Pertharite/Extrait d’Erycus Puteanus

Œuvres de P. Corneille, Texte établi par Charles Marty-LaveauxHachettetome VI (p. 14-16).


ERYCUS PUTEANUS[1]

Historiæ barbaricæ, libro II, numéro 15.

Tam[2] tragico nuncio obstupefactus Pertharitus, ampliusque tyrannum quam fratrem timens, fugam ad Cacanum, Hunnorum regem, arripuit, Rodelinda uxore et filio Cuniperto Mediolani relictis. Sed jam magna sui parte miser, et in carissimis pignoribus cap tus, quum a rege nospite rejiceretur, ad hostem redire statuit, et cujus sævitiam timuerat, clementiam experiri. Quid votis obesset ? non regnum, sed incolumitas quærebatur. Etenim Pertharitus, quasi pati jam fortunæ contumeliam posset, fratre occiso, supplex esse sustinuit ; et quia amplius putavit Grimoaldus reddere vitam quam regnum eripere, facilis fuit. Longe tamen aliud fata ordiebantur : ut nec securus esset, qui parcere voluit ; nec liber a discrimine, qui salutem duntaxat pactus erat. Atque interea rex novus, destinatis nuptiis potentiam firmaturus, desponsam[3] sibi virginem tori sceptrique sociam assumit. Et sic in familia Ariperti regium permanere nomen videbatur ; quippe post filios gener diadema sumpserat. Venit igitur Ticinum Pertharitus, et suæ oblitus appellationis, sororem reginam salutavit. Plenus mutuæ benevolentiæ hic congressus fuit, ac plane redire ad felicitatem profugus videbatur, nisi quod non imperaret. Domus et familia quasi proximam nupero splendori vitam acturo datur. Quid fit ? visendi et salutandi causa quum frequentes confluerent, partim Longobardi, partim Insubres, humanitatis Regem pœnituit. Sic officia nocuere ; et quia in exemplum benignitas miserantis valuit, exstincta est. A populo coli, et regnum moliri, juxta habitum. Itaque ut Rex metu solveretur, secundum parricidium non exhorruit. Nuper manu, nunc imperio cruentus, morti Pertharitum destinat. Sed nihil insidiæ, nihil percussores immissi potuere : elapsus est. Arnica et ingeniosa Unulphi fraude beneficium salutis stetit, qui inclusum et obsessum ursina pelle circumtegens, et tanquam pro mancipio pellens, cubiculo ejecit. Dolum ingesta quoque verbera vestiebant ; et quia nox erat, falli satellites potuere. Facinus quemadmodum regi displicuit, ita fidei exemplum laudatum est.

  1. Henri Dupuis, professeur de belles-lettres à Louvain, plus connu sous le nom d’Erycius Puteanus que sous son nom flamand Van de Putte, naquit à Venlo, dans la Gueldre, en 1574, et mourut à Louvain, en 1646. Le titre exact de celui de ses nombreux ouvrages d’où est tiré l’extrait que donne ici Corneille est : ErycI Puteani Historiæ insubricæ, ab origine gentis ad Othonem magnum imperatorem, libri VI, qui irruptiones Barbarorum in Italiam continent (ab anno CLVII ad annum DCCCCLXXIII). Fax barbarici temporis. — Corneille écrit Erycus, au lieu d’Erycius ; c’est sans doute qu’il a pris pour un i simple l’I majuscule qui, dans plusieurs éditions, dans celle de 1630, par exemple, dont nous venons de copier le titre, termine le génitif ErycI [pour Erycii]. On voit que la fin de ce titre contient aussi l’adjectif barbaricus, qui a été substitué par Corneille à insubricus.
  2. Épouvanté d’une nouvelle si tragique, Pertharite, craignant plus le tyran que son frère, s’enfuit à la hâte chez Cacan, roi des Huns, laissant à Milan sa femme Rodelinde et Cunipert son fils. Mais, malheureux dans une grande partie de lui-même, prisonnier dans la personne de ce qu’il avait de plus cher, repoussé d’ailleurs par le roi dont il était l’hôte, il résolut de retourner vers son ennemi, et d’éprouver la clémence de celui dont il avait redouté la cruauté. Rien pouvait-il s’opposer à ses vœux, quand ce n’était plus un royaume, mais la vie qu’il demandait ? En effet, croyant pouvoir désormais, après le meurtre de son frère, subir les outrages de la fortune, Pertharite ne rougit pas de se rendre suppliant, et Grimoald se montra facile, jugeant qu’il lui donnait plus en lui accordant la vie, qu’il ne lui avait ôté en lui arrachant son royaume. Toutefois les destins disposaient les choses bien autrement : il ne devait y avoir ni sécurité pour celui qui voulait faire grâce, ni salut pour celui qui ne stipulait d’autre condition que d’avoir la vie sauve. Cependant le nouveau roi, voulant consolider sa puissance par le mariage projeté, prend pour compagne de son lit et de son trône la jeune princesse qui lui était fiancée*, de manière que la dignité royale semblait demeurer dans la famille d’Aripert, le diadème ayant passé de la tête de ses fils sur celle de son gendre. Pertharite s’en vint donc à Pavie, et, oubliant le nom qu’il avait porté, salua reine sa sœur. Une bienveillance mutuelle régna dans cette entrevue, et, au commandement près, le proscrit semblait retrouver son ancienne prospérité. On lui donne une maison et des gens, pour que sa vie ne s’éloigne pas trop de sa récente splendeur. Mais qu’arrive-t-il ? Lombards et Insubres accourent en foule pour le visiter et lui faire leur cour. Le Roi se repentit de son humanité ; ces hommes devinrent funestes à Pertharite, et la bonté de Grimoald, qui n’était que pitié, s’éteignit quand il vit qu’on s’autorisait de son exemple : être honoré du peuple, c’était aspirer au trône. En conséquence, pour s’affranchir de ses craintes, le Roi ne recula pas devant un second parricide. Naguère c’était sa main qui avait frappé ; cette fois un ordre lui suffit, et il voua Pertharite à la mort. Mais les pièges, les assassins furent mis en défaut ; il leur échappa ; il dut son salut à l’ingénieux stratagème d’Unulphe, son ami. Celui-ci le revêtit d’une peau d’ours, et, le chassant comme un esclave, le fit sortir de la chambre où il était enfermé et gardé : il alla même jusqu’à le frapper pour mieux colorer sa ruse, et, comme il était nuit, les soldats se laissèrent tromper. Le fait déplut au Roi, mais il loua cet exemple de fidélité.

    * La fille d’Aripert, sœur de Pertharite et de Gondebert : voyez plus haut, p. 8. Corneille la nomme Édüige.

  3. Var. (recueil de 1656) : desponsatam. Le texte de Puteanus est desponsam.