudoirs. Les Géorgiques furent sur les toilettes comme un volume de l’Encyclopédie ou comme le livre de l’Esprit ; on crut lire Virgile. Le grand Frédéric déclara cette traduction une œuvre originale. Voltaire s’éprit de Virgilius-Delille (il était fort en sobriquets), et écrivit à l’Académie française pour l’y pousser (4 mars 1772) : « Rempli de la lecture des Géorgiques de M. Delille, je sens tout le prix de la difficulté si heureusement surmontée, et je pense qu’on ne pouvait faire plus d’honneur à Virgile et à la nation. Le poème des Saisons et la traduction des Géorgiques me paraissent les deux meilleurs poèmes qui aient honoré la France après l’Art poétique… » La Harpe, dans le Mercure, célébra tout d’abord la traduction ; Fréron, dans l’Année littéraire, ne l’attaqua point ; s’il la trouva infidèle souvent, comme reproduction du modèle, il convint qu’il était difficile de mieux tourner un vers, et ne craignit pas d’y reconnaître le faire de Boileau. Clément de Dijon seul, Clément l’inclément, comme dit Voltaire, avec son volume d’Observations critiques (1771), que suivit bientôt un second volume de nouvelles Observations (1772), vint troubler le succès du traducteur des Géorgiques et du poète des Saisons. Saint-Lambert eut le crédit et le tort d’obtenir un ordre pour faire conduire Clément au For-l’Évêque, et pour faire saisir l’édition (encore sous presse) de sa critique. Le prétexte était que Clément disait sur Doris certains mots, lesquels on aurait pu appliquer à Mme d’Houdetot. On fit des cartons à ces endroits, le livre parut, et tout le monde lut Clément.

Il disait de bonnes choses, et tout ce qui se peut dire de judicieux de la part d’un homme sérieux, instruit de l’antiquité, amateur du goût solide, mais que le rayon poétique direct n’éclaire pas. Où se trouvait alors, est-il vrai de dire, ce rayon, ce sentiment du style poétique, si l’on excepte Le Brun, qui en avait l’instinct, l’intention, et André Chénier naissant, qui allait le retrouver ? Le Brun, d’ailleurs, n’était pas étranger à la critique de Clément, son ami, à qui il avait confié sa traduction, encore inédite, de l’épisode d’Aristée, pour être opposée à celle qu’en avait donnée Delille. Celui-ci, bon et modeste, profita, dans les éditions suivantes, des critiques de Clément, en ce qu’elles lui paraissaient renfermer de juste, et il rendit sa traduction plus fidèle en bien des points. Ce qu’il n’y a pas ajouté, et ce qui était incommunicable, à moins de l’avoir tout d’abord senti, c’est un certain art et style poétique qui fait que, dans la lutte de poète à poète, indépendamment de la fidélité littérale, des beautés du même ordre éclatent en regard, et comme un prompt équivalent d’autres beautés forcément négligées. Delille est élégant, facile, spirituel aux endroits difficiles, correct en général, et d’une grace flatteuse à l’oreille ; mais la belle peinture de Virgile, les grands traits fréquens, cette majesté de la nature romaine :

Magna parens frugum, Saturnia tellus,
Magna virûm
 ;

les vieux Sabins, les Umbriens laboureurs menant les bœufs du Clitumne ; cette antiquité sacrée du sujet (res antiquæ laudis et artis) ; cette nouveauté et cette invention perpétuelle de l’expression, ce mouvement libre, varié, d’une pensée toujours vive et toujours présente, ont disparu, et ne sont pas même soupçonnés chez le traducteur. On glisse avec lui sur un sable assez fin, peigné d’hier, le long d’une double palissade de verdure, dans de douces ornières toutes tracées. M. de Châteaubriand a mieux rendu notre idée que nous ne pourrions faire, quand il dit : « Son chef-d’œuvre est la traduction des Géorgiques. C’est comme si on lisait Racine traduit dans la langue de Louis XV. On a des tableaux de Raphaël merveilleusement copiés par Mignard. » J’ajouterai qu’un grand paysage du Poussin, copié par Watteau, serait encore supérieur (comme style) aux grands paysages de Virgile reproduits par le futur chantre des jardins de Bagatelle, de Bel-Œil et de Trianon. Quelque chose comme Poussin, par Watelet. Une villa des collines d’Évandre, transportée à Moulin-Joli.

La question tant agitée de la traduction en vers des poètes n’en est pas une pour nous. Nul doute que, si un vrai et grand poète se mettait en tête de nous traduire Virgile, Homère ou Dante, ou tel autre maître, il n’y réussît à force de temps et de soins, sinon pour la lettre stricte, du moins pour le sentiment et la couleur. Mais à quoi bon ? Jamais poète de cette trempe ne s’enchaînera ainsi au char d’un autre. Il pourra s’y essayer par momens ; il pourra, dans sa jeunesse, un jour de loisir, détacher et agiter ce bouclier suspendu, bander cet arc impossible, manier ce glaive de Roland. Mais, une fois sa force essayée et reconnue, il l’emploiera pour son compte, et en se rappelant, en nous rappelant par éclairs ses autres grands égaux, il sera lui-même.

Dans André Chénier, dans plusieurs des poètes du xvie siècle, qui ont imité ou traduit des fragmens de poètes anciens, le sentiment exquis du modèle, ce sentiment que je ne puis définir autrement que celui de l’art même, se révèle à qui est fait pour l’apprécier. Il n’y a pas trace de ce genre de sentiment chez Delille, qui a, d’ailleurs, dans sa traduction, le mérite de l’élégance, telle qu’on l’entend vulgairement, le mérite aussi de la continuité et de la longueur de la tâche, et enfin celui d’avoir fait connaître agréablement aux femmes et à une quantité de gens du monde un beau poème qui n’était pas lu.

En un mot, il a rendu, pour les Géorgiques le même service à peu près que l’abbé Barthélemy allait rendre pour la Grèce. Il a été, par sa traduction, une espèce d’Anacharsis parisien de la campagne et de la poésie romaine.

Le grand succès des Géorgiques décida la vocation de Delille, si elle n’était décidée déjà : il tourna au didactique et au descriptif. En entendant dernièrement M. Ampère exposer, à propos des poèmes didactiques du moyen-âge, l’histoire piquante de ce genre, je pensais à Delille et me disais combien ce qui avait paru si neuf de son temps était vieux sous le soleil. Le genre d’Hésiode, de Lucrèce et de Virgile dans les Géorgiques, a chez eux sa simplicité, sa grandeur philosophique, sa beauté pittoresque. Le didactique et le descriptif ne sont que l’abus et l’excès de ce genre dans sa décadence, et quand l’esprit poétique s’en est retiré. Déjà, à Alexandrie, on avait fait un poème des Pierres précieuses qu’on osa imputer à Orphée. Dans la littérature latine, les poèmes de la pêche, de la chasse, les descriptions sans fin de villes, de fleuves et de poissons, qu’on retrouve si souvent chez Ausone, n’ont plus rien de cette beauté de peinture, de ces hautes vues et pensées, dont Lucrèce et Virgile avaient fait la principale inspiration de leurs poèmes. Au moyen-âge, le genre dans son aridité s’étendit et foisonna. Que de poèmes sur les bêtes, oiseaux, pierres, que de lapidaires, bestiaires, volucraires, de poèmes sur l’équitation, sur le jeu d’échecs particulièrement, que Delille remaniait avec gentillesse après des siècles, sans se douter de ses devanciers d’avant Villon ! Au xvie siècle Dubartas, au xviie le père Lemoyne et les jésuites, continuèrent, soit dans le didactique, soit dans le descriptif ; mais ce qui s’était perpétué assez obscurément, comme dans les coulisses du siècle de Louis XIV, revint sur la scène au xviiie. Delille ne fit autre chose toute sa vie, que travailler, polir, tourner, vernisser, monnayer, mieux qu’aucun de ses contemporains, les matières de ce genre, y tailler, pour ainsi dire, des meubles Louis XV et Louis XVI, des ornemens de cheminée et de toilette, bons pour tous les boudoirs, pour Bagatelle, je l’ai dit, pour Gennevilliers et Trianon. Il fabriqua, en quelque sorte, les joujous d’une époque encyclopédique, et, par lui, Lavoisier, Montgolfier, Buffon, Daubenton, Lalande, Dolomieu, que sais-je ? eux et leurs sciences, furent modelés en figurines de cire, et mis pour les salons en airs de serinette. Ainsi il alla, sans se douter de tout ce qui l’avait devancé dans cette carrière de poésie technique. Le dernier triomphe, et comme le bouquet du genre, est aussi la dernière grande production de Delille, les trois Règnes, qu’on peut définir la mise en vers de toutes choses, animaux, végétaux, minéraux, physique, chimie, etc.

Tout ce qu’on saurait imaginer de ressources, de graces, de facilité, de hors-d’œuvre et de main-d’œuvre (non pas d’art véritable) dans ce genre, il le déploya ; et le prestige, malgré des protestations nombreuses, dura jusqu’à sa mort. La première moitié florissante de l’existence de Delille, il ne faut pas l’oublier, est de 1770 à 89 ; il eut là près d’une vingtaine d’années de succès, de faveur, de délices ; c’est au goût de ce moment du xviiie siècle qu’il se rapporte directement. Si, de 1800 à 1813, il domina de sa renommée et décora de ses œuvres abondantes la poésie dite de l’Empire, il ne fut rien moins lui-même qu’un poète de l’Empire. La plupart des ouvrages publiés par lui à partir de 1800, avaient été composés ou du moins commencés long-temps auparavant ; il les avait lus par fragmens à l’Académie, au Collége de France, dans les salons ; c’était l’esprit de ce monde brillant qui les avait inspirés et caressés à leur naissance ; c’est le même esprit de ce monde recommençant, et enfin rallié après les orages, qui les accueillit, lors de leur publication, avec un enthousiasme auquel les sentimens politiques rendaient, il est vrai, plus de vie et une nouvelle jeunesse. Le pathétique, chez Delille, alla en augmentant à travers le technique, et il y eut sympathie de plus en plus vive de toute une partie de la société pour ce qui semblait n’avoir dû être d’abord qu’un passe-temps de ses loisirs.

Nommé en 1772 à l’Académie, en même temps que Suard, Delille se vit rejeté ainsi que lui par le roi, sous prétexte qu’il était trop jeune (il avait trente-quatre ans), mais en réalité comme suspect d’encyclopédisme[3]. L’abbé Delille encyclopédiste ! On lui fit bientôt réparation, et il fut reçu en 1774 à la place de La Condamine. Le comte d’Artois, devenu l’un des protecteurs les plus affectueux du poète, le fit d’abord nommer chanoine de Moissac, dans le Quercy, puis il lui donna l’abbaye de Saint-Séverin, dépendante de la généralité d’Artois, et qui n’astreignait qu’aux ordres moindres. Aussi heureux qu’on pouvait l’être en ces heureuses années, l’aimable poète n’eut plus que des douceurs, qu’interrompaient à peine, de loin en loin, quelques critiques épigrammatiques, des plis de rose. Les mémoires du temps, la Correspondance de Grimm, les Souvenirs, récemment publiés, de Mme Lebrun, nous le montrent dans toute la vivacité et la naïveté de sa gentillesse. Mme Le Coulteux du Moley, chez qui il passait une partie de sa vie à la Malmaison, a tracé de lui le plus piquant des portraits[4] : « Rien ne peut se comparer ni aux graces de son esprit, ni à son feu, ni à sa gaieté, ni à ses saillies, ni à ses disparates. Ses ouvrages même n’ont ni le caractère ni la physionomie de sa conversation. Quand on le lit, on le croit livré aux choses les plus sérieuses[5] ; en le voyant, on jurerait qu’il n’a jamais pu y penser ; c’est tour à tour le maître et l’écolier. Il ne s’informe guère de ce qui occupe la société ; les petits évènemens le touchent peu ; il ne prend garde à rien, à personne, pas même à lui. Souvent, n’ayant rien vu, rien entendu, il est à propos : souvent aussi il dit de bonnes naïvetés ; mais il est toujours agréable…

« Sa figure, … une petite fille disait qu’elle était toute en zig-zag. Les femmes ne remarquent jamais ce qu’elle est, et toujours ce qu’elle exprime ; elle est vraiment laide, mais bien plus curieuse, je dirais même intéressante. Il a une grande bouche ; mais elle dit de beaux vers. Ses yeux sont un peu gris, un peu enfoncés ; il en fait tout ce qu’il veut, et la mobilité de ses traits donne si rapidement à sa physionomie un air de sentiment, de noblesse et de folie, qu’elle ne lui laisse pas le temps de paraître laide. Il s’en occupe, mais seulement comme de tout ce qui est bizarre et peut le faire rire ; aussi le soin qu’il en prend est-il toujours en contraste avec les occasions ; on l’a vu se présenter en frac chez une duchesse, et courir les bois, à cheval, en manteau court.

« Son ame a quinze ans, aussi est-elle facile à connaître ; elle est caressante, elle a vingt mouvemens à la fois, et cependant elle n’est point inquiète. Elle ne se perd jamais dans l’avenir et a encore moins besoin du passé. Sensible à l’excès, sensible à tous les instans, il peut être attaqué de toutes les manières ; mais il ne peut jamais être vaincu… Votre conversation l’attache, il est vrai ; mais il passe aussi fort bien deux heures à caresser son cheval, que pourtant il oublie aussi quelquefois, ou bien à s’égarer dans les bois où, quand il n’a pas peur, il rêve à la lune, à un brin d’herbe, ou, pour mieux dire, à ses rêveries. » Elle conclut en disant : « C’est le poète de Platon, un être sacré, léger et volage. »

C’était du moins, à coup sûr, le plus aimable des causeurs et des hôtes familiers ; on se l’enviait, on se l’arrachait. On l’enlevait quelquefois pour une semaine, et il se laissait faire. On a dit de l’abbé Gagliani que c’était un meuble indispensable à la campagne par un temps de pluie ; à plus forte raison, et en tout temps, l’abbé Delille. Mme Lebrun, qui nous le fait connaître à merveille, raconte qu’à la Malmaison, chez Mme du Moley, il était convenu, pour plus de liberté, qu’en se promenant dans les jardins, on tiendrait à la main une branche de verdure, si l’on désirait ne pas se chercher ou s’aborder — « Je ne marchais jamais sans ma branche, dit-elle ; mais je la jetais bien vite, si j’apercevais l’abbé Delille. »

Mme Lebrun elle-même, avec sa facilité, son goût vif à peindre et sa séduction de coloris, me semble avoir été, dans ce même monde, une chose légère, assez semblable à l’abbé Delille. Elle peignait tout avec une singulière grace, les personnes, les cascades, d’après nature ou de souvenir, promptement, fraîchement, comme Delille versifiait : « Nous allâmes d’abord voir, dit-elle, les cascatelles de Tivoli dont je fus si enchantée, que ces messieurs ne pouvaient m’en arracher. Je les crayonnai aussitôt avec du pastel, désirant colorer l’arc-en-ciel qui ornait ces belles chutes d’eau. » Ce mot me fait l’image de son talent, et de celui surtout du poète son ami. Tous les endroits qui n’étaient qu’au pastel, et qui brillaient comme des fleurs, se sont fanés.

Dans cette société de M. de Vaudreuil, de M. de Choiseul-Gouffier, du prince de Ligne, du duc de Bragance, des Boufflers, des Narbonne, des Ségur, du milieu de ces conversations charmantes où nul plus que lui n’étincelait, Delille croyait aimer la campagne et ne rêvait qu’à la peindre. M. Villemain, en une de ses leçons, a remarqué qu’on se trouvait alors si bien dans le salon, qu’on mettait au plus la tête à la fenêtre pour voir la nature ; … et encore, c’était du côté du jardin. Il y avait pourtant, dans le poète, un certain fonds naïf sous la coquetterie du dehors, et il était sérieusement crédule dans son prétendu amour des champs, comme La Fontaine, par exemple, s’il avait cru aimer la cour. Volney tenait de D’Holbach une anecdote qui ne peint pas moins Delille que Diderot, deux figures si diverses[6] : « On venait de vanter le bonheur de la campagne devant Diderot ; sa tête se monte, il veut aller passer du temps à la campagne ; où ira-t-il ? Le gouverneur du château de Meudon arrive en visite ; il connaît Diderot ; il apprend son désir ; il lui assigne une chambre au château. Diderot va la voir, en est enchanté ; il ne sera heureux que là ; il revient en ville, l’été se passe sans qu’il retourne là-bas. Second été, pas plus de voyage. En septembre, il rencontre le poète Delille qui l’aborde en disant : « Je vous cherchais, mon ami ; je suis occupé de mon poème ; je voudrais être solitaire pour y travailler. Mme d’Houdetot m’a dit que vous aviez à Meudon une jolie chambre où vous n’allez point. » — « Mon cher abbé, écoutez-moi : nous avons tous une chimère que nous plaçons loin de nous ; si nous y mettons la main, elle se loge ailleurs. Je ne vais point à Meudon, mais je me dis chaque jour : J’irai demain. Si je ne l’avais plus, je serais malheureux. » — Delille aurait été un peu embarrassé, je pense, si Diderot l’avait pris au mot, et il se serait vite ennuyé de cette chambre solitaire. La campagne fut toujours, si l’on peut dire, le dada de l’abbé Delille ; il en parlait, même aveugle, comme d’un charme présent ; Bernardin de Saint-Pierre, dans une lettre à sa femme, raconte que l’abbé Delille est venu s’asseoir près de lui à l’Institut : « Je l’ai trouvé si aimable et si amoureux de la campagne, dit-il, et il m’a fait des complimens qui m’ont causé tant de plaisir, que je lui ai offert de venir à Éragny… » — Après bien des lectures à l’Académie et dans les soupers, le poème des Jardins, premier fruit raffiné de ce goût champêtre, parut en 1782, et n’eut pas de peine à fixer toute l’attention, alors si prompte.

Nous aurions peu de chose à en dire de nous-même, qui n’eût déjà été mieux dit par des contemporains. La Harpe, après en avoir entendu des extraits, le jugeait par avance un ouvrage dont les idées sont un peu usées, mais plein de détails charmans[7]. L’auteur de l’Année littéraire, qui d’ailleurs allégea toujours sa férule pour Delille, prononçait[8] que le poème de l’abbé Delille était un véritable jardin anglais : « On pourrait, dit-il, être tenté de croire que le poème est construit de morceaux détachés et de pièces de rapport réunies sous le même titre. Les idées y semblent jetées au hasard, déchiquetées par petits couplets qu’étrangle à la fin une sentence[9]. » Ce reproche est fondamental à l’égard de Delille et tient à la nature même de son procédé. Lorsqu’il débuta dans le monde, on ne songeait qu’à des morceaux, et tout dépendait du succès d’une lecture. Il alla droit à cet écueil et s’y complut. Rivarol disait de lui : « Il fait un sort à chaque vers, et il néglige la fortune du poème ! » Quand Delille avait achevé quelque portion descriptive, quelque morceau, il avait coutume de dire : « Eh bien ! où mettrons-nous çà maintenant ? » On le voit, c’était moins un poème qu’il composait, qu’un appartement, en quelque sorte, qu’il ornait et meublait selon la fantaisie ou l’occurrence.

Le Mercure, qui donna sur les Jardins, un pur article d’ami[10], nous montre quelle était alors dans le monde la vraie situation du poète, en ces mots : « Voici le moment que la critique attendait pour se venger de ce dupeur d’oreilles, dont le débit enchanteur la réduisait au silence. M. l’abbé Delille respecte toutes les réputations, applaudit à tous les talens, ménage l’amour-propre de tout le monde ; n’importe ! on affligera le sien, si l’on peut ; c’est la règle ; pense-t-il être impunément le poète le plus aimable et le plus aimé ? » Ce caractère inoffensif et bienveillant de l’abbé Delille le rendit, jusque bien avant dans la révolution, étranger à toutes les querelles. Il n’était pas encyclopédiste, et il voyait Diderot, et il récitait des vers, près de Roucher qu’on lui comparait encore, aux déjeuners de l’abbé Morellet. Il n’était ni gluckiste ni picciniste, au grand déplaisir de Marmontel qui, dans son poème de l’Harmonie, disait :

L’abbé Delille avec son air enfant
Sera toujours du parti triomphant :


épigramme que Delille réfuta suffisamment dans la seconde moitié de sa vie, en étant du parti des malheureux[11].

La critique la plus célèbre qui parut contre les Jardins est celle de Rivarol, c’est-à-dire le dialogue du chou et du navet, qui se plaignent d’avoir été oubliés par l’abbé-poète dans ses peintures de luxe :

Le navet n’a-t-il pas, dans le pays latin,
Long-temps composé seul ton modeste festin,
Avant que dans Paris ta muse froide et mince
Égayât les soupers du commis et du prince ?
...............
Je permets qu’au boudoir, sur les genoux des belles,
Quand ses vers pomponnés enchantent les ruelles,
Un élégant abbé rougisse un peu de nous,
Et n’y parle jamais de navets et de choux.
Son style citadin peint en beau les campagnes ;
Sur un papier chinois il a vu les montagnes,
La mer à l’Opéra, les forêts à Long-Champs,
Et tous ces grands objets ont ennobli ses chants.
Ira-t-il, descendu de ces hauteurs sublimes,
De vingt noms roturiers déshonorer ses rimes,
Et pour nous renonçant au musc du parfumeur,
Des choux qui l’ont nourri lui préférer l’odeur ?
Papillon en rabat, coiffé d’une auréole,
Dont le manteau plissé voltige au gré d’Éole,
C’est assez qu’il effleure, en ses légers propos,
Les bosquets et la rose, et Vénus et Paphos.
La mode, au vol changeant, aux mobiles aigrettes,
Semble avoir pour lui seul fixé ses girouettes ;
Sur son char fugitif où brillent nos Laïs,
L’ennemi des navets en vainqueur s’est assis,
Et ceux qui pour Jeannot abandonnent Préville
Lui décernent déjà le laurier de Virgile.


Il courut dans le temps une épigramme qui piqua, dit-on, le poète plus que la pièce même de Rivarol ; on la peut lire dans les Mémoires secrets (23 décembre 1782). Piron l’eût écrite s’il eût vécu ; c’est une protestation un peu crue du Dieu des Jardins contre les oripeaux du poète glacé. Ducis, vers le même temps, écrivait à Thomas au retour d’une course dans les montagnes du Dauphiné, et plein encore de l’impression magnifique qu’il en avait rapportée : « Le poème des Jardins, dont vous me parlez avec tant de goût, avec le goût de l’ame qui est le bon, ne m’a point donné de ces émotions-là. » Un peu avant la publication et au sortir d’une séance de l’Académie où Delille avait lu des morceaux, le même Ducis écrivait : « Parlons un peu du poème des Jardins ; on ne peut pas se tromper sur le charme de la lecture. Quelle perfection de vers ! quelles tournures ! quelle brillante exécution ! C’est véritablement le petit chien qui secoue des pierreries. » Ainsi, en y regardant bien, on verrait qu’à chaque époque, toutes les opinions sur les talens vivans sont représentées, exprimées. On les oublie ensuite, et on croit les retrouver pour son compte, en supposant chez les contemporains une unanimité d’admiration qui n’a jamais existé.

Notre opinion particulière sur les Jardins, si on nous la demande, est que, toutes réserves faites sur l’art et le style en poésie, nous aimons encore cet agréable poème, un des plus frais ornemens de la fin du xviiie siècle. La sensibilité, qui y perce par endroits, est bien celle qu’on voulait alors, un peu de mélancolie comme assaisonnement de beaucoup de plaisir. On relit avec une sorte de surprise, toujours flatteuse, l’épisode du jeune Potaveri, l’apostrophe à Vaucluse, et sous la forme plus complète, dans laquelle le poème fut publié en 1800, la belle invocation aux bois dépouillés de Versailles. Mais, il faut en convenir, jamais on n’y trouve d’accens comme ceux d’André Chénier, par exemple, chantant également Versailles et ses triples cintres d’ormeaux.

Les chars, les royales merveilles,
Des gardes les nocturnes veilles,
Tout a fui : des grandeurs tu n’es plus le séjour.


L’épisode du vieillard du Galèse est hors de prix à côté du poème des Jardins ; et, dans notre langue, l’Élysée de la Nouvelle Héloïse, avec sa peinture, la première si neuve, reste le bosquet sacré d’où Delille n’a fait que tailler des boutures.

La Fontaine lui-même, déjà dans le Songe de Vaux, avait introduit et fait parler Hortésie ou l’art des Jardins, qui dispute le prix à Palatiane, Apellanire et Calliopée (les arts de l’architecture, de la peinture et de la poésie). Quoique ce morceau soit de sa première et un peu fade manière, on y trouve des traits tels que Delille n’en a pas assez connu, comme, par exemple, quand, Hortésie étant introduite devant les juges et ne parlant point encore, ceux-ci eurent beaucoup de peine à ne se pas laisser corrompre aux charmes même de son silence. Dans les Amours de Psyché, La Fontaine a aussi décrit les merveilles naissantes de Versailles : les vers, le plus souvent techniques, sont parfois éclairés d’un reflet d’ame inattendu, que je ne retrouve pas à travers le bel-esprit de Delille :

L’onde, malgré son poids, dans le plomb renfermée,
Sort avec un fracas qui marque son dépit,
Et plaît aux écoutans, plus il les étourdit.
Mille jets, dont la pluie alentour se partage,
Mouillent également l’imprudent et le sage.

Malgré les critiques qu’on fit des Jardins, Delille ne continua pas moins d’être le plus brillant et le plus enfant gâté des poètes. Il ne publia rien de nouveau jusqu’après la révolution ; mais il travailla dès-lors, et par fragmens toujours, à la plupart des ouvrages qui parurent ensuite coup sur coup, à dater de 1800. M. de Choiseul-Gouffier l’emmena ou plutôt l’enleva sur le vaisseau qu’il montait comme ambassadeur à Constantinople[12]. Delille visita Athènes, composa des morceaux de son poème de l’Imagination aux rivages de Bysance. Une lettre écrite par lui en France sur son voyage était à l’instant un évènement de société ; un bon mot qu’il avait dit sur des pirates fit fortune. Sa vue s’affaiblissait déjà ; ce soleil lumineux et cette blancheur des murailles du Levant lui causaient plus de souffrance que de joie. À son retour en France, il reprit sa vie mi-partie studieuse et distraite, et la révolution seule la vint troubler.

Delille vit la révolution avec les sentimens qu’on peut aisément supposer ; il écrivait à Mme Lebrun, déjà réfugiée à Rome : « La politique a tout perdu, on ne cause plus à Paris. » Il n’émigra point pourtant ; mais inoffensif, généralement aimé, se couvrant du nom de Montanier-Delille, et de plus en plus rapproché de sa gouvernante, qui passa bientôt pour sa nièce[13], et devint plus tard sa femme, il baissait la tête en silence durant les années les plus orageuses. Il quitta sa tonsure et mit des sabots. Cette époque de sa vie est assez obscure, et l’esprit de parti qui s’en est mêlé plus tard n’a pas aidé à l’éclaircir. Les royalistes ont exalté son courage, d’avoir ainsi bravé, par sa présence, les tyrans et les bourreaux ; l’honnête M. Amar l’a comparé à Vernet se faisant attacher au mât du navire dans l’orage, pour être jusqu’au bout témoin de ce qu’il aurait à peindre. On a cité son Dithyrambe, qui lui avait été demandé pour la fête de l’Être-Suprême, et dont plusieurs vers étaient la satire des oppresseurs. M. Tissot a judicieusement, selon moi, discuté ce point, et rabattu des exagérations qu’on en a faites après coup. Ce qu’il y a de certain, c’est que Chaumette protégea Delille ; ce qui le protégeait surtout, c’était son humeur, sa gloire chère à tous dès le collége, son air enfant, son gentil caractère ; souris qui joue dans l’antre du lion ; épagneul que la griffe terrible épargne. Jamais un poète capable de porter ombrage, et suspect de sonner la trompette d’alarme, n’aurait ainsi échappé : André Chénier mérita de mourir. Les serins chantent dans les cages, a dit l’autre Chénier de Delille ; du moins, ce serin charmant, qu’on trouva dans le palais fumant du sang des maîtres, et qu’on aurait voulu faire chanter, le serin, disons le à son honneur, fut triste et ne chanta pas.

Delille ne quitta Paris qu’après le 9 thermidor, c’est-à-dire au moment où c’était plutôt le cas de rester ; et une fois parti, il ne parut occupé que de rentrer le plus tard possible et à son corps défendant, comme s’il eût boudé contre son cœur. Cette bizarrerie est restée inexpliquée. On a dit plaisamment qu’une faute de français, un cuir d’un membre du comité de salut public qu’il rencontra, le fit s’écrier : « Décidément on ne peut plus habiter ce pays-ci. » On a raconté non moins plaisamment[14], que l’abbé de Cournand, alors son ami, et qui depuis crut lui jouer un mauvais tour en retraduisant les Géorgiques, étant de garde aux Tuileries, reconnut le poète qui se promenait malgré sa mise en arrestation au logis, qu’il fit mine de le vouloir reconduire chez lui au nom de la loi, et que depuis lors Delille avait peur de la garde-nationale et de l’abbé de Cournand. Delille était encore à la rentrée publique du Collége de France, le 1er frimaire an iii, et y récitait des vers. Le 15 ventôse, sa présence était accueillie aux Écoles normales avec des applaudissemens réitérés. On a pensé que la préférence accordée au poète Le Blanc pour les récompenses nationales (17 floréal an iii) l’aurait mortifié et décidé au départ. Peut-être sa gouvernante, qui avait pris sur lui un empire absolu, espérait-elle, en le retenant à Paris, se faire dès-lors épouser. Peut-être, voyant la révolution, sinon close, du moins sur le retour, songeait-il, en émigrant (bien qu’un peu tard), à se mettre en règle avec l’avenir. Quoi qu’il en soit, lorsqu’on essayait de sonder ses vrais motifs et qu’on lui parlait de revenir à Paris, il demandait toujours si l’abbé de Cournand y était encore. Dès qu’il y avait quelque chose de sérieux, il s’en tirait volontiers ainsi, par une plaisanterie et une gentillesse[15].

Delille gagna à ce parti pris d’un exil tout volontaire des sentimens plus vifs que d’habitude, et le droit d’exhaler une inspiration plus profonde qu’il n’avait marquée jusqu’alors. L’inspiration directement religieuse ne fut jamais la sienne ; l’inspiration puisée dans la nature avait été une de ses prétentions et de ses illusions plutôt qu’une source véritable. Il n’avait pas connu l’amour, point de passion de cœur ou d’ardeur de sens ; du moins rien de pareil ne s’entrevoit dans le détail de toutes ses coquetteries et de ses caresses de beau monde. Enfin, grace aux tourmentes publiques et à l’impression qui en resta sur son cœur, une inspiration réelle lui vint ; il se fit le poète du passé, des infortunes royales, le poète du malheur et de la pitié. Cette veine de larmes, en fécondant la seconde partie de ses œuvres, donna à sa renommée poétique un caractère sérieux et touchant, que salua avec transport la société renaissante, et qui couronna dignement sa vieillesse.

De Saint-Diez dans les Vosges, patrie de Mme Delille, où il alla d’abord et où il acheva la traduction de l’Énéide, Delille partit pour la Suisse. À Bâle, il fut témoin du bombardement de Huningue et y apprit à décrire le jeu de la bombe :

De son lit embrasé, tantôt l’affreuse bombe, etc.


Habitant le village de Glairesse, il dut à l’aspect de l’île de Saint Pierre d’ajouter dans son poème de l’Imagination le morceau sur Jean-Jacques. Ainsi, à chaque pause de son exil, il allait décrivant et ajoutant quelque pièce à ses anciens cadres. Il passa de la Suisse à la petite cour du duc de Brunswick, où il travailla à son poème de la Pitié. À Hambourg, il rencontra Rivarol et se réconcilia avec lui. Ils se dirent des choses plaisantes ; ce fut un assaut de grace ; du coup, un bourgeois, là présent, eut presque de l’esprit. Il s’y dépensa plus de bons mots en un quart d’heure, que durant des siècles de la ligue anséatique.

C’est un trait bien honorable et distinctif du talent et du caractère de Delille, d’avoir su, sans y prendre garde, lasser la malice et désarmer l’agression. Le Brun, parlant de Fréron dans la Métempsychose, avait dit :

Mais il prôna l’ingénieux Delille,
Qui, sous le fard se donnant pour Virgile,
Si bien lima son vers mince et poli,
Que le grand homme est devenu joli.
Ainsi masquant de graces fantastiques
Le noble auteur des douces Géorgiques,
Par trop d’esprit il n’eut qu’un faux succès…
Oh ! que Le Franc a bien fui cet excès !


Dans une épigramme de date postérieure, Le Brun semble s’adoucir, et il convient que, nonobstant Marmontel, Saint-Lambert et Lemierre,

L’adroit et gentil émailleur
Qui brillanta les Géorgiques,
Des poètes académiques
Delille est encor le meilleur.


Enfin, dans d’autres épigrammes suivantes, il se montre tout-à-fait apaisé, et le nom de Delille ne revient plus qu’en éloges. Ainsi Marie-Joseph Chénier, qui, dans une petite épître au poète émigré rentrant :

Marchand de vers, jadis poète,
Abbé, valet, vieille coquette,
Vous arrivez, Paris accourt, etc. ;


avait été satirique des plus âpres, n’hésita pas à lui rendre bientôt, dans son Tableau de la Littérature, des hommages consciencieux et réfléchis.

Pendant que Delille courait l’Allemagne, et de là passait en Angleterre, on se demandait en France de ses nouvelles avec un intérêt qu’attestent toutes les feuilles du temps. Le premier réveil de l’attention littéraire s’occupait à son sujet. Lalande (décembre 96) donnait dans la Décade une espèce de petit bulletin de ses voyages et de ses poèmes entamés ou terminés. On traduisait, du Mercure allemand de Wieland, un article de Bottiger sur le poète dont la réputation grossissait chaque jour à distance. L’Institut national lui faisait écrire pour le prier de rentrer en son sein, et ce ne fut qu’après trois ans d’un silence par trop boudeur, qu’on le remplaça dans la section de poésie. Enfin, de Londres, où il venait de traduire en dix-huit mois le Paradis perdu, il laissa échapper une seconde édition, très augmentée, du poème des Jardins, et l’Homme des Champs (1800), dont l’impression était retardée depuis trois ans.

On publia, vers ce temps, un recueil de ses poésies diverses et fragmens, auquel M. Michaud ajouta une notice biographique, car on était avide des moindres détails. Les extraits de Fontanes au Mercure, et de Ginguené à la Décade, sur l’Homme des Champs, étaient insérés dans le volume ; on tâchait d’y réfuter les critiques, d’ailleurs fort modérées et respectueuses, de Ginguené[16]. Bref, Delille entrait vivant dans la gloire incontestée, et prenait rang parmi ceux qui règnent.

Cette monarchie, bien suffisamment légitime, où il allait s’asseoir, ne se déclarait pas moins par certaines attaques démesurées et désespérées, et qui étaient en petit comme les conspirations républicaines de même date contre Bonaparte. En regard du trophée poétique que lui dressaient ses amis, il parut une brochure intitulée : Observations classiques et littéraires sur les Géorgiques françaises, par un Professeur de belles-lettres (an ix). Il y était dit : « Comment se flatter de ramener l’opinion sur un ouvrage qui, même avant la publicité, était dévoué à l’apothéose. » On y supputait que, dans un ouvrage de 2,642 vers, il se trouvait :

643 répétitions,
558 antithèses,
498 vers symétriques,
294 vers surchargés,
164 vers léonins ;
Total : 2,157

En tête du volume se voyait une caricature d’après le dessin d’un élève de David. Le poète, en costume d’abbé, tournait le dos à la Nature et dirigeait ses pas et sa lorgnette vers le temple du mauvais Goût. Des farfadets lui présentaient des hochets et des guirlandes. Sa chatte Raton était à ses pieds ; il se couvrait la tête d’un parasol, et on lisait au-dessous ces deux vers de l’homme des Champs :

Majestueux Été, pardonne à mon silence !
J’admire ton éclat, mais crains ta violence.


M. Émile Deschamps, dans sa spirituelle préface des Etudes françaises et étrangères, et nous tous, railleurs posthumes de Delille, nous sommes venus tard, et n’avons même là-dessus, rien inventé.

Il ne rentra en France que deux ans après, en 1802, pendant l’impression du poème de la Pitié. L’apparition de ce livre fut un évènement politique. Absent et plus hardi de loin, Delille avait été, dans quelques vers, jusqu’à invoquer la vengeance des rois de l’Europe contre la France : cela sortait de la pitié. Il avait toutefois insisté pour que les vers restassent. De près, il sentit le péril. Six vers, qu’il ne désavoua pas, furent, sans façon, substitués par un ami plus sage, et qui prit sur lui d’ôter au poète l’embarras de se rétracter. À cela près, l’inspiration de la Pitié ne parut pas moins suffisamment royaliste et bourbonienne. On peut voir dans les notes de M. Fiévée à Bonaparte (avril 1803) le frémissement de colère qu’excitait autour du Consul un succès impossible à réprimer. Il y eut une brochure intitulée : Pas de pitié pour la Pitié, de Carrion-Nisas ou de quelque autre pareil. On n’y approuvait du poème que les six vers qui avaient été substitués à ceux de Delille. À partir de ce moment, les ouvrages amassés en portefeuille par Delille se succédèrent rapidement et dans un flot de vogue ininterrompu : l’Énéide, 1804 ; le Paradis perdu, 1805 ; l’Imagination, 1806 ; les trois Règnes, 1809 ; la Conversation, 1812. C’était le fruit des vingt années précédentes ; de plus, Delille aveugle ne sortait guère, et, en tutelle de sa femme, versifiait sans désemparer.

Tous ces ouvrages, excepté le dernier, le poème de la Conversation, eurent un succès de vente et de lecture, dont il est piquant de se souvenir. Les livres de Delille se tiraient d’ordinaire à vingt mille exemplaires, pour la première édition. L’Énéide, par exception, se publia à cinquante mille exemplaires. Elle fut achetée à l’auteur quarante mille francs d’abord, bien grande somme pour le temps. En tout, ce n’était pourtant que deux volumes, qu’on gonfla et qu’on doubla de notes. Dans les châteaux, dans les familles, en province, partout, abondaient les poèmes de Delille ; on y trouvait, sous une forme facile et jolie, toutes choses qu’on aimait à apprendre ou à se rappeler, des souvenirs classiques, des allusions de collége à la portée de chacun, des épisodes d’un romanesque touchant, des noms historiques, des infortunes ou des gloires aisément populaires, des descriptions de jeux de société ou d’expériences de physique, des notes anecdotiques ou savantes, qui formaient comme une petite encyclopédie autour du poème, et vous donnaient un vernis d’instruction universelle. Enfant, j’ai connu le manoir où, en 1813, pour charmer les vacances d’automne, on avait dans le grand salon un jeu de solitaire, un orgue avec des airs nouveaux ; on apportait quelquefois une optique pour voir les insectes ou les vues des capitales. Un volume de Delille était sur la cheminée, et, sans aucun décousu, on passait de l’insecte de l’optique à l’araignée de Pélisson[17]. Mais si, le doigt s’égarant, on remontait dans le volume à quelques pages de là, si on lisait à haute voix le portrait de Jean-Jacques :

Hélas ! il le connut ce tourment si bizarre,
L’écrivain qui nous fit entendre tour à tour
La voix de la raison et celle de l’amour, etc ;


oh ! alors, comme l’émotion croissante succédait ! comme on chérissait le poète et celui qu’il nous peignait en vers si tendres, et comme ce pauvre et sensible Jean-Jacques devenait l’entretien de toute une heure ! — à moins que quelqu’un pourtant, ouvrant les trois Règnes qui étaient à côté, ne tombât sur le Jeu de raquette, ce qui en donnait l’idée et faisait diversion.

Aujourd’hui encore, si, à la campagne, un jour de pluie, vers une fin d’automne, reprenant le volume négligé, on retrouvait tout d’abord (sujet de circonstance) le Coin du feu, celui de l’Homme des Champs ou celui des trois Règnes, diversement spirituels ou touchans, on serait charmé à bon droit, on s’étonnerait d’avoir pu être si sévère pour le gracieux poète, et l’on s’écrierait en relisant la page : Son génie est là !

Je n’aborderai pas en particulier chacun des ouvrages publiés par Delille à dater de 1800 : ce serait répéter à chaque examen nouveau les mêmes critiques, les mêmes éloges, et je n’aurais guère rien à en dire d’ailleurs qui n’ait été trouvé par des contemporains mêmes. Ginguené a jugé l’Homme des Champs avec un mélange de sévérité et de bienveillance qui fait honneur à son esprit et à la critique de son temps. Geoffroy, quoique du même parti politique que Delille, s’est montré beaucoup plus sévère dans la nouvelle Année littéraire qu’il essaya alors, et il ménagea moins l’aimable auteur que l’ancienne Année littéraire ne l’avait fait. Fontanes, bien qu’ami du poète et défenseur du poème, cacha sous beaucoup d’éloges des critiques moins détaillées, mais au fond à peu près les mêmes que celles de Ginguené, et qui acquèrent sous sa plume favorable une autorité nouvelle. Ginguené encore a jugé dans la Décade la traduction de l’Énéide, et cette fois sa sévérité plus rigoureuse va chercher les négligences et le faux jusque dans les moindres replis de ce faible ouvrage[18]. Les amis de Delille se rejetaient sur quelques morceaux où ils admiraient un grand mérite de difficulté vaincue, l’épisode d’Entelle et de Darès, et en général la description des jeux. Bientôt, la Décade cessant, le parti philosophique perdit son organe habituel en littérature et son droit public de contradiction : le champ libre resta aux éloges. Même dans ces éloges des amis triomphans de Delille, nous retrouverions toutes les critiques suffisantes sur l’absence de composition et les hasards de marqueterie de ses divers ouvrages. M. de Feletz a écrit le lendemain de sa mort : « J’oserai dire qu’il a été plus heureusement doué encore comme homme d’esprit que comme grand poète. » En y mettant moins de prenez-y-garde, nous ne dirions guère autrement. Mais il convient d’insister sur une seule objection fondamentale qui embrasse tous les ouvrages et l’ensemble du talent de Delille : nous lui reprocherons de n’avoir eu ni l’art ni le style poétique.

Racine et Boileau l’avaient à un haut degré, bien que cette qualité, chez eux, ne soit pas aisément distincte de la pensée même et se dissimule sous l’élégance d’une expression d’ordinaire assez voisine de l’excellente prose. C’est là ce qui a égaré leurs successeurs, qui, en croyant être de leur école en poésie, n’ont pas vu qu’ils ne leur dérobaient pas le vrai secret, et qu’ils n’étaient ou que correctement prosaïques ou que fadement élégans. Tout ce que Boileau se donnait de peine et d’artifice pour élever son vers, qui souvent ne renfermait qu’une simple idée de bon sens, et pour le tenir au-dessus de la prose, mais dans un degré qui ne choquât pas, est inoui. Un mot bien sonnant, pris en une acception un peu neuve, une inversion bien entendue, une quantité de petits secrets qui nous fuient dans ses vers devenus proverbes, mais qui furent nouveaux une fois et frappans, lui servaient à composer son style.

De Styx et d’Achéron peindre les noirs torrens,


ne lui paraissait pas du tout la même chose que s’il avait mis : Du Styx, de l’Achéron ; et il sentait juste. En un mot, Boileau suppléait par une quantité de moyens savans, et depuis assez inaperçus, au rare emploi qu’il faisait et qu’on faisait, en son temps, de la métaphore et de l’image. Son vers voisin de la prose, et qui en était si distinct pour Racine et pour lui, ressemble, j’oserai dire, à ces digues de Hollande qui paraissent au niveau de la mer et qui pourtant n’en sont pas inondées. Le xviiie siècle ne se douta pas de cela. On y reprocha même à Boileau des fautes de grammaire qui souvent, chez lui, n’étaient que des nécessités ou des intentions de poésie. Ce qui est vrai à mon sens, c’est que le genre de style poétique de Boileau et même de Racine avait besoin d’être modifié après eux pour être vraiment continué. Pour rester poétique, la prose montant comme elle fit au siècle de Jean-Jacques et de Buffon, il fallait changer de ton et hausser d’un degré les moyens du vers. Boileau, je n’en doute pas, revenant à la fin du xviiie siècle, eût fait ainsi et eût été au fond, un novateur en style poétique, comme il le fut de son temps. Delille n’eut rien de tel. Il ne comprit pas de quelle réparation il s’agissait. Les modifications matérielles qu’il apporta à la versification, ses enjambemens et ses découpures ne furent que des gentillesses sans conséquence, et qui n’empêchèrent pas chez lui, en somme, le rétrécissement de l’alexandrin. De style neuf et souverainement construit, il n’en eut pas. Sa seule direction fut un vague instinct de mélodie et d’élégance à laquelle sa plume cédait en courant. Du commerce des anciens il ne rapporta jamais ce sentiment de l’expression magnifique et comme religieuse, ce voile de Minerve, où chaque point, touché par l’aiguille des Muses, a sa raison sacrée.

On l’a comparé à Ovide. Le docte et élégant auteur des Métamorphoses, comme ne craint pas de l’appeler M. de Maistre, est bien supérieur à Delille en invention, en idées. Mais, par beaucoup de côtés et de détails, le rapport existe. Ovide, par exemple, en était venu à ne faire du distique qu’une paire de vers tombant deux à deux, tandis qu’auparavant, et surtout chez les plus anciens, comme Catulle, la phrase poétique se déroulait libre à travers les distiques. Delille et son école en étaient ainsi venus à accoupler deux à deux les alexandrins.

La différence entre Ovide et Catulle est un peu la même qu’entre Delille et André Chénier. Ovide a de l’esprit, de l’abondance, de jolis vers, de jolies idées, mais du prosaïsme, du délayage. Jamais, par exemple, l’inspiration ne lui viendra de terminer une pièce de vers, comme celle de Catulle à Hortalus, par cette image et ce vers tout poétique, tournure imprévue, concise et de grace suprême, comme André Chénier fait souvent ; oubli du premier sujet dans une image soudaine et finale qui fait rêver :

Huic manat tristi conscius ore rubor.


Jamais l’idée ne serait venue à André Chénier d’intituler le premier chant d’un poème de l’Imagination : L’Homme sous le rapport intellectuel.

Delille est le metteur en vers par excellence. Tout ce qui pouvait passer en vers lui semblait bon à prendre. Les vers même tout faits, il les dérobait sans scrupule à qui lui en lisait, et il les glissait dans ses poèmes. Il en prit un certain nombre à Segrais, à Martin, pour ses Géorgiques, et Clément en a fait le relevé. Il en prit à l’abbé Duresnel de fort beaux pour l’Homme des Champs[19], à Racine fils pour le Paradis perdu. Il disait quelquefois après une lecture ; « Allons, il n’y a rien là de bon à prendre. » Mais la prose surtout, la prose, était pour lui de bonne prise. On aurait dit d’un petit abbé féodal qui courait sus aux vilains : rime en arrêt, il courait sus aux prosateurs. Aveugle, non pas comme Homère ni comme Milton, mais comme La Motte, au rebours de celui-ci qui mettait les vers de ses amis en prose, Delille mettait leur prose en vers. Il venait de réciter à Parseval-Grandmaison un morceau dont l’idée était empruntée de Bernardin de Saint-Pierre, ce que Parseval remarqua : « N’importe ! s’écria Delille, ce qui a été dit en prose n’a pas été dit. » Les élèves descriptifs de Delille avaient tous, plus ou moins, contracté cette habitude, cette manie de larcin, et M. de Châteaubriand raconte agréablement que Chenedollé lui prenait, pour les rimer, toutes ses forêts et ses tempêtes ; l’illustre rêveur lui disait : « Laissez-moi du moins mes nuages ! »

Les poésies fugitives de Delille n’ont rien de ce qui donne à tant de petites pièces de l’antiquité le sceau d’une beauté inqualifiable. Ce sont d’agréables madrigaux, de faciles et ingénieuses bagatelles, mais qui n’approchent pas du tour vif et galant des chefs-d’œuvre de Voltaire en ce genre. On aime pourtant à se souvenir des jolis vers à Mlle de B., âgée de huit jours, qui remontent à 1769 :

.............
Tous les êtres naissans ont un charme secret :
Telle est la loi de la nature.
Ces ormeaux orgueilleux, leur verte chevelure,
M’intéressent bien moins que ces jeunes boutons
Dont je vois poindre la verdure,
Ou que les tendres rejetons
Qui doivent du bocage être un jour la parure.
Le doux éclat de ce soleil naissant
Flatte bien plus mes yeux que ces flots de lumière,
Qu’au plus haut point de sa carrière
Verse son char éblouissant.
L’été si fier de ses richesses,
L’automne qui nous fait de si riches présens,
Me plaisent moins que le printemps
Qui ne nous fait que des promesses.


Rousseau a dit, par une pensée toute semblable, dans une page souvent citée : « La terre, parée des trésors de l’automne, étale une richesse que l’œil admire, mais cette admiration n’est pas touchante ; elle vient plus de la réflexion que du sentiment. Au printemps, la campagne presque nue n’est encore couverte de rien ; les bois n’offrent point d’ombre, la verdure ne fait que poindre, et le cœur est touché à son aspect. En voyant renaître ainsi la nature, on se sent ranimer soi-même ; l’image du plaisir nous environne ; ces compagnes de la volupté, ces douces larmes, toujours prêtes à se joindre à tout sentiment délicieux, sont déjà sur le bord de nos paupières. Mais l’aspect des vendanges a beau être animé, vivant, agréable, on le voit toujours d’un œil sec. Pourquoi cette différence ? C’est qu’au spectacle du printemps l’imagination joint celui des saisons qui le doivent suivre ; à ces tendres bourgeons que l’œil aperçoit, elle ajoute les fleurs, les fruits, les ombrages, quelquefois les mystères qu’ils peuvent couvrir… » Le poète-versificateur avait encore ici puisé l’inspiration dans la prose, et, bien qu’avec une liberté heureuse, il s’était souvenu de Rousseau[20].

Delille ne rencontra qu’une fois (en 1803) Bonaparte, qui, dit-on, lui fit des avances et fut repoussé par un mot piquant. Ses biographies, sous la restauration, ont assez amplifié ce refus. Ce qu’il y a de certain, c’est que Delille, entouré d’un monde plutôt royaliste, resta en dehors de la faveur impériale. Sa femme, jalouse de l’ascendant qu’elle avait sur lui, ne contribuait pas peu à le tenir soigneusement à l’écart de la puissance nouvelle. Delille était faible et avait besoin d’être conduit. Cette influence domestique qui s’exerçait sur lui sans relâche, et qui parfois rabaissait son brillant talent à un usage presque mercenaire, ôtait quelque dignité à sa vieillesse. Il récitait des vers au Lycée pour dix louis : on l’avait pour son ramage, comme on a à la soirée un chanteur. Mais le prestige de la renommée et l’idée de génie rachetaient tout. S’il paraissait à l’Académie pour y réciter quelque morceau ; si, au Collége de France où M. Tissot le remplaçait, il revenait parfois faire une apparition annoncée à l’avance, et débiter quelque épisode harmonieux, les larmes et l’enthousiasme n’avaient plus de mesure : on le remportait dans son fauteuil, au milieu des trépignemens universels ; c’était Voltaire à la solennité d’Irène ; les adieux d’un chanteur idolâtré reçoivent moins de couronnes.

Ainsi il alla gardant et multipliant en quelque sorte ses graces incorrigibles jusque sous les rides[21]. Cette sémillante et spirituelle laideur devenait, à la longue, grandeur et majesté. Les critiques avaient cessé ; du moins elles se faisaient en conversation et ne s’imprimaient plus. La traduction de l’Énéide et le poème de l’Imagination étaient désignés pour les prix décennaux par des voix non suspectes. Il n’arrivait plus que des hommages. Vers 1809, un nouvel Art poétique par M. Viollet-le-Duc, petit poème dirigé contre les descriptifs, et qui n’atteignait Delille qu’indirectement et sans le nommer, parut presque un attentat.

Il mourut d’apoplexie dans la nuit du 1er au 2 mai 1813. Son corps resta exposé plusieurs jours au Collége de France, sur un lit de parade, la tête couronnée de laurier et le visage légèrement peint. Tous ceux qui habitaient Paris à cette époque, ont mémoire de son convoi, qui balança celui de Bessières.

Les choses ont bien changé, et de grands revers ont suivi ce triomphe, alors unanime, d’un nom poétique qui du moins vivra. Quant à nous, de bonne heure adversaires, et qui pourtant le comprenons, sur la tombe de ce talent brillant et spirituel que nous ne croyons pas avoir insulté ni dénigré aujourd’hui, près de l’autel renversé de ce poète qui régna et que nous venons de juger sans colère, en présence de celui qui règne après lui, et dont la faveur, si l’on veut, a aussi quelques illusions, en face de cet autre qui ne règne ni ne se soumet, mais qui combat toujours, et nous souvenant de plusieurs encore que nous ne nommons pas, il nous semble hardiment que nous pouvons redire : « Non, dans la tentative qui s’est émue depuis lui, non, nous tous, nous n’avons pas tout-à-fait erré. La poésie était morte en esprit, perdue dans le délayage et les fadeurs : nous l’avons sentie, nous l’avons relevée, les uns beaucoup, les autres moins, et si peu que ce soit dans nos œuvres, mais haut dans nos cœurs ; et l’Art véritable, le grand Art, du moins en image et en culte, a été ressaisi et continué ! »


Sainte-Beuve.
  1. On est déjà si loin de l’ancienne Université, qu’il n’est pas inutile de rappeler que les colléges de Lisieux et de Beauvais étaient à Paris, tandis que le collége d’Amiens était bien dans cette ville même.
  2. Cette remarque est de M. Joseph-Victor Leclerc.
  3. On peut voir à ce sujet les agréables Mémoires de Garat sur Suard, tom. i, pag. 325, 355, 382, etc.
  4. Grimm, Correspondance, mai 1782.
  5. Illusion du goût d’alors. Pour nous, les œuvres, la vie et la personne du poète sont devenues ressemblantes.
  6. Lettres inédites de Volney, dans Bodin, Recherches sur l’Anjou.
  7. Correspondance.
  8. 1782 ; lettre viii.
  9. Je citerai encore ce passage judicieux : « On convient assez généralement que la manière de M. l’abbé Delille n’est ni grande, ni large ; que souvent même elle est froide et pénible. La grace paraît être son caractère distinctif ; mais c’est la grace plus ingénieuse que naturelle de Boucher. Souvent il substitue l’esprit au sentiment, plus souvent il émousse et affaiblit le sentiment par l’esprit qu’il y mêle. Il affecte assez fréquemment dans son style ces tours précieux qui ressemblent aux mines des coquettes. Un autre défaut considérable de la manière de M. l’abbé Delille, c’est une vaine apparence de richesse et d’abondance qui ne consiste que dans des mots accumulés ou des énumérations fatigantes… » (Année littéraire, 1782, lettre viii.)
  10. Juin 1782. L’article n’est pas de La Harpe.
  11. J’emprunte cette pensée à M. Michaud, à qui j’en dois, sur ce sujet, beaucoup d’autres, puisées surtout dans sa spirituelle conversation.
  12. Voir les articles biographiques de Delille par Amar et par M. Tissot.
  13. L’abbé de Tressan, mal reçu d’elle un jour, ne put s’empêcher de dire à Delille : « Quand on choisit ses nièces, on les devrait mieux choisir. »
  14. M. Michaud, en tête du recueil des Poésies de Delille, 1801.
  15. Quand il eut épousé sa gouvernante, il allait lui-même au-devant de ses souvenirs d’abbé, en plaisantant sur ce qu’il aurait été fait clerc, et peut-être sous-diacre, mais par l’évêque de Noyon, et l’évêque de Noyon ne faisait rien de sérieux.
  16. Je trouve dans l’extrait de Ginguené que l’homme d’esprit réfuté aux premières lignes de la préface de l’Homme des Champs, M. de M., est Sénac de Meilhan ; ce qui me paraît plus vraisemblable que M. de Mestre, qu’on lit dans beaucoup d’éditions subséquentes de Delille.
  17. Imagination, chant vi.
  18. « Delille, dit-il, ajoute de son chef à la description de la tempête dont les Troyens sont assaillis en quittant la Sicile :

    Son mât seul un instant se montre à nos regards !

    « Aux regards de qui ? À quoi pensait-il donc en faisant ce vers ? Avait-il imité cette tempête de Virgile pour la placer dans un autre ouvrage ?… Aurait-il ensuite replacé dans sa traduction cette imitation libre, sans songer à en retirer ce qu’il y avait mis d’étranger ? Il faut bien qu’un si inconcevable quiproquo ait une cause. Quelle tête anti-virgilienne que celle qui médite pendant plus de trente ans une traduction de l’Énéide, et qui y laisse subsister dès la seconde centaine de vers une telle marque d’oubli ! »

  19. Quels qu’ils soient, aux objets conformez votre ton, etc.
  20. M. Barbier parle, dans son Examen critique des Dictionnaires historiques, d’un ouvrage inédit de Charles Remard, libraire d’abord, puis bibliothécaire à Fontainebleau ; « M. Remard, dit-il, m’a communiqué un manuscrit de sa composition, intitulé : Supplément nécessaire aux œuvres de J. Delille, etc., dans lequel il met en évidence les emprunts innombrables qu’a faits ce poète à une foule d’auteurs qui ont traité avant lui les mêmes sujets. » L’inventaire, s’il est complet, serait en effet singulièrement curieux à connaître et guiderait utilement le lecteur dans ce véritable magasin de poésie.
  21. Expression de M. Villemain. Voir au Discours sur la Critique, premiers Mélanges, une des plus jolies pages qu’on ait écrites sur Delille.