Tercets (1895)
PleureusesErnest Flammarion (p. 107-110).


TERCETS


La fenêtre m’attriste, ce soir.


I


Au pays des champs bleus et des choses heureuses,
Allez, ô mes oiseaux, dans le soir qui s’endort
Sur vos cœurs désolés et vos ailes peureuses.

Le chagrin de la vie est doux comme la mort…
J’entends pleurer les chants et les rumeurs fiévreuses
De la vieille cité debout dans le ciel d’or !


J’ai regardé longtemps dans la même attitude
La chambre sans couleur où mon cœur est resté,
Lourd de son long silence et de sa solitude.

Puis, large rayon d’or à la pâle clarté,
Sur le mur de repos que le soir gris dénude,
La fenêtre vermeille où je vois la cité.


II


C’est la nuit. Tout s’est tû dans les mornes enceintes ;
Dans l’azur du silence où sont morts tant d’adieux,
J’entends errer longtemps toutes les voix éteintes.

Et je regarde loin des implacables cieux,
Plus loin que tous les chants et que toutes les plaintes
La blancheur du matin où se parlent vos yeux.


Ô porteurs incertains des armes et des lyres,
Cherchons l’apothéose et le souverain bien
Sur le chemin de gloire où sont les vrais martyres.

Je vois qu’il va mourir ce passé qui fut mien,
Je vois que mon grand soir ternirait vos sourires,
Que je suis malheureux, et que je ne veux rien.