Paris-Éros. Première série, Les maquerelles inédites/27

(alias Auguste Dumont)
Le Courrier Littéraire de la Presse (p. 287-293).

XXVII


Conclusion.


L’étude qui précède révèle les tares les plus aiguës de la dégénérescence humaine, si visibles au déclin des civilisations, en enfantement de révolutions capitales. En tous lieux, à toutes les époques, cette dégénérescence s’est manifestée par un érotisme public, une érotomanie acerbée, mettant en lumière, faisant galerie, les impulsifs et les délirants des incohérences lubriques. Des noms fatidiques, imprimés, d’une corruption effrénée, flamboient toujours incandescents au ciel des grandes cités abîmées, comme témoignage du châtiment suprême.

Cette corruption, toujours, a dérivé de l’absolu doctrinal en opposition avec les lois naturelles. En tentant d’étouffer l’amour dans ses manifestations essentielles, dans ses viriles aspirations, émanations directes de la vertu à sa plus haute expression de force morale, les pontifes de la révulsion humaine ont fait éclore le vice, sous les formes les plus diverses, substitué au lieu et place de la grande génératrice de l’humanité et de l’idée. Ils ont intoxiqué la jeunesse de maximes fausses, de principes subversifs de l’ordre de la nature, lui ont atrophié le cœur et le cerveau, neutralisant et pervertissant son sens moral, pour que l’homme, soumis à leurs secrets desseins, ne fût qu’esclave entre leurs mains.

Leur plus grand crime est d’avoir calomnié, faussé le caractère divinement panthéiste de l’amour, et ainsi d’avoir érigé toutes les turpitudes voluptueuses en vertu évoluant autour d’un théisme absurde, blasphématoire.

On peut ergoter tous les distinguo ; en morale, il n’y a que des droits chemins.

On les a vus les éphèbes de la scolastique dénaturée, troublés en leur nubilité inquiète, tâtonnant, errant dans l’extravagance pollutrice, pour échouer au lupanar syphilisé, ou chez une prêtresse de l’érotisme, sa devancière de l’enseignement pervers, aux stupides pudeurs des puériles hypocrisies.

Lacédémone a été la grande école de mœurs pour la jeunesse, aussi fut-elle grande parmi toutes les nations de la Grèce, tant par la pureté des mœurs que par sa virilité, sa sagesse et son sentiment élevé de la liberté. Dans ses prytanées, on n’enseignait pas les mystères, mais la vérité positive, dont l’amour essentiel est l’esprit et le mot.

Ce ne fut que lorsque les lois de Lycurgue tombèrent en désuétude, par la mollesse et l’avidité, qu’une opulente prospérité y avait fait naître, lorsque les sénateurs en eurent faussé l’esprit et la morale, que les rhéteurs héliotes eurent envahi le forum, lorsque les sophismes eurent perverti les âmes, jetant le mépris sur tout ce qui avait été la force et la grandeur de la république, qu’elle tomba asservie sous le joug d’une oligarchie dépravée.

Le mystère est le suprême argument des prestidigitateurs et plus encore celui des faussaires.

Faux Dieu, faux amour, fausse vertu, tel est le bilan de la moralité léguée au vingtième siècle par l’absolu doctrinal, et, comme conséquence, une corruption effrénée, se masquant de toutes les hypocrisies, évoluant, prestidigitateuse, serpentine, dans la foule viciée par l’éducation sacro-officielle.

La pudeur offensée par l’épatement crasseux, dont les pontifes éducateurs ont englué de turpitude l’amour humain, s’élève enfin, proclamant les attributs générateurs, l’orgueil, la suprême coquetterie de l’humanité, étant holocauste par destination et consécration divine.

La virilité de l’amour est la première force de l’État. Sa liberté d’expansion doit être la sanction de sa conscience pure, franche et nette.

Mais il y a une morale plus positive à tirer de ce livre, qui, sous un libertinage apparent, démasque le vice pour en tirer une haute moralité.

Actuellement, la prostitution, génératrice de l’érotisme, est pour beaucoup une nécessité budgétaire. Cette prostitution, pour l’homme comme pour la femme, se détermine par un emboîtement de combinaisons et de trucs qui constituent la vie fausse.

Je n’argumenterai que sur ce point, mais il est capital.

Comme je l’ai déjà dit, et comme tout le prouve, il faut actuellement, en l’état de bien-être exigé par l’hygiène et les mœurs, à la majorité des ménages, un capital de trois cent mille francs, ou une situation rendant le revenu de ce capital, pour posséder l’aisance qui permette la procréation de deux enfants. Un de plus, c’est la gêne. Les millionnaires seuls peuvent humainement se permettre le luxe d’une nombreuse progéniture. Et encore souvent quand le million se compose, il est trop tard.

Mais la grande masse des ménages est loin d’avoir le revenu du capital arbitraire d’aisance ; quand il atteint deux mille francs, c’est le bout du monde.

Cette masse, prise hors des cultivateurs aisés, des négociants notables et des grands industriels, c’est-à-dire la petite bourgeoisie, les employés, les ouvriers et les petits cultivateurs, qui nous donne quatre-vingts pour cent de la population, doit donc subvenir à son logement, à sa nourriture, à son entretien et aux charges nombreuses, que lui valent sa qualité de citoyen français et la fatalité inéluctable de sa qualité d’être humain, avec deux mille francs par an, ce qui est impossible.

Donnons à chacune de ces unités morales un revenu de 3.000 francs pour corser ma démonstration.

Il y a quarante ans, ces trois mille francs en valaient cinq, sans que la fortune publique ait sensiblement augmenté. Alors la famille pouvait croître et se soutenir par elle-même.

On est jeune, on est confiant dans l’avenir, plus présomptueux encore, téméraire, on entre dans la fournaise, et la nature aidant on se paie le luxe d’un enfant.

Au bout de l’année, on dresse son budget, la caisse vide, riche de dettes.

L’État a d’abord raflé sous forme de charges
fiscales diverses 148 francs par tête, ci
444 »
Loyer modeste, ci
600 »
Nourriture, 1.25 par tête et par jour, ci
1.368 73
Entretien et menues dépenses, 1.25 par jour, ci
456 25
Habillement et mobilier, ci
300 »
Total
3.169 »

Déficit : 169 francs.

Pour arriver à ce résultat, plutôt navrant, il a fallu, par un hasard qui ne se répète pas, se défendre toute distraction, n’éprouver, ni perte, ni chômage, ni maladie, ni procès, ne recevoir ni parents, ni amis.

Joyeuse perspective pour convoler en justes noces !

Si, dans une heure d’abandon, on se paie le luxe d’un second enfant, c’est la misère noire.

Avec un revenu de 2.000 francs, c’est la corde au cou.

Que fait l’État en présence de cette situation désespérante pour la repopulation ? Rien.

Si, il écrase encore la famille dans l’œuf par des augmentations incessantes d’impôts et de ses prétendus droits de monopole.

Les empiriques législatifs feraient beaucoup mieux de lui dire de faire lui-même les enfants nécessaires à la reconstitution de son bétail producteur, au lieu de leur insipide demande de dégrèvement pour les familles ayant sept enfants.

Il n’y a que les riches ou les abrutis qui aient une pareille famille.

Ribot n’a jamais mieux dit, lorsqu’à la Chambre qui ne jonglait pas ce jour-là, il s’est douloureusement écrié : « Certains partis peuvent vivre de cette politique, mais la France en meurt. »

Le fait brutal s’impose ; la femme se prostitue pour apporter sa quote-part nécessaire au ménage, et l’homme truque L’animalité humaine acerbée dans l’inassouvissement normal, se neutralise, vient en adjuvant de la corruption publique amoncelée. L’embryon humain est étouffé.

La société se retourne l’injure : Fausse couche.

Où marche-t-on ?

À l’abîme !


FIN

N. B. — Pour la 2me série : Les Métalliques, retenir l’exemplaire par avis.