PleureusesErnest Flammarion (p. 191-196).


LE SILENCE DES PAUVRES


Oh ! c’eût été si vague et si bon d’être heureux !…


L’ATTENTE


Sans l’éblouissement de la croix…


L’ombre, en s’agrandissant, pauvre femme qui rêve,
Vient mêler doucement dans le déclin du jour
Sa paix à ton grand cœur et son rêve à ton rêve.

Et tu restes bien seule avec tes yeux d’amour,
Indécise, perdue au silence où s’élève
La triste et vieille voix qui chante dans la cour.

Oh ! mendier toujours parmi l’ombre sans digue
Les soleils du passé pour ce soir sans couleur,
Toute la charité pour toute la fatigue,


Lorsque l’ombre revêt de calme la douleur,
Quand le dernier reflet des vitres se fatigue
Sur tes cheveux divins et ton front de pâleur.

Écoute, écoute encor, mendiante d’espace,
Plus loin que le silence et plus profond que tout…
Et c’est l’âme qui pleure et c’est le temps qui passe.

Le temps, le temps sacré qui bénit le cœur fou,
La présence qui fait que l’on parle à voix basse
Dans cette église d’ombre où s’incline ton cou.

Oh ! rêve à la longueur de la tristesse humaine,
Aux vieux palais où va, silencieux, le temps,
À la tranquillité par qui tu devins reine !

Rêve à la profondeur du silence où j’attends,
Aux vieux couples qui vont dans le soleil qui traîne
Et s’aimeront toujours de s’être aimés longtemps.


Ne maudis pas l’attente et les soirs où tu pleures :
Tous les martyrs ont eu leurs infinis chemins
Et tous les grands orgueils sont bénis par les heures.

Puisque l’on devient grand à voir les jours éteints,
Dans la chambre assombrie il faut que tu demeures,
Le crépuscule aux yeux et la paix dans les mains.

Il faut qu’indifférente aux radieux passages,
Toujours seule au milieu de l’ombre et du sommeil,
Tu laisses un à un tomber les grands soirs sages.

Il faut, toi que baigna la gloire du soleil,
Laisser passer sur toi l’après-midi sans âges
Et le soir nimber d’or ton front toujours pareil.

· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·

Pauvre femme qui dors auprès de la fenêtre,
Les mains lasses, le cœur innocent et lointain
Dans le baiser nocturne et frais qui vient de naître,


Frêle douleur que rien n’aura jamais atteint,
Toi que veille l’azur comme un grand dieu sans prêtre,
Repose vaguement du soir jusqu’au matin.

Repose loin de ceux qui ne sont pas avides
D’attente inconsolable et d’azurs décevants,
Ceux du bonheur parfait et de la mer sans rides.

Laissons les prêtres fous et les amants fervents
Venir béatement baigner leurs tempes vides
Dans ce fleuve brumeux chanté par les grands vents !

Laissons les amoureux à leurs songes infimes,
Laissons la pauvre voix qui chante dans la cour
Rêver d’un pur bonheur et d’un cœur sans abîmes !

Sachons que rien ne vaut la gravité du jour,
Et cette éternité qui nous a faits sublimes,
Ne la blasphémons pas par des serments d’amour.