Petit dictionnaire ministériel/Texte entier/S

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S.


Sainte-Pélagie. C’est là que, grace au système d’égalité de M. Delavau, l’homme de lettres et banqueroutier, le député et l’escroc, sont pele-mêle confondus.

Salle à manger. C’est la pièce la plus importante du ministère. Quelle élégance ! quelle grace ! quelle propreté ! Vous demandez ce que représente le plafond ? Jupiter donnant à dîner aux dieux de l’Olympe. Considérez ces buffets, ces armoires et leur capacité. Cette table vous semble énorme ? Ne voyez-vous pas qu’elle peut recevoir encore des allonges aux quatre côtés ? elle est calculée sur la plus grande échelle ; il faut qu’elle puisse tenir à l’aise, et les coudées franches, les présidens des colléges électoraux. À cette table tous les intérêts doivent être représentés, ceux de la noblesse, du clergé, du tiers-état, et ceux de madame Chevet, qui appartient, je crois, à ce dernier ordre.

Salle de billard. Elle est annexée à la salle à manger. Un seul billard ne suffirait point à tant de digestions : il y en a deux, et l’espace est si vaste qu’aucune bedaine n’a à redouter une insulte de la queue d’un voisin.

Salle des pas perdus. C’est une grande pièce qui sépare le salon du ministre de la chambre des huissiers. Elle sert de lieu d’attente à certaines personnages moins considérables mais plus considérés que le commun des solliciteurs, et qui obtiennent des audiences dites particulières.

Santé. Deux ventrus sollicitaient la même sinécure. L’un se rend chez Son Excellence, et rencontre son concurrent qui en sort : Comment vous portez-vous, lui dit-il aussitôt. — Très mal. — Tant mieux, j’en suis bien aise ; et il entre chez monseigneur.

Scrupules. C’est ce dont un ministériel s’affranchit avec le moins de peine. Son Excellence lui dirait au besoin, en lui montrant la clef du coffre-fort :

Oui, sandis ! je sais l’art de lever les scrupules ;
L’honneur défend, de vrai, certains contentemens,
Mais il est avec lui des accommodemens ;
Selon divers besoins, il est une science
D’étendre les liens de notre conscience.

Scrutin secret. Invention sublime pour ménager la pudicité des votes. M. Chifflet ne serait pas fâché, à coup sûr, qu’on eût adhéré à l’acte additionnel des cent jours par l’intermédiaire du scrutin secret.

Séances. Les ventrus se plaignent toujours de la longueur des séances. Ils se fondent sur ce vers de Boileau :

Un dîner réchauffé ne valut jamais rien.

Secrétaire-général. Une Excellence qui arrive à toujours son secrétaire-général dans sa poche ; il est temporaire et éventuel comme elle. On l’avait surnommé l’eunuque du ministère, comme pour exprimer son inutilité ; mais quand on saura qu’il se charge, moyennant trois cent mille francs qu’on lui confie, de distribuer le papier et les plumes, le bois et les chandelles, les pelles et les pincettes, on reconnaîtra toute son importance et on l’appellera plutôt la femme de ménage de l’administration. Le meilleur local lui appartient de droit, après le logement du ministre.

Secrétaire intime. Une petite porte perdue dans la tenture conduit du cabinet de Monseigneur au cabinet du secrétaire intime. Cette dernière pièce sent toujours la cire à cacheter : une bougie y brûle continuellement en plein jour pour aider à clore des promotions et des destitutions. M. Gaudiche est le secrétaire intime de M. de Corbière.

Sédition. Moment critique pour un ministériel. Son indécision peut alors avoir des suites fâcheuses, et cependant il doit se garder avant tout de se compromettre. Tandis qu’il est à examiner d’où vient le vent, ne sachant trop quel partie prendre, la bonne occasion profite à un autre plus aventureux.

Serment. Espèce de faux-fuyant fort commode, qui n’engage à rien, quand on connaît les restrictions mentales.

Service. Chez un ministre, le premier service est une affaire d’administration, le second service une affaire d’état, et le dessert une affaire de haute politique.

Session. Époque de ripaille, les marchands de comestibles la trouvent toujours trop courte, et les ministres souvent trop longue.

Sinécure. Place dont on touche les émolumens et qu’on ne remplit pas. C’est une pension déguisée, une bague au doigt qui ne gêne à rien. Le nombre des sinécures qu’un seul ministériel pourrait cumuler est incalculable.

Superflu. Du nécessaire du plus grand nombre les ministres ont composé le superflu du plus petit. C’est dans ce double sens qu’ils citent ce vers d’Arouet :

Le superflu, chose si nécessaire.