Secret (1895)
PleureusesErnest Flammarion (p. 183-186).
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SECRET


J’ai peur quand vient le soir de flamme
Ainsi qu’un morne moissonneur…


Ils te livrent, mais ils te gardent,
Tes yeux qui ne sont pas l’amour,
Tes pauvres yeux qui me regardent
Dans la chute morne du jour.

Tout doucement tu me consoles,
Tout doucement tu dis ta foi,
Mais je n’entends que tes paroles,
Et tes paroles sont à toi.


Tes fugitifs pensers de femme,
Ton rêve, est-ce que je les vois,
Est-ce que je sais si ton âme
Est la musique de ta voix !

Est-ce que je sais à l’aurore,
Dans la chambre qui s’attendrit,
Quel rêve tu rêves encore
Lorsque ton réveil me sourit !

Oh, parmi les frissons farouches
Ou l’étoilement des vieux soirs,
Dans le baiser de nos deux bouches,
Si nous avions eu deux espoirs !

Si tout n’était que vaines armes,
Si rien n’était pur ni sacré ;
Quand tes yeux étaient pleins de larmes,
Si tu n’avais jamais pleuré !


J’ai peur de tout dans ce mystère,
Hélas ! j’ai peur de ta douceur :
Oh, si pendant notre calvaire
Tu n’avais été qu’une sœur !

Entré dans ton rêve de femme,
Pleureuse et rêveuse à moitié,
Peut-être qu’au seuil de ton âme
Je n’ai cueilli que la pitié.

Vois-tu, c’est les regrets immenses
Qui font se dresser et s’armer…
Je ne sais pas ce que tu penses,
Oh ! laisse-moi t’aimer, t’aimer…

Salut, ô misère, ô silence,
Pauvres aubes de tous les cieux…
Nous sommes des dieux d’ignorance,
C’est pourquoi nous sommes des dieux.


Allons ensemble et solitaires,
Cette paix c’est notre seul bien,
Car lorsqu’on ouvre les paupières,
Peut-être que l’on ne voit rien.