Partenza… vers la beauté !/Partenza…

Ambert & Cie (p. 7-10).
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L’édition moderne
L’édition moderne

Partenza…

Au milieu du cercle intime attentif à ses moindres mouvements, je vois encore, spirituelle et fine comme une tête de César sur une médaille antique, la figure de celui qui, Nonce Apostolique, allait être l’Éminentissime di Rende, et préparait ses épaules patriciennes, hères déjà sous le port de son front lumineux, au poids lourd de la pourpre romaine.

Il parlait de sa patrie en un français élégant et raffiné ; un léger accent enveloppait mollement certains mots qu’il retenait comme sous une caresse voulue, pour les pénétrer du charme de cette langue italienne, douce encore des harmonies Virgiliennes et câline comme une chanson d’amour.

Et c’était une chanson, en effet, une amoureuse chanson que murmuraient les lèvres du prélat, tandis que ses yeux regardaient au delà dans un lointain que nous devinions tous, la patrie si belle dont il célébrait le Midi marqué des vestiges indélébiles de la beauté grecque, tout imprégné encore de son radieux souvenir. Le Nonce déplorait les excursions faites au cœur de l’hiver alors que l’Italie, frileuse elle aussi, replie sous les vents frais qui passent, chargés pourtant de l’odeur capiteuse des orangers, les splendeurs déployées seulement quand les brasillements du soleil d’août font craquer la terre sous le ciel torride, au temps de la moisson des épis dorés, tandis que finissent de mûrir les grappes lourdes des vignes d’où s’écouleront les vins parfumés, après les vendanges.

Avec des mots gracieux, il traçait en maître les plus jolis tableaux des campagnes fatiguées de chaleur, accablées de lassitude dans le jour brûlant, mais ardentes de beauté, riches de pittoresque, et d’allure éveillée par les beaux soirs très calmes où les pastorales cantilènes s’élèvent en douceur des lèvres épanouies ; où la gaieté du ciel et de la terre trouve un écho dans tous les cœurs, délie les membres superbes des garçons vigoureux et fait plus souriantes les grâces juvéniles des filles dansant au retour des pèlerinages leurs danses chastes et naïves, dans l’air moite du parfum des fleurs et de la rude senteur des herbes fauchées, tiède des effluves de la terre incendiée, avec le grésillement précipité des cigales battant leurs élytres accordées aux rustiques pizzicati des mandolines.

Les paroles de l’évêque violet au profil de César, gravées profondément dans les souvenirs de ma seizième année, me revinrent attirantes quelques mois après quand, pour la première fois, tremblant d’émotion, j’allai fouler cette vieille Terre latine vers laquelle les jeunes têtes se tournent et s’inclinent, avides de connaître ses charmes, et de remplir du rayonnement impérissable des grandes choses disparues l’existence qui se prépare, vide peut-être, mesquine et vulgaire…

Malheureusement, ce fut dans un novembre, aux journées très belles et très limpides, mais si courtes ! que se dévoilèrent d’abord à mes regards les séductions puissantes de Rome. Et je me souvins d’elle comme d’une aïeule au visage défait et sévère, rude aussi, mais dont la rudesse se déride parfois en des sourires où passe tant de langueur, dont les traits ruinés gardent encore de si fraîches beautés, qu’à vingt ans je l’aimai du même amour qu’inspirent les frais regards de l’adolescence, de la même affection pieuse et filiale dont on entoure l’aïeule qui, peut-être, va s’éteindre bientôt. Et j’emportai dans mes yeux le splendide épanouissement des midis clairs et le souvenir des froides matinées embrumées de vapeurs mauves, légères et pénétrantes, dans lesquelles tremblaient les ombres augustes des grandes reliques de pierre, et passaient les graves sonorités de l’appel matinal des cloches…

Cette fois encore, je retourne là-bas dans le décembre glacé et le dur janvier. Je reverrai les mêmes choses séculaires, immuables presque, sur qui sept années auront pesé moins que sept jours sur moi… Je reviendrai sans connaître l’Italie tiède et parfumée dont parlait, le prélat romain, et je n’aurai pas vu les danses des garçons aux yeux de velours et des filles jolies… Mais peut-être, depuis que ses gars sont allés mourir si loin dans l’Afrique noire, ne danse-t-on plus guère, même dans l’été radieux, sur cette vieille Terre de Beauté, — où le Nord, aujourd’hui, n’envoie pas la lumière…