Œuvres poétiques (extraits) Poèmes à LouGallimard, Bibliothèque de la Pléiade (p. 486-487).

LXII

COTE 146


Plus de fleurs mais d’étranges signes
Gesticulant dans les nuits bleues

Dans une adoration suprême mon beau ptit Lou que tout mon être pareil aux nuages bas de juillet s’incline devant ton souvenir

Il est là comme une tête de plâtre blanche éperdument auprès d’un anneau d’or

Dans le fond s’éloignent les vœux qui se retournent quelquefois


Entends jouer cette musique toujours pareille tout le jour

Ma solitude splénétique qu’éclaire seul le lointain
Et puissant projecteur de mon amour
J’entends la grave voix de la grosse artillerie boche
Devant moi dans la direction des boyaux

Il y a un cimetière où l’on a semé quarante-six mille soldats

Quelles semailles dont il faut attendre sans peur la moisson

C’est devant ce site désolé s’il en fut

Que tandis que j’écris ma lettre appuyant mon papier sur une plaque de fibro ciment

Je regarde aussi un portrait en grand chapeau

Et quelques-uns de mes compagnons ont vu ton portrait

Et pensant bien que je te connaissais
Ils ont demandé
Qui donc est-elle

Et je n’ai pas su que leur répondre
Car je me suis aperçu brusquement
Qu’encore aujourd’hui je ne te connaissais pas bien

Et toi dans ta photo profonde comme la lumière tu souris toujours