Piles électriques et accumulateurs/III

Librairie centrale des sciences (p. 16-23).
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EXPÉRIENCES
SUR L’ATTAQUE LOCALE DES ZINCS EN CIRCUIT
OUVERT[1].



Toutes les piles primaires usuelles ont le zinc pour électrode négative.

L’attaque locale des zincs par les liqueurs acides ou cuivriques est un obstacle à l’emploi des couples énergiques, elle augmente beaucoup leur dépense pendant le travail et les épuise, même en circuit ouvert. C’est donc travailler à l’amélioration des piles que d’étudier les moyens d’empêcher, d’atténuer au moins, les réactions inopportunes du zinc sur les liquides qui le baignent.

Les procédés les plus efficaces et les plus connus sont l’emploi du zinc pur, qui est peu pratique, et l’amalgamation de l’électrode, opération désagréable et coûteuse, qu’il faut renouveler souvent.

J’ai proposé et employé le cloisonnement des zincs[2] ; ce procédé est assez efficace, surtout contre l’action des sels de cuivre ; mais il accroît la résistance des piles et n’est pas applicable à toutes les combinaisons voltaïques.

Les amalgames de zinc, liquides ou pâteux, sont incommodes et fort coûteux ; pourtant, on les a parfois recommandés comme économiques, parce qu’ils permettent d’utiliser les rognures de zinc : singulière économie qui consiste à mettre en manipulation plusieurs kilos de mercure à 5 francs, pour tirer parti d’un kilo de débris à 40 centimes !

Il m’est revenu que Leclanché avait tenté, autrefois, l’emploi des alliages solides de zinc et de mercure. On ne sait pas s’il a réussi à les fabriquer à bas prix ; rien ne témoigne qu’il en ait pratiqué ou proposé l’usage.

D’autres électriciens ont recherché ces alliages. Mais M. J. Duboscq et M. Dronier sont les seuls, à ma connaissance, qui aient su les obtenir. M. Dronier en a montré et vendu à l’Exposition universelle de Paris (1878). Depuis, il a laissé cette affaire et abandonné ses procédés au domaine public.

D’ailleurs, ni M. Dronier, ni aucun des inventeurs, et des auteurs qui ont travaillé ou écrit sur les piles n’ont donné, sur l’usure locale des zincs diversement préparés, baignés dans diverses liqueurs, des chiffres d’expérience comparatifs. Il m’a paru utile de traiter cette question.

J’ai donc prescrit une série d’expériences sur des zincs nus et amalgamés, en contact avec les liquides les plus usités, pour déterminer l’importance de l’action locale dans chaque combinaison. Ces expériences ont été exécutées avec beaucoup de soin, dans mon laboratoire, par mon préparateur M. Merthes, et au laboratoire de la Société générale des Téléphones, par M. André Reynier. Les résultats obtenus de part et d’autre présentent une concordance satisfaisante ; on peut accorder confiance aux chiffres obtenus.

On a employé, dans tous les essais, des zincs cylindriques, modèle Leclanché : diamètre 10 millimètres, longueur 165 millimètres, poids moyen 90 grammes. Les zincs nus sont en fil tiré au banc ; les amalgamés sont de la même sorte ; on a fait l’amalgamation en plein mercure, après un dégraissage à la potasse et un décapage à l’eau acidulée sulfurique.

Les zincs prennent, dans le mercure, une augmentation de poids d’un demi-gramme environ ; mais on ne peut pas déduire de là le poids du mercure retenu, car le bain amalgamant retient, d’autre part, une quantité de zinc inconnue.

Les zincs en alliage ont les mêmes dimensions ; ils présentent la composition suivante (en poids) :

Zinc 
 96
Mercure 
 4

Ces zincs alliés m’ont été obligeamment préparés par M. Dronier. La fabrication consiste à jeter, dans un poids connu de zinc en fusion, la quantité voulue de mercure, laquelle se répartit instantanément dans toute la masse du zinc ; on coule ensuite l’alliage dans des moules. Certaines précautions sont à prendre pour éviter les projections de métal et les soufflures.

Chaque liquide a été essayé séparément avec trois zincs : un ordinaire nu, un amalgamé et un allié à 4 pour 100.

La quantité de liquide baignant chaque zinc était assez grande (1 litre), pour que l’action ne fût pas interrompue ni trop ralentie avant la fin de l’expérience. Dans les essais qui ont été prolongés pendant plusieurs jours, on a renouvelé le liquide après chaque période de vingt-quatre heures. Les zincs étaient immergés sur une longueur de 10 à 12 centimètres ; surface de contact = 31 à 38 centimètres carrés.

Pour rendre les résultats comparables, on a ramené à l’heure et au centimètre carré le poids perdu par chaque zinc. On a noté la durée de chaque expérience ; circonstance importante, car l’ordre des poids perdus par deux zincs différents s’intervertit parfois quand on prolonge leur séjour dans certains liquides.

Le tableau ci-contre résume les principaux résultats obtenus.

Résultats des expériences faites pour apprécier l’importance de l’attaque locale des zincs diversement préparés, immergés dans diverses liqueurs.
COMPOSITION DES LIQUIDES Durée
des
expériences
usure moyenne
en milligrammes
par heure et par
centimètre carré.
  heure nu amalg. allié
Eau 
  
en volume 900 1 900 amalg.» allié»
Acide sulfurique ordinaire
à 66 degrés. 
  
en volume» 100 72 900» 18 2.2
Eau 
  
en volume 900 1 639 amalg.» allié»
Acide sulfurique au souffre
à 66 degrés. 
  
en volume» 100 96 900» 0,09 0,1
Eau 
  
en volume 900 1 78 amalg.» allié»
Acide sulfurique ordinaire
préparé à l’huile par le
procédé d’Arsonval
 
    3 307 amalg.» allié»
en volume» 100 72 307» 0,2 0,27
Eau 
  
en volume 900 1 1263 amalg.» allié»
Acide sulfurique ordinaire 66 degrés 
  
en volume» 100 24 1263» 4 2,7
Nitrate de soude, grammes par litre 
  
10 48 1263» 24 8,7
Eau 
  
en volume 900 21 67 0,14 0,75
Acide sulfurique ordinaire
 
    93 67» 0,71 0,62
66 degrés 
  
en volume» 100 237 67» 0,61 0,46
Sulfate d’ammoniaque, gram. par lit. 
  
50 434 67» 0,55 0,40
Eau 
  
en poids 1000 24 28 0,55» 0,40»
Bisulfate de potasse 
  
en volume» 100 72 28» 0,09 0,4
Eau 
  
en poids 1000     inappré-ciable inappré-ciable
Bisulfate de potasse 
  
en volume» 100 24 21,7
Sulfate d’ammoniac 
  
en volume» 50 72 28»
Eau 
  
en volume 900        
Acide sulfurique ordinaire
 
           
66 degrés 
  
en volume» 100 1 1566 1415  
Sulfate de cuivre, gram. par lit. 
  
50 1 30’ 1566» 1566» 798
Eau 
  
en poids 1000 24 39 15 19
Sulfate de cuivre 
  
en poids» 150 48 28» 26 28
Eau 
  
en poids 1250 0 30’ 2603 26» 26»
Bichromate de potasse 
  
en poids» 200 1 30’ 67» 654 67»
Acide sulfurique ordinaire
 
           
66 degrés 
  
en poids» 470 3 2603» 634» 445
Acide chlorhydrique du commerce 
  
0 15’ 6555 634» 634»
  24 6555» 61 11
Eau 
  
en volume 800 1 1519 amalg.» allié»
Acide chlorhydrique du
commerce 
  
en volume» 200 72 amalg.» 0,87 0,3

Les chiffres de ce tableau et l’examen des zincs donnent lieu à quelques observations.

La protection obtenue par le mercure est beaucoup plus grande qu’on ne le croit généralement. Dans certains liquides, l’usure du zinc amalgamé est cinquante fois, cent fois…, dix mille fois moindre que celle du zinc ordinaire.

Le zinc allié au mercure est, en général, meilleur que le zinc amalgamé, surtout dans les expériences de longue durée. Sur le zinc amalgamé, la première couche superficielle est riche en mercure ; mais, à mesure que l’attaque gagne des couches plus profondes, la proportion de mercure diminue, et aussi la protection obtenue. C’est le contraire qui a lieu avec l’alliage, lequel s’enrichit visiblement en mercure à mesure que son poids diminue. (Il est évident qu’en circuit fermé la supériorité de l’alliage se manifesterait après un temps beaucoup plus court.) Les alliages sont plus cassants que le zinc amalgamé, et ils le deviennent davantage par l’usure, ce qui confirme la précédente observation.

C’est avec raison que l’acide sulfurique au soufre est préféré à l’acide ordinaire ; pourtant, quand celui‑ci est préparé à l’huile par le procédé d’Arsonval[3], il vaut presque l’acide au soufre, et peut le remplacer très économiquement. L’acide à l’huile, quoique décanté et filtré trois fois sur de l’amiante, retient des corps gras qui d’abord enduisent les zincs et les protègent un peu. Cette protection diminue vite. Aussi l’usure des zincs ordinaires dans l’acide à l’huile s’accélère-t-elle avec rapidité quand on prolonge l’expérience.

La présence de l’acide nitrique libre (dans les mélanges eau acidulée et nitrate de soude) augmente considérablement l’attaque des zincs.

L’addition d’un peu de sulfate d’ammoniaque, dans l’eau acidulée ou dans une dissolution de bisulfate de potasse, atténue beaucoup l’usure des zincs. Je ne sais pas pourquoi.

L’addition du sulfate de cuivre dans l’eau acidulée augmente énormément l’action locale ; le cloisonnement du zinc est indispensable dans de pareils mélanges.

L’utilité de l’amalgamation du zinc dans les couples du genre Daniell a été souvent contestée : l’expérience démontre que le mercure réduit la perte de moitié dans une solution de sulfate de cuivre à 150 pour 1000.

Dans le mélange chromique, l’emploi du zinc ordinaire est presque impraticable ; l’usure du zinc amalgamé s’y accélère rapidement. Seul, l’alliage zinc et mercure permettrait un contact longtemps prolongé. Tandis que le zinc amalgamé perd vite son éclat pour prendre une teinte noirâtre, l’alliage devient de plus en plus brillant, jusqu’à usure complète.

Il reste brillant aussi au contact des liqueurs cuivriques. Dans les autres liquides, les zincs alliés se criblent de piqûres. Ces nombreux petits trous se creusent très profondément dans le mélange nitrique.

L’ensemble de ces observations démontre que les alliages zinc et mercure doivent être généralement préférés au zinc ordinaire et même au zinc amalgamé ; leur emploi contribue à l’économie des couples et atténue leur inconstance. Le coût de zincs alliés, fabriqués avec des rognures de bonne sorte, serait moindre que celui des zincs amalgamés, dont il faut souvent renouveler la surface avec grande dépense de mercure et de main-d’œuvre.

Aussi faut-il engager les électriciens qui construisent ou emploient des piles primaires, à substituer au zinc amalgamé les alliages solides de zinc et mercure, dont l’emploi présente des avantages très nets.

La Note qu’on vient de lire, publiée pour la première fois dans l’Électricien du 1er octobre 1883, a ramené l’attention des spécialistes sur les zincs alliés, qui semblaient abandonnés depuis les tentatives de M. J. Duboscq (1870) et de M. Dronier (1878). Les alliages zinc et mercure sont maintenant en expérience à la Société Générale des Téléphones, aux Usines du Creusot, chez MM. de Branville et Cie, constructeurs de la pile de Lalande et Chaperon, etc. M. Radiguet les a adoptés pour ses piles au bichromate de potasse ; M. A. Simmen les emploie dans les piles économiques au vert-de-gris.

La fabrication des zincs alliés présentait autrefois des difficultés, et même certains dangers. Mais j’ai récemment institué des procédés qui, pratiqués en grand par MM. Paul Crochet et Cie, fournissent sans nul inconvénient des zincs homogènes.

Les formes données à ces électrodes fondues ont été étudiées au point de vue d’une meilleure répartition du métal ; de sorte que les zincs, de modèles variés, fournis par l’usine Crochet, joignent à la supériorité intrinsèque de la matière l’avantage d’une forme rationnelle procurant une utilisation plus complète.

  1. L’Électricien du 1er octobre 1883.
  2. Voir la note : Vases poreux et cloisonnements, p. 50.
  3. Voir le Formulaire pratique de l’électricien, par E. Hospitalier ; G. Masson, Paris.