Pendant l’orage/Le goumier vainqueur

Librairie ancienne Édouard Champion (p. 25-26).

LE GOUMIER VAINQUEUR



8 novembre 1914.


C’est une image donnée par un journal. À travers les rues de Furnes aux maisons découpées comme pour y étager des pots de fleurs, des cavaliers algériens conduisent un convoi de prisonniers allemands qu’ils ont probablement capturés eux-mêmes, et c’est vraiment une bien jolie réponse à la manière méprisante dont l’empereur allemand parla de ces braves gens. Mais peut-être commence-t-il à revenir sur leur compte et à trouver qu’il n’est point nécessaire, pour faire un bon soldat, de se nourrir habituellement de choucroute, de bière et de musique allemande. Seul, peut-être, M. Romain Rolland est humilié, dans son patriotisme international, de voir la civilisation allemande mise à mal par des gaillards un peu colorés de ton, plus colorés, en vérité, que son style plâtreux. Mais comment va-t-il concilier son respect de la culture germanique avec l’alliance des Germains et des Turcs ? Est-ce que nous allons voir Jean-Christophe renier sa patrie d’adoption qui s’est souillée avec le Bachi-Bouzouck ? Il le devrait pour être logique avec ses dernières idées sur l’échelle de la dignité humaine. Au reste, cela m’est parfaitement égal, ne m’étant jamais beaucoup intéressé à la logique des musicographes. Au fait, je ne mésestime nullement M. Romain Rolland, dont le nom ne m’est venu à l’idée qu’à propos d’un petit tableau militaire fort suggestif. Si même il écrivait plus proprement, je lui ferais même une place parmi les écrivains recommandables. Mais qu’il médite sur le goumier menant en laisse un vaincu germain, qui sait ? peut-être Jean-Christophe lui-même.