PleureusesErnest Flammarion (p. 9-10).


LA PLEUREUSE


Oh bien des fois, au gré du rêve où tu te penches,
Ta vis le hameau calme avec ses maisons blanches,
Et la paix de l’azur a fait pleurer ta paix.
Et bien des fois, la nuit, lorsque tu regardais,
J’ai senti ta douleur monter jusqu’aux étoiles,
Et te vis épier dans l’ombre aux ombres pâles
Cet immense malheur qu’on ne peut pas savoir…
Lorsque nous regardons monter la mer du soir,
Ainsi que deux faux dieux sur les mornes rivages,
Nous voyons devant nous passer de grands veuvages
Et c’est ton désespoir qui souffre avec douceur.
Désert de ton frisson, pauvreté de ton cœur !

Et tu vas inquiète, et très calme et très seule,
Ô si jeune âme avec des mains comme une aïeule,
Toi qui, pauvre rêveuse, avais aux temps lointains
Dans les nuits de bonheur des songes enfantins,
Qui, bercée à la voix d’aurore qui se lève
Et souriante encor d’une écharpe de rêve,
Dans le ciel du matin n’as trouvé que l’azur !
Si le dieu de cœur simple est le seul dieu très pur,
Pleure la grande vie et tout ce que vous faites,
Ô vous qui souriez, ô ceux que tu rachètes
Quand lasse, dans les champs d’étés et de sommeil,
Tu sens se dévaster la pitié du soleil !
Et je te dis souvent que nous sommes sublimes
Et qu’il est un mystère, et que nous l’entendîmes ;
Et je te dis cela quand nous nous effleurons,
Quand le demi-sommeil laisse errer nos deux fronts
Et que la lampe est douce au fond de l’âme close…
Et sans me regarder, tu pleures d’autre chose.