Pendant l’orage/Vieille chose

Librairie ancienne Édouard Champion (p. 57-58).

VIEILLES CHOSES



11 décembre 1914.


Il y a une grande mélancolie à feuilleter les publications et les revues de tout genre qui parurent au moment où la guerre éclatait, quelques-unes même après l’ouverture des hostilités. Elles nous semblent vieilles d’un demi-siècle, c’est-à-dire deux fois vieilles, car les choses de l’esprit rajeunissent en s’éloignant vers l’ancienneté. Quoi ? C’est de cela que nous nous occupions quand la bataille allait s’engager autour de nos destinées ? Quelles futilités ! Et cependant, ces questions abolies, comme on les regrette et comme on voudrait que le moment fût revenu de nous y intéresser encore ! Comme elles nous semblent heureuses, les époques où nous discutions sérieusement de l’avenir du cubisme ou des mérites respectifs du vers libre et du vers régulier ! Il fut un moment, au mois d’août, où je crus fermement que tout cela était fini, à tout jamais, qu’il ne serait plus jamais question ni d’art, ni de poésie, ni de littérature, ni de science même, mais je crois bien que j’exagérais. L’esprit tend naturellement vers les habitudes qui maintiennent son activité. On se rappelle la légende du siège de Paris, d’un fervent ou d’un distrait qui bouquinait sur les quais, au bruit des obus. J’ai vu l’autre jour quelque chose, non de pareil, mais d’analogue, un monsieur converti par un ami au culte des livres rares commencer une collection de premières éditions à l’heure où des écrivains désespèrent encore d’achever jamais l’œuvre qu’ils ont commencée, puis abandonnée. C’était un sage. Le jour viendra, en effet, il vient déjà, on sent son approche, où les petites passions de la curiosité vont égoïstement reprendre et envahir à nouveau la vie.