Petit dictionnaire ministériel/Texte entier/A

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PETIT
DICTIONNAIRE
MINISTÉRIEL.




A.


Abandon. Un ministériel abandonne tout, excepté ses places. Amis, parens, bienfaiteurs, il sacrifie tout à son intérêt. On le voit dans tous les temps, dit Chénier,

De la cause publique afficher l’abandon.

Nous savons tel général qui gagnait autrefois des batailles, qui suit aujourd’hui des processions, et qu’une soutane d’abbé accommoderait bien, s’il n’était trop tard pour la prendre. Depuis que le titre d’abbé mène à tout, à la fortune, aux honneurs, aux évêchés, aux chapeaux de cardinaux, à la tiare, voir même à l’Académie, et par exception à la police correctionnelle, tout le monde y vise.

Abîme. C’est au ventre de la Chambre que vont s’abîmer toutes les oppositions généreuses.

Aborder. On n’aborde jamais une Excellence, un directeur-général ou un premier commis, sans une inclination profonde et un panier de truffes sous le bras.

Abrégé. Un libraire, ami du scandale, priait un écrivain de s’occuper de la rédaction d’un ouvrage intitulé : Des sottises des gens en place. — Combien voulez-vous de volumes ? — Vingt volumes. — Je ne le puis, je n’aime pas les abrégés.

Abus. La liberté de la presse, celle des consciences, l’enseignement mutuel, les encouragemens à l’industrie et les discours des députés indépendans, abus ! abus ! abus !

Académie. Corps scientifique ou littéraire : on est académicien par ordonnance, ou par la grâce de MM. Roger, Auger et compagnie.

Accepter. C’est le verbe qu’un ministériel conjugue le mieux. On rapporte que M. de Peyronnet, congédiant l’autre jour M. Avoine de Chantereine, sur qui tombe depuis longtemps la manne ministérielle, et qui n’en a pas moins les mains ouvertes pour accepter toujours, lui dit avec bienveillance : Monsieur, je vous donne… — J’accepte, répondit aussitôt M. Avoine. — Le bonjour, continua monseigneur.

Accord. M. de Villèle est d’accord avec le Journal de Paris ; M. de Damas avec le Drapeau blanc ; les jésuites avec l’Étoile, et les Turcs avec la Gazette.

Adhésion. Signature de confiance qui n’engage à rien, et qu’on peut traduire par ces mots : J’adhère à la conservation de mes places. C’est ainsi que les hommes élevés en dignité par Napoléon ont adhéré à sa déchéance.

Administrer. Tenir table ouverte. Engraisser les uns de la substance des autres, et se bourrer soi-même jusqu’au gosier.

Affaires. Prendre son chocolat à Mont-Rouge, entendre la messe à Saint Sulpice, jouer à la bourse, dîner rue Thérèse, chez l’honorable M. Piet, se montrer en soirée rue de Rivoli chez M. de Villèle, voilà ce qu’un ministériel appelle des affaires.

Agent d’affaires. Voyez-vous ce privilégié qui arrive au ministère en tilbury, s’élance sur le perron avec assurance, franchit le grand escalier, et fait signe au garçon de bureau, lequel écarte la foule pour lui faire place ? C’est un agent d’affaires qui a mis la main aux 637 millions de liquidation ; et qui est à la piste des créances Ouvrard.

Agiotage. Friponnerie de bon ton ; moralité ministérielle. Voy. Bourse.

Aigle. C’est le roi des airs. Les ministériels l’ont en aversion, depuis qu’ils ne l’adorent plus.

Allégorie. Figure de rhétorique que MM. du centre confondent avec l’hyperbole. Quand M. Dartigaux, procureur-général et député, faisait naguère l’éloge de d’Aguesseau en face de M. de Peyronnet, il s’exprimait par allégorie.

Amabilité. Elle consiste à promettre au commencement d’une phrase toute ce qu’on refuse à la fin.

Ambition. Il ne s’agit point de celle qui a pour but la gloire, pour moyens le mérite ; mais de celle qui ne veut que des places et de l’or, qui n’emploie que la bassesse et l’adulation, et qui tombe à deux genoux devant un portefeuille de ministre.

Ame. Un ministériel affecte d’y croire, mais se dispense d’en avoir.

Amendement. Mauvaise plaisanterie des députés de l’opposition, qui retarde souvent le dîner de MM. du ventre.

Amis. Lisez convives, serviteurs, valets, etc. Ils ont poussé le zèle, en 1814 et 1815, jusqu’à chanter aux cosaques qui nous envahissaient : Vive nos amis les ennemis ! les cosaques cependant ne partageaient leur dîner avec personne, mais nos ventrus espéraient les aider à manger le nôtre.

Amorces. Les mots pensions, décorations, sinécures, truffes, ortolans, madère, etc. sont des amorces auxquelles on ne résiste pas.

Amortissement. De quoi ? de la dette publique ? — Non, mais de l’esprit public. Demandez à M. Josse-Beauvoir des nouvelles du comité de la rue Tournon, où l’on discute à quel taux on amortira les journaux qui ne veulent pas se vendre.

Anarchie. Eau trouble où un ministériel trouve toujours à pêcher quelque chose.

Antichambre. Grande pièce carrée, communiquant au salon ou au cabinet de Son Excellence. Le ministère a beau changer, ceux qui en peuplent les antichambres sont inamovibles. L’huissier chargé d’annoncer leurs noms est tellement accoutumé aux mêmes visages, que l’absence de l’un d’eux lui fait l’effet d’un meuble qui manque. Pilier d’antichambre et ministériel sont donc synonymes.

Apostille (demander une). Envoyer un panier de Chambertin.

Appétit. Thermomètre du dévoûment ministériel.

Appointemens. Ils augmentent en raison de la servitude de celui qui les reçoit ; c’est un liniment anodin pour les humiliations, les mépris et les sarcasmes dont la carrière ministérielle est parsemée.

Arbitraire. C’est par lui que nos ministres croient pouvoir se soutenir : ils sont au reste on ne peut mieux servis ; leurs créatures ont fait de l’arbitraire sous tous les régimes, et cela d’autant plus volontiers qu’elles savent se tirer de dessous quand le pouvoir qui les soudoie est brisé. D’ailleurs le règne commode de l’arbitraire est plus lucratif que le règne révolutionnaire des lois.

Argumens. Les plus concluans vous viendront toujours au moment de vous mettre à table. Ce sont des inspirations d’estomac qui vous les fournissent.

Pareil à ces Solons de qui la nappe mise
Éclaire tout à coup la prudence indécise,
Et dont les argumens, pour trancher les débats,
N’ont jamais tant de poids qu’à l’heure des repas

Arlequin. Tel personnage, que nous lecteurs nommeront au besoin, a pris la patience de rapporter sur la doublure de sa robe de chambre une pièce de tous les costumes qu’il a endossés depuis trente ans. Il s’est promis de laisser percer, suivant le temps, la couleur dominante, afin de marcher toujours avec les évenemens. Assurement le dessous de cette robe de chambre est un habit d’arlequin, à moins que ce ne soit une robe courte.

Armée. L’armée ministérielle occupe toujours le centre de la lice ; cette légion nombreuse, que l’appétit gouverne et que M. Piet commande, obéit respectueusement au moindre signal de son chef. Il n’y a que la faim qui puisse la faire entrer en révolte ; et si elle prenait fantaisie de se soulever, ce ne serait assurement qu’après cinq heures.

Arrogance. Celle des bureaucrates est passée en proverbe.

Artistes. « Il y en a trop, disait avec infiniment d’esprit M. de Corbière, plutôt que d’encourager, par la pension qu’on me demande ce jeune peintre à continuer l’étude des arts, je donnerais volontiers six cents livres de mon revenu pour qu’il se fît tailleur ou cordonnier. »

(Historique.)

Assiette.

Un sort jaloux maintes inquiète
L’honnête homme qui n’ent peu mais,
Mais l’heureux ventru jamais
Ne sort de son assiette.

Attachemens. Voyez Places, Pensions, Table ouverte, etc.

Audace. Il en faut pour affronter les mauvais momens des ministres et des hauts fonctionnaires ; il en faut aussi pour braver l’indignation publique quand vos forfaitures l’ont soulevée. Audaces fortuna juvat fut toujours l’adage des intrigans.

Audiences. Le roi Saint-Louis donnait deux audiences par semaine ; nos ministres n’en donnent qu’une. Saint-Louis les tenait de sa personne royale ; nos ministres délèguent ce soin à un directeur-général qui le délègue à un chef de bureau ; mais le chef de bureau n’est point aussi facilement accessible que Saint-Louis.

Automate. Voyez Fonctionnaire-électeur.

Aux voix ! aux voix ! aux voix ! Lisez : à table ! à table ! à table !

Avancement. Il importe fort peu qu’on en mérite, il suffit qu’on en obtienne.

Aveugle. Dans le royaume des aveugles, les borgnes sont rois ; et c’est ce qui explique l’ascendant de M. de Villèle sur ses collègues.