Pendant l’orage/L’autre hôpital

Librairie ancienne Édouard Champion (p. 85-86).

L’AUTRE HÔPITAL



12 janvier 1915.


Il y a un hôpital où malades et blessés n’ont pour lits que de la paille et s’en contentent fort bien. Ils ne sont d’ailleurs ni très blessés ni très malades, car s’ils avaient la moindre fracture, la moindre fièvre un peu suspecte, on ne les recevrait pas. La plupart ne sont qu’épuisés, fourbus par les longues marches, amaigris par la nourriture incertaine. Quelques semaines de repos et de soins élémentaires les remettent sur pied, ce qui est une manière de parler, car s’ils n’étaient pas sur pied, on ne les soignerait pas. L’hôpital est situé dans un beau et vaste parc et s’étend sur plus d’un kilomètre de long, car il ne contient qu’un rez-de-chaussée et des greniers. En effet, il est réservé aux chevaux. C’est une organisation intelligente à laquelle on a pensé pour la première fois lors de cette guerre, et qui rend les plus grands services, car on redonne à l’armée plus de la moitié de ceux que l’on a relevés en piteux état sur les champs de bataille. Mais, en dehors de l’utilité, n’y a-t-il pas une satisfaction d’apprendre que ces pauvres bêtes, qu’on abandonnait jadis aux corbeaux et aux vautours, sont enlevées, soignées, traitées enfin comme de bons compagnons qu’ils sont ? On a souvent parlé avec enthousiasme du cheval de combat qui s’exalte à l’odeur de la poudre, ce qui n’est peut-être qu’une métaphore, mais on n’avait pour lui aucune pitié, dés qu’il cessait d’être un animal utile. Maintenant, on le dorlote, on caresse ses maigres côtes et, s’il n’a qu’une balle sous la peau, on la lui ôte délicatement, on le met au vert et on lui donne d’excellentes rations bien mesurées. C’est bien ce que nous devions à notre plus noble conquête.