Paris-Éros. Première série, Les maquerelles inédites/00

(alias Auguste Dumont)
Le Courrier Littéraire de la Presse (p. Frontisp.-vii).


La Pieuvre.

AVANT PROPOS




Paris, l’étoile mirageuse vers laquelle se tendent les regards suggestionnés des caravanes cosmopolitaines, est aussi l’abîme. Ce ne sont plus les nobles aspirations de gloire, ni les sublimes idées humaines, legs sacré que la Renaissance et le Dix-Huitième siècle lui ont laissé, qui précipitent vers lui les théoriciens idéalistes ; ses voluptueuses attirances hypnotisent les libidinosités universelles. C’est la foire aux plaisirs, l’excelsior des jouissances, agréables ou turpides, rêvées.

Apparemment la source de belles œuvres qu’elle ne cesse de produire dans le domaine artistique et industriel lui a conservé le rang qu’il s’est acquis dans le concert des grandes capitales. Cette royauté, sa face auguste devant le monde, reste sa vertu conservatrice, sa puissance de résistance aux vrillons pourrisseurs qui sapent son socle de granit. Mais, telles Tyr, Babylone et Rome des Césars, aussi jadis en leur somptueux manteau de pourpre, royaux cavaransérails de l’univers, les corruptions amoncelées l’étreignent de toutes parts, l’étouffant dans son génie et sa vaillance gauloise. Comme ses devancières de gloire, devenues la proie des métallifères et des courtisanes, ses titres de grandeur et d’immortalité se fondent dans des inouïssements de luxe blafard et d’apprêtées iniriennes, à travers les beuglements des imprésarios dépravateurs et le glossaire des rhéteurs décadents. La Ville-Lumière, la Mecque ancestrale du génie et du talent, n’apparaît plus que comme l’Urbs voluptatis rerum, conquise, soumise, aux enseignes des lupercales : luxuries, lascivia, fallax, insidiosa, desidiosa, libidinosa, turpis, obscœna, infamis, voilant de deuil ses dieux lares.

En cette éclipse de ses lumières essentielles, blafardée des feux de ses luxueux lampadaires qui épaississent ses ombres, aux éblouissements artificiels qui font rayonner le faux et célèbrent le toc, fondant le bruissement des foules inquiètes, agitées en leur struggle-for-living satanesque, la courtisane altière, lascive, est reine ; son souteneur, banquiste ou chourineur, est roi.

C’est dans ce champ d’action, publique ou intime, que la chronique, préparant les annales de l’histoire, acquiert la virtuosité et la puissance dramatique de la scène. La sélection de faits, placés dans les cadres dans lesquels ils ont été vécus, y apparaissent vivants dans leur poignante passionnalité, exempts d’oppositions morales qui en affaibliraient les brutales audaces et les conceptions initiales.

Placé entre la cafardise et le crétinisme esthétiques des doctrines bâtardes, je me suis concentré dans le rôle de conteur désintéressé, gauloisant par tempérament et rabelaisant par école. Je laisse aux Panurges supergurgitatifs le soin de tirer par les cheveux les conclusions des causes infiniales et aux docteurs supercoquelicantieux des alchimicales mystifications sociales la défense de la prostitution civile et honnête.

Si, en ces épopées escabradeuses, la morale est placée à la section de réserve, à qui la faute ? Ce n’est pas moi qui l’y ai mise, pas plus que je n’ai la sotte prétention de placer la pudeur en un endroit qui force à s’asseoir dessus.

Martial d’Estoc.