Philosophie de la nature/Introduction du traducteur/7

Traduction par Augusto Vera.
Ladrange (Tome 1p. 85-109).

CHAPITRE VII.

THÉORIE DE NEWTON DANS SES APPLICATIONS.


C’est une seule et même force, disent les physiciens d’après Newton, qui fait tomber les corps à la surface de la terre, qui retient les planètes dans leurs orbites, et qui, pénétrant dans chaque molécule, l’anime, pour ainsi dire, d’une même tendance, et fait que toutes les molécules s’attirent et gravitent les unes vers les autres. Or, cette doctrine, si on la prend à la lettre, est démentie par la théorie, aussi bien que par l’expérience. Et, en effet, lorsqu’on dit que c’est une seule et même force qui fait tomber les corps à la surface de la terre, et qui retient les planètes dans leurs orbites, c’est comme si l’on disait que c’est une seule et même lumière que celle qui émane du soleil, et celle qui jaillit du frottement de deux corps, ou que c’est un seul et même mouvement que le mouvement des corps célestes, et le mouvement de l’animal, ou que c’est une seule et même pensée que la pensée irréfléchie et vulgaire, et la pensée réfléchie et scientifique. Ce qu’il faut dire, c’est que c’est la même lumière et que ce n’est pas la même lumière, ou que c’est le même mouvement, et que ce n’est pas le même mouvement, ou, enfin, que c’est la même pensée et que ce n’est pas la même pensée ; ce qu’il faut dire, en d’autres termes, c’est que s’il y a dans les deux lumières. dans les deux mouvements et dans les deux pensées un élément commun, il y a aussi un élément différentiel, et que cet élément différentiel constitue une sphère nouvelle et distincte de la lumière, du mouvement et de la pensée[1]. Il en est de même de la pesanteur. De ce que les corps sont pesants à la surface de la terre, il ne suit nullement qu’ils le soient, ou qu’ils le soient ’de la même manière dans les rapports planétaires, mais bien plutôt le contraire ; savoir, que la pesanteur n’existe ni n’agit dans le système planétaire, comme elle existe et agit à la surface de la terre, et que, par conséquent aussi, elle n’existe ni n’agit dans la gravitation universelle, comme elle existe et agit à la surface de la terre, et dans le système planétaire ; ce qui veut dire qu’il y a des moments, des sphères distinctes de la pesanteur, dont la filiation et le développement constituent l’idée entière de la pesanteur. De fait, le corps tombe à la surface de la terre, tandis que la planète ne tombe pas. lit cependant elle devrait tomber, si c’était une seule et même pesanteur qui agit sur la planète et à la surface de la terre, ou de la planète, puisque le soleil attire la planète, comme le centre de la terre attire les corps placés à sa surface. On a recours, il est vrai, pour expliquer cette différence à la force centrifuge. Nous avons déjà montré ce qu’il faut penser de la manière dont on se re présente cette force ; et nous reviendrons encore sur ce point[2]. Mais, en admettant même ce nouvel élément, qui vient s’ajouter accidentellement et pour le besoin de la théorie à la pesanteur, il faudra aussi admettre qu’ici la pesanteur, par là même qu’elle se combine avec un nouvel clément, n’existe, ni ne peut exister comme elle existe à la surface de la terre[3]. Ainsi, dans le premier cas, le corps tombe, dans le second, il ne tombe pas. Dans le premier cas, le mouvement se fait suivant la ligne droite, dans le second, il se fait suivant la courbe. Enfin, dans le premier cas, le mouvement est fini et aboutit au repos, dans le second cas il est infini, et il ne souffre point d’interruption[4]. Mais si la pesanteur se transforme en allant de la chute au mouvement planétaire, et elle se transforme en développant et en posant les éléments contenus dans sa nature, par la même raison elle se transforme et pose d’autres rapports en allant du mouvement planétaire à la gravitation universelle. Comme l’infini mathématique marque l’extrême limite de la quantité, et, par là même, il concentre tous les moments et toutes les formes de la quantité[5], ou comme la vie marque l’extrême limite de l’organisme, et constitue, en même temps, l’unité de l’organisme, et de tous les moments précédents de la nature, ainsi la gravitation universelle marque la limite extrême de la pesanteur, ou, si l’on veut, elle est l’idée entière de la pesanteur, l’idée de la pesanteur complétement développée. La gravitation signifie que la pesanteur n’est plus dans ses états virtuels, abstraits et finis, mais dans son état concret et infini ; qu’elle n’est plus en soi, mais qu’elle est en et pour soi. En d’autres termes, elle signifie que la matière, non telle matière, mais la matière entière, et, partant, chaque partie, chaque molécule est complétement pesante, et qu’elle est. pesante au même titre, au même degré et sous la même forme ; ce qui fait que le centre n’est plus hors d’elle, comme dans la chute, et même dans les différentes parties du système planétaire, mais que le centre est en elle, et qu’elle est, si l’on peut dire ainsi, complètement centralisée. D’où il suit que l’inertie, le poids, la masse et la distance n’ont plus de sens dans la gravitation universelle ; que ce sont, voulons-nous dire, des catégories, ou des moments que la pesanteur a traversés, qu’elle présuppose et qu’elle contient, mais qu’elle dépasse, par la raison même qu’elle est la gravitation universelle[6]. Ainsi la gravitation est, comme le remarque Hégel, immédiatement opposée à l’inertie, puisque chaque point de la matière a un centre, ou, pour mieux dire, est un centre. Par cela même, la matière n’a plus de poids, ou est impondérable, car la matière ne pèse qu’autant qu’elle cherche un centre, et qu’elle a un centre hors d’elle ; de sorte qu’on doit dire que la matière pèse dans ses états et ses rapports finis, et qu’elle ne pèse pas dans ses états et ses rapports infinis ; ou, si l’on veut, qu’elle pèse dans ses parties et qu’elle ne pèse pas dans son tout. Et c’est là ce qui fait que les planètes, le système solaire et les corps célestes en général ne tombent pas, car leurs poids partiels sont annulés dans la gravitation universelle[7]. De plus, comme ici c’est la matière en général qui gravite, ou, suivant l’expression plus usitée, mais impropre, comme la gravitation existe de molécule à molécule, les rapports de masse ne sont plus que des rapports subordonnés, ce qui veut dire que la loi des masses n’est pas la raison dernière des attractions, et que les attractions des masses elles-mêmes n’existent que par suite de la gravitation universelle. Car, les masses n’attirent qu’autant que la matière en général attiré, et, par conséquent, comme nous l’avons fait observer, qu’une masse plus grande attire une masse plus petite, ce n’est qu’un état, ou une forme subordonnée de l’attraction. Par la même raison, on voit disparaître ou se changer les rapports de distance. Car d’abord, il n’y a pas de différence de distance entre molécule et molécule ; et ensuite il faut admettre que la molécule d’une étoile attire la terre comme la molécule du soleil. Elle l’attirera moins, mais elle l’attire, tout aussi bien, et au même titre que celle du soleil. C’est ici que vient se placer la loi de Newton, « que l’intensité des attractions est proportionnelle aux masses, et réciproque au carré des distances », à laquelle loi on en ajoute une autre, à savoir « que les forces de deux corps qui gravitent l’un vers l’autre sont égales et contraires, c’est-à-dire elles agissent en sens contraire suivant la droite qui joint les deux corps ».

Nous ferons d’abord remarquer à l’égard de la première loi, qu’elle ne peut pas s’appliquer à la gravitation universelle, ainsi que le démontrent les considérations qui précèdent. Car dans la gravitation, la matière attire, en tant que matière en général, et non en tant que masse. Par conséquent, Hegel a raison de dire (§ 270) que Newton, en introduisant dans la gravitation cette formule, a faussé sa propre conception[8]. Mais ce n’est pas à la chute non plus que cette loi peut s’appliquer. Car, dans la chute aussi les corps tombent en tant que matière, et non en tant que masse. Et c’est là ce qui fait qu’ils tombent avec une égale vitesse. On dira que, s’ils tombent, c’est que la masse de la terre l’emporte sur la leur. Mais de toute façon, il manque ici un des termes du rapport qui entrent dans la loi, car la loi dit que les corps s’attirent en raison des masses. Par conséquent, le corps qui a la plus grande masse ne devrait pas tomber comme celui qui en a une plus petite, puisque ses attractions ne sont pas les mêmes. Et il n’y a pas de distance à invoquer, car les distances sont les mêmes. Et ainsi, ou la" loi de Galilée est théoriquement fausse [9], ou la loi de Newton ne peut pas s’appliquer à la chute ; ou pour mieux dire la loi de Galilée la contredit, puisque les attractions ne se font pas ici de masse à masse[10]. Ensuite, si cette loi a un sens, elle veut dire qu’entre deux masses, dont l’une est plus grande et l’autre est plus petite, la masse la plus grande est la masse qui attire, et la masse la plus petite est la masse attirée. Celle-ci attire, il est vrai, elle aussi, la masse la plus grande, mais les attractions de la plus grande l’emportent sur les siennes ; et c’est ce qui fait que la plus grande est son centre, et qu’elle tourne autour d’elle ; et, par suite, que les planètes tournent autour du soleil, et les satellites autour des planètes. Or, ceci n’est pas conforme à l’expérience ; car on a d’abord les étoiles doubles. Ici le mouvement est indépendant de la masse. Le satellite tourne autour de la planète principale, et celle-ci autour de son satellite, et leur centre est, comme on dit, dans le vide ; ce qui signifie que le principe et le centre de leur mouvement sont dans leur rapport, et nullement dans le plus et le moins de leur masse. C’est ce qui a fait dire à Bessel que les attractions pourraient y être non quantitatives, ou proportionnelles aux masses, mais qualitatives et spécifiques[11]. Or, dire qu’il y a des attractions spécifiques, c’est dire qu’il y a une attraction fondée sur un autre principe que la masse, et qui, par cela même qu’elle est spécifique, c’est-à-dire intrinsèque à l’objet (à la matière en général, ou aux planètes et à leurs rapports), dépasse la sphère de la pure quantité, et échappe à la formule mathématique. Bessel a du moins constaté le fait, et il a avoué qu’il est en dehors de cette formule. Ce n’est pas là, cependant, ce que reconnaissent les astronomes en général ; car ils prétendent y voir, au contraire, la confirmation de la théorie newtonienne, et, comme ils disent, de la loi de la gravitation[12], et cela surtout parce qu’on y a constaté les deux premières lois de Képler[13]. Mais autre chose est la gravitation, autre chose est la loi des masses appliquée à la gravitation ; car la matière peut graviter, sans qu’il s’ensuive qu’elle doit graviter suivant les masses. C’est là une différence que nous avons montrée, et que les étoiles doubles viennent confirmer. Quant aux lois de Képler, il faut voir si elles se lient nécessairement à la loi newtonienne, car leur vérité peut s’appuyer sur d’autres principes ; et c’est là ce que Hégel a démontré. Et, en admettant même que la démonstration hégélienne de ces lois ne soit pas inattaquable, on n’est pas autorisé à en conclure que la critique hégélienne n’est pas fondée, et que Hégel n’a pas eu raison de reprocher à Newton d’avoir altéré la pensée de Képler et la signification de ces lois, en y introduisant sa formule, et en les présentant comme une application, ou comme des cas particuliers de cette formule. Et, à cet égard, nous croyons pouvoir affirmer que ce n’est pas par la considération des masses que Kepler arriva à la découverte de ses lois, mais par l’observation et le calcul, ainsi que par ce sentiment profond de l’harmonie et de l’unité de l’univers, qui l’animait et le stimulait dans toutes ses recherches[14]. Et cela est si vrai que Newton lui-même, voulant démontrer mathématiquement, et en partant de sa théorie la première loi, n’arriva pas à l’ellipse, mais à la section conique[15]. On dira que si la formule newtonienne n’est pas explicitement dans les lois de Képler, elle y est implicitement, et que le mérite de Newton consiste précisément à avoir dégagé des lois de Képler la loi universelle de la gravitation qui démontre les lois de Képler elles-mêmes. Mais c’est là aussi ce qu’il faut démontrer ; ce qu’il faut démontrer, voulons-nous dire, c’est que la déduction newtonienne est légitime et nécessaire, et qu’elle est légitime et nécessaire, non mathématiquement et suivant l’ancienne logique, mais suivant la raison et la logique absolues. Car une déduction ou une généralisation peut être mathématiquement admise, et cependant être fausse, comme elle peut être vraie suivant la logique formelle, mais fausse en réalité, et suivant la logique absolue[16]. Ainsi, en partant de l’unité et de l’identité abstraite de la nature humaine, on peut dire que tous les hommes sont égaux, et, par suite, que tous ont droit sur toutes choses, ce qui est faux suivant la réalité, et suivant l’absolue logique. Ou bien, on pourra démontrer mathématiquement que le centre est un point géométrique, mais il ne suit nullement de là que le centre physique soit un point. Tout au contraire, par là même que c’est le centre physique, ce ne peut pas être un simple point. De même, on peut dire que dans un corps qui se meut suivant la droite, il est implicitement donné qu’il ne se meuve que suivant la droite, ou, ce qui revient au même, qu’il se meuve indéfiniment suivant cette direction. Mais cela n’est vrai qu’implicitement et virtuellement, car actuellement et réellement le corps ne peut pas se mouvoir indéfiniment suivant une droite. Ainsi, la déduction newtonienne peut implicitement être contenue dans les lois de Képler, et être cependant fausse. Et, en effet, la troisième loi, d’où cette déduction se fait le plus facilement, est fondée sur le rapport du temps de la révolution de la planète, et du grand axe ou de la distance moyenne de cette même planète au corps central[17]. C’est probablement de ce rapport que Newton a déduit sa loi, loi suivant laquelle les attractions et les mouvements seraient déterminés par la proportionnalité des masses. Or, c’est là ce qui n’est pas démontré, et ce qui n’est pas nécessairement contenu dans la loi de Kepler ; car il se peut très bien que ce ne soit pas la masse qui détermine ces attractions et ces mouvements, leur forme, ainsi que leur différence. Et les mouvements des étoiles multiples montrent déjà que ce n’est pas là une simple possibilité, mais un fait. Il y a cependant d’autres faits et d’autres considérations qui se réunissent pour le prouver. Et, en effet, on admet que les attractions sont le principe des mouvements des planètes, et que la quantité de ces mouvements, ou la vitesse dépend. de la masse du corps central, ainsi que de la masse de la planète, et de sa distance du corps central. Mais la planète est animée d’un double mouvement, d’un mouvement autour d’elle-même, et d’un mouvement autour du corps central. Maintenant, ce double mouvement faut-il le rapporter à un seul et même principe, ou bien à deux principes différents ? En d’autres termes, le mouvement de rotation est-il déterminé, comme le mouvement de révolution, par le rapport de la planète avec le corps central, ou bien par un autre principe ? Si c’est par un autre principe, il faudra dire quel est ce principe. Il serait cependant difficile d’admettre que le mouvement de la planète autour d’elle-même fût déterminé par un autre principe que par celui qui détermine son mouvement sur son orbite. Et, en admettant qu’il y eût là deux principes, comme les deux mouvements sont intimement liés, il faudra en expliquer leur rapport, c’est-à-dire le principe commun où ils se trouvent combinés ; ce qui nous ramène à l’unité du principe des deux mouvements. Mais, quelque supposition qu’on fasse à ce sujet, qu’on admette un seul principe, ou qu’on en admette deux, toujours est-il qu’il y a là un fait qui échappe à la loi de Newton. Et, en effet, pendant que le mouvement de révolution devient plus lent à mesure qu’on s’éloigne du corps central, le mouvement de rotation ne suit pas la même progression ; tout au contraire, il devient généralement plus rapide[18]. Or, si c’est un seul et même principe, c’est-à-dire la masse et la dis tance, qui détermine les deux mouvements, la lenteur et la vitesse de l’un devraient augmenter et diminuer avec la lenteur et la vitesse de l’autre. Si, au contraire, il faut les considérer comme les effets de deux principes, il y aura un mouvement planétaire-et un mouvement essentiel qui échappera à la loi de Newton, et qui sera même l’inverse de cette loi, puisqu’il sera indépendant de la masse, et, jusqu’à un certain point, en raison directe de la distance.

En outre, le soleil n’est immobile que relativement, et il n’est, non plus, centre que relativement ; car il est, lui aussi, animé d’un mouvement de rotation autour de son axe, et d’un mouvement de translation qui l’entraîne, avec tout le système planétaire, autour du centre du monde. Ce centre, les uns, comme Argelander, le placent dans la constellation de Persée ; d’autres, comme Mœdler, dans le groupe des Pléiades. Mœdler précise même davantage et le lieu et la nature de ce centre, qui serait, suivant lui, dans Alcyone (l’y du Taureau), et qui serait centre, non par la prépondérance de sa masse, mais par sa position. Or, si le soleil tourne autour de lui-même, c’est-à-dire de sou centre, par cela même qu’il est le centre du système, son centre devrait être aussi le centre du système. Mais l’observation et le calcul montrent que ce centre ne coïncide pas avec le centre du soleil, et qu’il tombe tantôt à l’intérieur, tantôt, et le plus souvent, hors du soleil et dans le vide. Cela prouve que le centre du système n’est pas dans la masse, car, en ce cas, les deux centres devraient coïncider. Et c’est ce qui deviendra plus évident encore en considérant le centre du monde. S’il est vrai, en effet, que ce centre ne soit pas centre par sa masse, mais par sa position, ou par une autre raison quelconque, le rapport des masses, comme principe déterminant et absolu des mouvements célestes, tombe par cela même. On dira probablement que ce centre, placé dans Persée, ou dans Alcyone, n’est qu’une hypothèse. Ce qu’il peut y avoir d’hypothétique, c’est le lieu, le point de l’espace où on le place. Mais ce qui n’est nullement hypothétique, c’est la conception de ce centre comme indépendant de la masse. Car, si le centre du monde n’était tel que par la masse, sa masse et son volume auraient des dimensions telles que, vis-à-vis de lui, le soleil ne serait qu’un atome, et qu’il devrait, par conséquent, être bien visible dans cet amas stellaire dont notre système fait partie. Et d’ail leurs, dans tous les cas, ce centre ne peut pas être une masse ; car la masse, quelle qu’elle soit, qu’on suppose être ce centre, doit avoir, elle aussi, un centre, qui serait par cela même le centre absolu, ou le centre du monde[19].

Il faut ensuite remarquer que cette loi n’explique pas les mouvements des comètes, ou, si elle en explique quelques-uns, qu’elle ne les explique pas tous. Les physiciens admettent généralement que les comètes n’ont pas la même origine que les planètes, mais ils prétendent, en même temps, que leurs mouvements sont réglés, comme ceux des planètes, par les lois de Képler et de Newton. C’est Newton qui le premier appliqua les lois de Képler aux comètes. Quant à Képler, bien qu’il eût aussi étudié cette partie de la science astronomique, et qu’en calculant le nombre probable des comètes il ait dit qu’il y a plus de comètes dans le ciel que de poissons dans l’océan, il ne songea pas à ramener les mouvements de ces astres aux mouvements des planètes. Mais Newton, qui voulait tout ramener à sa loi, s’appliqua à démontrer que cette loi règle tout aussi bien les mouvements des comètes que celles des planètes. Or, si les comètes ont une autre origine que les planètes, si, comme l’avouent les physiciens eux-mêmes, elles n’appartiennent pas à cette nébuleuse d’où serait sorti notre système solaire, mais elles sont de petites nébuleuses qui se meuvent dans l’immensité de l’espace, et qui ne sont, pour ainsi dire, entraînées qu’accidentellement dans la sphère de l’attraction solaire, il semble qu’on en devrait plutôt conclure que les mouvements de ces astres s’exécutent en dehors des mouvements du monde planétaire, ou que, s’il y a entre eux des ressemblances, il y a aussi des différences, et que ce sont précisément ces différences qui constituent leur nature et leur manière d’être spéciales. Et, en effet, tandis que les pi un êtes se meuvent toutes dans la même direction, les comètes se meuvent dans des directions opposées, c’est-à-dire les unes se meuvent d’un mouvement direct, et les autres d’un mouvement rétrograde, ce qui montre déjà que leur rapport avec le corps central n’est pas le même que celui des planètes. Ainsi, si l’on admet l’hypothèse de Laplace relativement à l’origine et à la constitution de notre système solaire, les mouvements des corps qui forment ce système seront déterminés par la rotation primitive de la nébuleuse, et des anneaux qui s’en sont successivement détachés[20] ; tandis que les comètes, par là même qu’elles ont une autre origine, devront obéir à une autre loi du mouvement. De fait, non-seulement elles se meuvent tantôt dans une direction, tantôt dans la direction opposée, non-seulement elles n’ont pas de mouvement de rotation, mais la forme même de leur mouvement de révolution diffère de celle des planètes. On dira que le mouvement de la plupart d’entre elles affecte la forme elliptique. Mais, même dans cette catégorie, il y en a dont l’ellipse est tellement allongée qu’il serait difficile d’admettre que les attractions de la masse solaire puissent s’étendre à l’énorme distance où se trouve placée leur aphélie. Telles sont les comètes de 1811, et plus encore celle de 1680[21]. De toute façon, à côté de cette catégorie, il y en a dont le mouvement se fait suivant l’hyperbole. On dit de celles-ci qu’elles ne reviendront plus. Mais ce qu’il importe de savoir, c’est comment elles sont venues, c’est-à-dire comment elles sont tombées dans la sphère d’attraction du soleil, et comment, après y être tombées, elles peuvent en sortir. C’est là l’essentiel ; et l’on apercevra encore mieux l’importance de cette remarque, si l’on fait attention à la différence entre la masse du soleil et celle de la comète, qui n’est, pour ainsi dire, qu’une nuée de vapeurs. Car, si c’était la masse du soleil qui déterminât le mouve ment de la comète, on ne conçoit pas comment celle-ci pourrait se soustraire à son action. On pourra dire que, dans son mouvement, elle est entraînée dans la sphère d’attraction d’un autre système. Mais ce n’est là que reculer la question, ou, pour mieux dire, répondre à la question par la question ; car ce qu’il faut montrer, c’est précisément comment elle peut franchir les limites d’un système pour entrer dans celles d’un autre, surtout si l’on songe, que plus la comète s’éloigne du corps central, et plus son mouvement devrait se ralentir, c’est-à-dire plus elle devrait tendre à y revenir[22].

Enfin, dans le petit nombre des comètes périodiques il y a aussi des mouvements qui ne s’accordent pas avec la théorie newtonienne. C’est de la comète d’Encke que nous voulons surtout parler. L’orbite de cette comète ne se déplace pas comme celle de la comète de Lexell, mais elle se raccourcit. Elle va en s’approchant de plus en plus de la forme circulaire, c’est-à-dire l’astre va en s’approchant de plus en plus du soleil. On a voulu expliquer ce fait de plusieurs manières. Mais ici aussi ces explications, qu’elles soient, ou qu’elles ne soient pas fondées, laissent subsister le fait tout entier, savoir, que le mouvement de cette comète ne saurait s’expliquer par les attractions de la masse solaire [23].

  1. Comme on peut le voir, les arguments qui suppriment les différences sont le résultat d’une fausse généralisation, qui, s’appuyant sur l’analogie et l’induction, ne voit que l’identité, et supprime, par cela même, la différence.
  2. Voy. chap. VIII et IX.
  3. On verra, § 262 et suivants, la déduction des trois sphères de la pesanteur, c’est-à-dire : 1o de la pesanteur à l’état immédiat et virtuel, ou de la pesanteur en soi, en tant que possibilité abstraite et infinie de tous les étals mécaniques de la matière ; 2o de la pesanteur dans ses rapports finis, — mécanique finie ; — 3o de la pesanteur complètement réalisée, — mécanique absolue.
  4. L’impossibilité de réaliser le mouvement perpétuel à la surface de la terre vient précisément de ce que la pesanteur n’y existe pas comme dans les corps célestes. On dit, il est vrai, à cet égard, que la différence entre la chute d’un corps et le mouvement de la planète n’est pas réelle, mais apparente. Car, ni durant la chute, ni au moment où il rencontre la terre, le corps n’est dirigé suivant le centre de la terre ; de sorte que, si le corps n’était pas arrêté par le sol, il continuerait à se mouvoir indéfiniment autour du centre de la terre, comme celle-ci se meut autour du soleil. Ainsi, avec un si, on supprime la différence, et on réduit cette différence à une apparence ; et cela sans nous dire ce qu’on doit entendre par apparence ; car l’apparence a aussi ses lois, sa raison d’être et sa réalité.Telles sont les apparences de la lumière, par exemple, ou les apparences des êtres, en général (voyez Logique, § 112 et suiv.). Mais, laissant de côté cette considération, nous ferons observer d’abord, que cette différence n’est nullement apparente, mais réelle, puisque, dans l’un des cas, le mouvement cesse, et, dans l’autre, il ne cesse point. On dira que, rigoureusement parlant, le mouvement ne cesse point, même dans le premier cas, puisque le corps continue de se mouvoir avec la terre. À cela nous répondrons que ce n’est pas, eu tant que corps qui tombe, qu’il continue de se mouvoir, mais, en tant que faisant partie de la planète, ou, pour mieux dire, en tant que planète. De toute façon, il y a la différence du fait, et cette différence montre que la pesanteur n’agit pas de la même manière dans les deux cas. Un dit : si le corps ne rencontrait pas la terre, il ne s’arrêterait point, et il continuerait à se mouvoir obliquement. Mais il la rencontre, et il doit la rencontrer, tandis que la terre ne rencontre, ni ne peut rencontrer une autre planète. Et, en supposant qu’il n’y ait là d’autre différence qu’une différence dans le rapport des masses, c’est-à-dire entre le rapport de la masse du corps qui tombe avec la masse de la terre, et le rapport de la masse de la terre avec la masse du soleil, toujours est-il que cette différence amène un état, ou une forme différente de la pesanteur. C’est comme dans la construction du pendule. On construit un pendule idéal, comme on l’appelle, et puis on dit que, s’il y avait un pendule semblable à celui-là, il oscillerait éternellement autour de la verticale. On ajoute, il est vrai, qu’un tel pendule ne peut se réaliser. Ce qu’il faudrait dire, c’est que non-seulement il ne peut pas se réaliser, mais que sa conception théorique est irrationnelle. Car il s’agit ici d’un pendule physique, et qui n’est vrai et possible que dans les conditions de la possibilité physique, ou des lois de la nature. Mais on transforme le pendule en une planète, en le suspendant comme la planète dans l’espace, et en le faisant tour ner librement, comme la planète, autour d’un point, qui ici remplace le centre ou l’axe de rotation, avec cette différence qu’on ne lui fait parcourir qu’une section de l’orbite. Or, un tel pendule est théorique ment impossible ; et dans la sphère de la nature, il est aussi impossible qu’un triangle avec quatre côtés l’est dans la sphère mathématique. Car le pendule appartient à la sphère de la mécanique finie- et, partant, du mouvement lini, ce qui veut dire qu’il doit s’arrêter comme le corps s’arrête dans sa chute. El il doit s’arrêter parce que lefrotlement est une condition essentielle de sa construction et de son mouvement(*). Kiiliu, en faisant cette supposition que le corps tournerait indéfiniment autour du centre de la terre, s’il ne rencontrait pas cette dernière, on oublie que, si le corps, qui tombe, ne se meut pas exactement suivant une ligne droite, c’est précisément que la planète entière se meut suivant une courbe ; de sorte que cette tendance à se mouvoir suivant la tangente, il la doit à l’impulsion qu’il reçoit du mouvement général de la planète. Mais en lui-même, et par la raison même qu’il tombe et qu’il tombe suivant la verticale, sa direction, ou sa ligne véritable et naturelle est la droite. Par conséquent, s’il pouvait se mouvoir à travers la terre, et sans participer au mouvement général de la planète, ce n’est pas autour du centre qu’il tournerait, mais c’est sur le centre qu’il tomberait et qu’il s’arrêterait.

    (*). Nous disons ici que c’est le frottement qui fait arrêter le pendule, parce que cela suffit pour l’objet de la discussion. Mais on verra, § 263 et suivants, la cause véritable de ce fait, cause dont le frottement n’est que la conséquence.

  5. Voy. Logique, § 99 et suivants, et l’Hégèlianisme et la philosophie, chap. IV.
  6. Car c’est là, il ne faut pas l’oublier, la forme systématique de la connaissance, et de l’être. Chaque nouveau moment, chaque nouvelle sphère, présuppose, contient et annule dans son unité toutes les sphères précédentes. C’est ainsi que l’être organique, par exemple, contient l’être chimique, mais comme un moment subordonné ; ou que la lumière contient l’espace et les formes mécaniques de la matière ; ou que l’État contient l’individu, etc.
  7. II va sans dire qu’ici il ne s’agit que de la matière purement mécanique. La matière pèse, mais elle ne pèse qu’autant qu’elle tend vers un centre, c’est-à-dire qu’autant qu’elle a un centre hors d’elle, et qu’elle est en même temps liée avec ce centre. Mais ce centre, qui est le centre de la matière, doit façonner et pénétrer successivement la matière entière, et, par là, se matérialiser lui-même. C’est là ce qui amène les divers mouvements et les divers états mécaniques de la matière. Le développement de la pesanteur n’a d’autre objet que de réaliser ces divers états, et d’atteindre à ce point où le centre est complètement matérialisé, et la matière est complètement centralisée. La mécanique absolue, qui trouve dans le système solaire sa plus haute réalisation, achève cotte évolution, et amène la gravitation universelle qui marque le point de passage à une autre sphère, à la sphère de la lumière. Ainsi, l’espace ’pur n’est ni pondérable, ni impondérable. La matière qui remplit l’espace, en tant que simple matière, ou matière pure, est pesante, mais, par cela même, qu’elle est devenue entièrement pesante, elle annule sa pesanteur, et pose son impondérabilité. (Voyez § 272 et suivants.)
  8. Et sa conception de l’éther ne saurait non plus s’accorder avec sa formule. Car la masse et la distance n’ont pas de sens, et elles sont, si l’on peut dire, indifférentes pour l’éther, qui pénètre partout.
  9. Nous disons théoriquement fausse, parce que la démonstration qu’on en donne, et qui est fondée sur le rapport des masses, rapport où l’on annule l’un des termes du rapport, n’est pas rationnelle. En d’autres termes, la loi est vraie, mais la démonstration qu’on en donne est fausse, et, par conséquent, il faut chercher ailleurs sa véritable démonstration C’est là ce qu’a fait Hegel (§ 267), dont la démonstration est fondée sur la notion même de la chute, comme moment de la mécanique finie. La démonstration, disons-nous, qu’on en donne ordinairement n’est pas rationnelle, parce que, d’abord, elle repose sur un rapport de masses, et ensuite, parce que dans ce rapport on annule l’un des deux termes du rapport, en tant que masse. Le raisonnement est celui-ci : la masse de la terre étant infiniment plus grande que celle des corps placés à sa surface, ces corps doivent nécessairement tomber sur elle. Maintenant, pourquoi tombent-ils avec une égale vitesse ? À cette question on répond en décomposant les corps en molécules, et en disant que, par cela même que chaque molécule est sollicitée par une unité de force, et que cette unité de force est employée à la faire tomber, il est indifférent que la masse d’un corps soit plus grande, ou plus petite que celle d’un autre corps. Car au corps qui a une masse plus grande, il faut plus de ces unités pour le faire tomber, et au corps qui a une masse plus petite, il en faut moins. Et ainsi les conditions des deux corps se trouveront être égales vis-à-vis des attractions terrestres, et ils tomberont tous deux avec une égale vitesse. Laissant ici de côté les considérations touchant le temps et l’espace, qu’on introduit dans la démonstration d’une manière extérieure et accidentelle, et qui, cependant, sont les principaux facteurs de la chute, puisqu’ils déterminent la pesanteur elle-même, laissant de côté, disons-nous, ces considérations qu’on trouvera à leur place (§267), nous commencerons parfaire remarquer qu’ici on part, d’abord d’un rapport de deux masses, d’une masse qui attire, et d’une masse qui est attirée. Or la masse attirée n’est pas seulement attirée, mais elle attire, à son tour, de sorte que les attractions contraires de la masse attirée plus grande doivent être plus grandes que les attractions de la masse attirée plus petite, et, par suite, les deux masses ne devront pas tomber de la même manière. C’est comme 100 hommes et 10 hommes mis en présence de 1000 hommes, toutes choses égales d’ailleurs. Les 100 hommes opposeront une plus grande résistance aux 1000 hommes que les 10. On dira, il est vrai, que, plus la masse est grande, et plus la terre met en jeu de force pour la faire tomber, et qu’ainsi la différence des réactions des deux masses se trouve annulée. Mais que devient alors l’autre loi que la réaction est égale à l’action ? Car d’après cette loi la réaction de la masse attirée doit augmenter avec l’action de la masse attirante, de telle sorte que, plus la terre attire, plus la masse attirée doit l’attirer, ou lui résister, à son tour. Et qu’on ne vienne pas lever la difficulté avec les infiniment petits, et en disant que la masse de la terre est si grande comparativement aux masses qui tombent à sa surface que toute différence peut être négligée. En supprimant les différences, les infiniment petits expliquent tout, c’est-à-dire ils n’expliquent rien. Et puis, il ne faut pas oublier que le temps et l’espace entrent comme éléments essentiels, et comme éléments quantitatifs et qualitatifs, dans la loi. Par conséquent, il faudrait dire que, puisqu’une plus grande quantité de force est employée pour attirer la plus grande masse, comme la force ne peut agir ni se développer hors, et sans le concours du temps et de l’espace, il y a aussi plus de temps, et plus d’espace employés pour attirer cette masse. Enfin, l’unité de la loi, cette unité qui fait que les corps tombent avec la même vitesse, n’est pas dans la terre, dans la masse et ses attractions, mais dans le rapport de tous les éléments constitutifs de la loi (l’idée une et indivisible de la chute, comme moment essentiel de la matière), de telle sorte que cette démonstration, qui place dans la masse de la terre la raison lie l’identité de la vitesse dans la chute, ne saisit pas la loi dans son unité. Mous ajouterons que la décomposition d’une masse en molécules, décomposition sur laquelle s’appuie la démonstration, est un procédé purement formel et subjectif, et qui n’atteint pas la nature objective de la chose. Car la masse ou le corps n’est pas un simple composé de molécules, nous l’avons vu. Et, en admettant qu’elle soit un agrégat d’atomes, il y aura d’abord les atomes, et puis leur unité dans leur agrégation. C’est comme le nombre. Le nombre 100, par exemple, n’est pas 1 + 1 + 1 + 1, etc, comme, en le décomposant, le représentent les mathématiques, mais il est 1 + 1 + 1, etc., plus ce qui fait l’unité de ces unités dans le nombre 100. Ce sera une forme, si l’on veut ; mais c’est une forme essentielle, cette forme qui constitue précisément le nombre 100, comme la forme de l’organisme constitue l’organisme, etc. (Voy. note suiv., et chap. X.)
  10. Les physiciens enseignent, il est vrai, que, bien que les attractions entre deux corps augmentent, ou diminuent avec leurs masses, la distance restant d’ailleurs la même, il y a cependant une différence entre l’effet de leurs masses sur le poids avec lequel ces masses gravitent les unes vers les autres, et l’effet de ces mêmes masses sur la vitesse avec laquelle l’une tombe sur l’autre. Celle-ci, la vitesse, dé pendrait entièrement de la masse qui attire, et nullement de la masse attirée ; tandis que le poids dépendrait de toutes deux, et il varierait proportionnellement à leur produit. Ainsi, si la masse de la terre et celle de la lune augmentait, leur poids augmenterait aussi, tandis que, si la masse de la lune augmentait, celle de la terre restant la même, la chute de la lune vers la terre ne subirait aucune altération. C’est-à-dire que dans le poids le résultat ou le rapport dépend des deux termes du rapport, et que, dans la chute, au contraire, il ne dépend que d’un seul terme, de telle sorte qu’en admettant ce principe, l’un des termes du rapport pourrait varier indéfiniment, sans que le rapport variât. Mais d’abord ceci ne s’accorde pas avec l’énoncé de la loi de Newton. Car cette loi dit que les corps s’attirent en raison des masses. Par conséquent, si la vitesse est le résultat de l’attraction, elle est nécessairement un rapport, c’est-à-dire, le rapport des deux masses, et non d’une seule. Ou, pour mieux dire, la vitesse est l’unité de ces deux termes, comme l’exposant est l’unité des deux termes de la fraction ; de telle sorte que, si l’un des deux termes venait à être supprimé, il n’y aurait plus ni exposant ni vitesse. Par conséquent, de même que dans les fractions les deux termes sont des éléments essentiels, et, si l’on peut dire, actifs de l’exposant, ainsi dans les attractions les deux masses sont des éléments essentiels et actifs de la vitesse, et, par conséquent encore, la vitesse n’est pas telle vitesse par l’attraction de l’une des deux masses, mais par les attractions de toutes deux. — On dira peut-être que le rapport, par cela même qu’il est l’unité de deux termes, tout en contenant les deux termes, les surpasse, et qu’il est, jusqu’à un certain point, indépendant d’eux, ainsi que cela a lieu, par exemple, dans le mouvement elliptique, ou dans certains rapports numériques où les termes varient, tandis que leur rapport demeure invariable. Mais ceci ne prouve nullement que les d’eux termes n’entrent pas tous les deux, et au même titre dans le rapport. Et si l’on dit que la vitesse est, non dans les termes du rapport, mais dans leur unité, c’est-à-dire dans le rapport, il n’y a pas de raison pour que le principe déterminant de la vitesse soit plutôt dans un terme que dans l’autre. — Ainsi, soit une masse = 5, et une autre masse = 3 ; le poids avec lequel l’une gravite sur l’autre sera proportionnel à leur produit, c’est-à-dire = 15 ; et dans ce nombre, qui n’est autre chose que le rapport ou l’unité des deux termes, les deux masses entrent toutes deux, comme éléments également essentiels, de sorte que l’une ou l’autre venant à changer, le rapport changerait aussi. Mais il n’en serait pas de même, lorsqu’il s’agit du mouvement. Car ici le mouvement et la quantité du mouvement seraient absolument déterminés par la masse la plus grande, et la masse la plus petite n’entrerait pour rien dans l’effet total ; de sorte que, si la masse la plus grande est =100, et la plus petite = 50, que celle-ci reste ce qu’elle est, ou qu’elle de vienne = 60 ou à 70, ou même il faut admettre = 99, elle n’a qu’à tomber, et à tomber exactement de la même manière que si elle était = 50, ou 10, ou 1. Ce simple énoncé montre ce qu’il y a d’inadmissible dans une pareille doctrine, surtout lorsqu’on l’applique au rapport des corps planétaires. Car, comme on le voit, on a ici la loi de la chute appliquée aux planètes. Nous avons vu ce qu’il y a d’irrationnel dans l’explication théorique de cette loi. Mais, lors même qu’elle serait exacte relativement à la chute, il ne suit nullement qu’elle le soit re nativement aux corps célestes. Car, nous le répétons, ces corps ne tombent pas. Et quand on parle de la chute d Une planète sur une autre planète, on parle d’une autre chute que celle des corps à la surface de la terre. Le mot est le même, mais la chose n’est point la même. Et toutes les suppositions que l’on fait sur la possibilité de cette chute, sur la direction que suivrait la planète, etc., sont des suppositions en dehors de la réalité, et, l’on peut dire, de toute possibilité rationnelle. En effet, une planète, par cela même qu’elle fait partie d’un système, ne peut pas tomber sur une autre planète ; car cette possibilité impliquerait l’anéantissement du système lui mime, c’est-à-dire de toute possibilité réelle concernant la nature et l’existence de ce système. Enfin, nous ferons remarquer que quant) même, dans ce rapport, la masse la plus petite serait quantitativement = 0, elle ne le serait qualitativement, ou comme élément essentiel du rapport. Car, dans ce sens, elle est tout aussi essentielle que la masse la plus grande. Ce qui montre que ce rapport repose sur un principe supérieur à la quantité, et dont la quantité ne saurait rendre compte. En somme, et pour nous résumer, dans un système, le mouvement et la vitesse de deux ou plusieurs corps ne sont pas déterminés par l’un d’eux, mais par leur rapport ; de telle sorte que, si le principe du mouvement est la masse, ce ne sera pas la masse d’un seul de ces corps qui déterminera la vitesse de l’un d’eux, mais la masse totale ; et il en sera de même, si c’est un autre principe que la masse.
  11. Recherches sur la partie des perturbations planétaires qui résulte du mouvement de translation du soleil. (Mémoires de l’Académie des sciences de Berlin, 1824. — Classe des mathém., p. 2-6.)
  12. Il est curieux de voir la manière dont Humboldt traite cette question (t. Ier, p. 133, 114). Il commence par dire que « les étoiles doubles, dont les mouvements lents ou rapides s’exécutent dans des orbes elliptiques d’après les lois de la gravitation, fournissent la preuve irrécusable que ces lois ne sont pas spéciales à notre système solaire, mais qu’elles régnent jusque dans les régions les plus éloignées de la création. » Puis, après avoir rappelé les travaux de Savary, d’Encke, d’Arago et d’autres, il ajoute : « Mais ce qui conservera longtemps encore à ces résultats un caractère hypothétique, c’est que nous ignorons si la force d’attraction se règle invariablement dans ces systèmes comme dans le nôtre, sur la quantité des molécules matérielles. » Et il rappelle, à ce sujet, l’opinion de Bessel. Et tout cela dans la même page !
  13. On sait que W. Herschel fut le premier à constater que les deux éléments, qui composent l’étoile double, tournent l’un autour de l’autre, et que Savary fut le premier à y constater les deux lois de Képler.
  14. La pensée de la gravitation universelle s’était déjà présentée à l’esprit de Copernic. « Pluribus ergo existentibus centris, dit Copernic (de Revolut. orbium cælest., t. I, c. IX, p. 76), de centro quoque mundi non temere quis dubitabit, an videlicet istud fuerit gravitatis terrenæ an alliud. Equidem existimo gravitatem non aliud esse quam appetentiam quandam naturalem partibus inditam a divina providentia opifice universorum, ut in unitatem integritatemque suam sese conferant in formam globi coeuntes. Quam affectionem credibile est etiam soli, lunæ cæterisque errantium fulguribus inesse, ut ejus efficacia in ea qua se repræsentant rotunditate permaneant ; quæ (res) nihilominus multis modis efficiunt circuitus. Si igitur et terra faciat alios utpote secundum centrum (mundi) necesse erit eos esse qui similiter extrinsecus in multis apparent, in quibus invenimus annuum circuitum. Ipse denique sol medium mundi putabitur possidere, quæ omnia ratio ordinis, quo illa nibi invicem succedunt, et mundi totius harmonia nos docet, etc. Comme on le voit, Copernic conçoit la gravitation indépendamment de la masse, et il n’identifie pas son action et sa forme avec elle. Quant à Képler, la considération de la masse s’offrit, il est vrai, à sa pensée. Car dans son Mysterium cosmographicum, il parle d’une force (virtus) qui a son siège principal dans l’anima mundi (qu’est-ce que l’anima mundi ? Est-ce le centre du monde, ou bien une âme du monde semblable à celle du Timée ?) et qui varie avec la distance. Dans son Astronomia nova, sive physica cælestis de motibus stellæ Martis, introd. fol. 5 (1609), il parle des attractions réciproques de la terre et de la lune suivant leur masse, et, enfin, dans son Harmoniçes mundi, achevé en 1618, et publié en 1819, et qui contient sa troisième loi, on trouve exprimée la pensée que le soleil est le centre des mouvements planétaires, et qu’il y a dans le soleil une force qui diminue soit directement, soit avec la distance, soit avec le carré des distances. Mais il ne suit pas de là qu’en formulant ses lois, il ait considéré la masse comme le principe, ou la condition nécessaire de ces mouvements. Car, si telle eût été sa pensée, elle eût été trop importante pour qu’il ne l’eût pas indiquée, et qu’il n’eût pas cherché à la démontrer.
  15. On dira peut-être, à cet égard, que les lois de Képler ne sont vraies, elles aussi, qu’approximativement. Mais l’approximation est une conséquence nécessaire et rationnelle de l’unité même de la nature. Car dans un tout systématique où les parties sont liées entre elles et avec le tout, chaque partie fait effort pour sortir d’elle-même et devenir les autres parties, ou le tout ; ce qui amène la perturbation et l’approximation. L’exactitude absolue n’existe, et ne peut exister que dans la logique, et dans l’esprit, en tant qu’esprit, ou pensée absolue.
  16. Nous supposons, bien entendu, que cette différence est connue du lecteur. Voy. Introduct. à la logique de Hégel.
  17. Pour la déduction mathématique de cette loi, voy. § 270. On sait, du reste, que la loi de Newton peut se déduire de chacune des trois lois de Képler.
  18. Nous disons généralement, car on n’a pas une progression rigoureuse dans ces mouvements. Mais le fait n’en subsiste pas moins. Ainsi, en prenant les planètes intérieures, et en comparant, par exemple, les mouvements de Mercure avec ceux de la Terre, on trouve que Mercure accomplit son mouvement de révolution en 24 jours, et la Terre en un an, tandis que le premier accomplit son mouvement de relation en 24 heures 4′, et la Terre en 23 heures 56′. Mais cette opposition entre les deux mouvements devient plus sensible encore à mesure qu’on s’éloigne du soleil. Car Jupiter, dont le mouvement de révolution comprend 11 ans 86 jours, tourne autour de lui-même en 9 heures 55′, et Saturne. qui accomplit sa révolution en 29 ans 46 jours, tourne autour de lui-même en 40 heures 29′.
  19. Voy. ch. suiv.
  20. Voy. ch. suiv.
  21. La période de la première serait, suivant Argelander, de 3300 ans, et celle de la seconde, suivant Encke, de 8814 ans. Dans l’orbite de cette dernière, telle qu’elle a été calculée par Encke, d’après les observations du professeur Marchetti (de Pise), qui paraissent les plus exactes, la distance périhélie de la comète serait de 0.0062, et sa distance aphélie de 851.2, et, par conséquent, le rapport entre les deux distances serait de 137000.
  22. Ainsi la vitesse de la comète 1 680 ne serait, à son aphélie, que de 3 mètres par seconde. En suivant cette progression, on voit que dans les comètes hyperboliques, et même dans une comète elliptique dont l’excentricité ne serait pas beaucoup plus grande que celle de la comète de 1680 le mouvement devrait cesser. Et on sera même embarrassé pour les faire tomber dans la sphère d’attraction d’un autre système, si l’on doit s’en rapporter aux déterminations récentes de la parallaxe des étoiles les plus proches. Car, d’après ces déterminations, la distance de ces étoiles au soleil serait 250 fois plus grande que la distance de l’aphélie de la comète de 1680, c’est-à-dire que, si l’on prend pour unité l’orbite d’Uranus, cette dernière distance contient 44 rayons de cette orbite, tandis que celle de α du Centaure en contient 11 000, et celle de la 61e du Cygne, 31 000. Or, si l’attraction solaire cesse à une distance comparativement si petite, on ne saurait admettre que l’attraction des étoiles pût s’étendre jusqu’aux limites de notre système, et cela, en quelque sorte, tout exprès pour rendre possibles les mouvements de certaines comètes. Des considérations analogues s’appliquent à la fameuse comète de Lexell. Cette comète a plusieurs fois changé son orbite. On attribue ce fait aux perturbations qu’elle a subies de la part de Jupiter, et, suivant Laplace, la dernière perturbation (1779) l’aurait tellement éloignée de nous, que, même à son périhélie, elle ne sera plus visible, a moins que d’autres perturbations ne changent de nouveau son orbite. Mais, en admettant même cette explication, c’est-à-dire que la cause de ce changement dans son orbite soit la perturbation produite en elle par une planète, reste toujours ce fait qui n’est pas expliqué, savoir, que le rapport de la comète avec le soleil n’est pas le même que celui de la planète avec le soleil. Car la planète ne change pas son orbite. Que si l’on dit que cela tient à la petitesse de la masse de la comète qui, en passant près de Jupiter, ne peut échapper à ses attractions, on fera observer que cela ne devrait point être, s’il est vrai que c’est la masse du soleil qui règle les mouvements du système planétaire. Car, de même que cette masse détermine les mouvements de Jupiter et des autres planètes, et qu’elle les détermine de telle manière que, malgré leurs perturbations réciproques, ils ne changent point leur orbite, ainsi elle devrait déterminer les mouvements de la comète, et maintenir celle-ci dans son orbite, malgré les perturbations qu’elle peut subir de la part de Jupiter, ou de toute autre planète.
  23. La comète de Halley a, elle aussi, lors de sa dernière réapparition (1835), offert des mouvements oscillatoires dans le plan de son orbite, et des deux côtés du rayon vecteur, qui ne s’accordent pas, non plus, avec la loi des attractions solaires. Bessel qui a observé et étudié ces mouvements les a attribués à l’action d’une force polaire. Quant aux explications qu’on a données des altérations du mouvement de la comète d’Encke, il n’entre pas dans le cadre de ces recherches de les soumettre à une discussion détaillée. Comme on sait, on en a donné deux. L’une appartient à Encke, et l’autre à Faye. Suivant la première, ce serait la résistance d’un milieu, d’un fluide, ou d’un éther ; suivant la seconde ce serait une force révulsive dégagée par l’incandescence de la masse solaire, qui produirait ces modifications. Notre opinion est que ni l’une ni l’autre de ces hypothèses ne sont fondées ; et cette opinion nous pourrions la justifier par plusieurs arguments. Mais nous nous bornerons ici à une seule question. Comment se fait-il que s’il y a un fluide résistant dans les régions solaires, ou si une force révulsive est émise par la masse incandescente (ou, pour mieux dire, supposée incandescente) du soleil, ce fluide, et cette force n’agissent que sur la comète d’Encke ? Et ne croirait-on pas qu’ils aient été créés et placés, tout exprès, dans ces régions pour régler, ou entraver les mouvements de cette comète, et qu’aussitôt que cette comète est passée, ils se retirent pour laisser circuler librement les autres comètes et les autres corps célestes ?