Parapilla, poëme en cinq chants, (éd. 1776)/02

A Florence, chez Cupidon. M. DCC. LXXVI (p. 14-24).


Parapilla, poème érotique Français, Bandeau de chapitre
Parapilla, poème érotique Français, Bandeau de chapitre


CHANT II.


FIlle du Ciel, douce Philoſophie,
Combien de foux abuſant de ton nom,
Et des François corrompant le génie,
Ont, en Mégere, affublé la raiſon !
Timon ſe leve, & dit d’un ton ſublime :
Meurent les Arts, & périſſe l’eſprit
L’homme eſt charmant ſitôt qu’il s’abrutit ;
Et tous les ſots reçoivent pour maxime,
Qu’il eſt grand jour auſſi-tôt qu’il fait nuit.
Ainſi bravant la ſageſſe éternelle
Qui nous traça les routes du bonheur,
L’homme inſenſé ſe croit plus ſage qu’elle.
Eh ! qu’a produit cette ſombre fureur ?
Triſte & farouche on dédaigne la vie,

Le Suicide a ſouillé ma patrie ;
De noirs forfaits remplacent le plaiſir :
On trembleroit de careſſer les graces,
Le fanatiſme eſt errant ſur nos traces
La gaieté fuit, & je cours la ſaiſir.

 A l’heure même étoit à ſa toilette
Bien triſtement Madame Capponi,
Très-mal nommée, & les aimant, nenni ?
Au demeurant riche, belle, diſcrette,
Pleurant encor la mort de ſon mari,
Et du veuvage aſſez mal ſatisfaite.

 Le Crieur paſſe, & certain ſon qui plaît.
Frappe la Dame, & la trompe peut-être.
Marton, dit-elle, allez à la fenêtre,
Écoutez bien, & ſachez ce que c’eſt.
Marton bientôt revient toute troublée ;
Le croirez-vous ! ah ! Madame, écoutez !

C’eſt un Marchand,… je ſuis émerveillée. —
Mais que vend-il ? — Ce que vous regrettez.
La Dame dit : faites venir cet homme. —
Quoi ! l’appeller !… la choſe vous ſurprend ?
Tenez pour ſûr qu’à Paris ou dans Rome
Toute autre qu’elle en auroit fait autant ;
Et telle ici qui fait la précieuſe,
A ſon Marchand qu’elle voit chaque jour ;
Le Roi, la Reine, avec toute ſa Cour,
N’ont-ils pas vu la piece curieuſe ?
Or, c’eſt le cas, ou jamais il n’en fut.

 Le Marchand donc à l’inſtant comparut ;
Bien humblement il fit ſa révérence,
Ote le voile, & le tout ſe paſſa
Comme à Rodric Gabriël l’annonça.
Figurez-vous en pareille occurrence
L’émotion & le ſaiſiſſement
D’une Beauté qui ſe voit envahie,

Et ſans reſpect ainſi priſe à partie.
Et néanmoins le premier mouvement,
Si naturel, fut de le laiſſer faire,
Se réſignant, ſoupirant de grand cœur,
Et des deux mains, par excès de pudeur,
Cachant ſes yeux. Le ſecond tout contraire
Fut d’écarter, hélas ! le téméraire :
Mais vains efforts & nouvel embarras ;
Elle le veut, elle ne le peut pas. —
Mon cher Monſieur, voulez-vous que je meure !
Je ne puis plus endurer ce méchant…
Ah ! par pitié, délivrez-moi ſur l’heure. —
Très-volontiers. Prononcez ſeulement
Parapilla. — Fi donc, C’eſt du grimoire,
Vous me trompez. — Non ; vous pouvez m’en croire
Le terme eſt neuf… propre à la choſe ; — Mais !
Elle frémit, & ne dira jamais
Ce vilain mot. La charmante hypocrite
Gagnois ainſi du tems & du plaiſir,

Et ce ne fut qu’avec un grand ſoupir
Qu’elle lâcha la parole ſuſdite.
L’eſprit malin a déja pris la fuite.
Parmi les fleurs prompt à ſe recueillir,
On le prendroit pour un Saint dans ſa niche,
Ah ! reprit-elle, avec un air confus,
Et le voilà dans l’inſtant qui déniche.
Pour ſe nicher tout comme ci-deſſus.
Que ne peut point un procédé ſi tendre !
Le cher ami déja reſſuſcité,
Parapilla ſe fait long-tems attendre.
Le phénoméne eſt vingt fois répété ;
Précaution que prend toujours le Sage,
S’il veut à fond ſavoir la vérité.
Je n’en dirai ſur cela davantage,
J’en ai trop-dit, peut-être ; mais enfin
Vous connoiſſez ce pauvre genre humain :
Pour peu qu’un fait ſoit hors de leur portée,
Un grave ſot, une tête éventée

Vous traitera de menteur, ou de fou,
Si l’on ne dit comment, pourquoi, par où.

 Pour terminer, la Dame bien inſtruite,
Bien exercée, acheta le bijou,
Sans marchander ſur la valeur preſcrite.
Le bon Rodric eut les cent mille écus.
C’étoit alors une aſſez forte ſomme,
Qui ſuffiſoit pour vivre en honnête homme.
Il eſt heureux ; que voulez-vous de plus ?
Mais il nous reſte un tréſor bien plus rare !
Que devint-il ? tout vous ſera conté.

 Jamais tréſor ne fut par un avare
Gardé ſi bien, ſi ſouvent viſité :
Il eſt enclos au fond d’une caſſette,
A double clef, & fermante à ſecret :
Même Marton confidente diſcrete,
Ne le vit plus, quoiqu’à ſon grand regret.

La Dame, hélas toujours ſe ſéqueſtroit ;
Dirai-je ſeule, ou bien en tête-à-tête ?
Ne ſe laſſant d’éprouver ſa conquête,
Examinant cette propriété,
D’aller, venir toujours à volonté ;
Rare talent & vertu ſouveraine,
Que n’eut jamais pour Princeſſe ou pour Reine
Aucun Amant, tant ſoumis ait été.
Ainſi paſſa le cours d’une ſemaine
Comme un inſtant : la Dame en tout ceci
Ne regrettoit au monde ame qui vive ;
Plus de viſite active, ni paſſive :
Tout le quartier étoit fort en ſouci.
C’eſt une énigme ; eſt-elle folle, ou morte ?
Chacun raiſonne, & chacun dit ſon mot.
Force valets vont ſans ceſſe à la porte :
Or, convenez que le monde eſt bien ſot.

 La belle Veuve eut une ſœur Abbeſſe,

Que tous les jours, avant ce cas preſſant,
Elle alloit voir par excès de tendreſſe.
De la Nonnain peignez-vous la détreſſe !
Huit mortels jours ont duré comme cent.
Chaque matin un billet de reproche,
De déſeſpoir ; ſon trépas eſt ſi proche,
Que notre Belle à la fin ſe réſout,
Vole au parloir : la ſcene fut touchante :
La Dame foible, & la Nonne exigeante ;
De point en point on lui raconta tout.
Peut-on mentir, hélas ! à ce qu’on aime !
Oſerez-vous cacher votre bonheur
A qui le doit ſentir comme vous-même ?
L’Abbeſſe avoit un grand fond de pudeur ;
Elle frémit des péchés de ſa ſœur,
Et d’autant plus que l’outil diabolique
Fut ſûrement formé par art magique.
Oh ! non, dit l’autre ; il eſt venu du Ciel,
C’eſt un préſent de l’Ange Gabriël.

Prouvant ce point d’une façon très-claire :
S’il eſt ainſi, prêtez-le-moi, ma chere,
J’aurai bientôt connu la vérité ;
Si dans le fait c’eſt un fruit de la grace,
Que parmi vous on appelle efficace,
Il ne ſauroit bleſſer la pureté :
Mais pardonnez à ce cœur agité,
Qui doute encore ; il s’agit de votre ame.

 Au nom du Ciel, au nom de la vertu,
Tant fut enfin requis & débattu,
Qu’il faut permettre un ſoin qu’elle réclame.
Le lendemain, de crainte d’accident,
Un laquais ſûr, & de plus très-prudent,
Doit apporter la céleſte caſſette ;
Un autre à part des clefs ſera chargé :
Et le retour eſt de même arrangé.
Le tout enfin, après l’épreuve faite,
Fidélement ſera rendu le ſoir.

Adieu, ma ſœur, adieu, juſqu’au revoir.

 La Dame alors revient en diligence,
Le cœur ſerré, pleurant ſon imprudence,
Et maudiſſant ce funeſte projet.
Qu’a-t-elle dit, hélas ! qu’a-t-elle fait !
Comment pouvoir ſupporter cette abſence !
Et cependant, au fond, ce n’eſt qu’un jour.
Ah ! c’eſt un ſiecle ! ainſi compte l’Amour.
Vous concevez que la nuit fut fort tendre ;
On n’entendit que le bruit des ſoupirs,
Tous précédés, ou ſuivis des plaiſirs :
Un doux repos vint enfin les ſuſpendre.
Mais quel réveil ! quel trouble ! quel moment !
L’ame, ſans doute, a ſes preſſentimens !
Ah ! c’eſt ſa faute ; elle fut fort peu ſage,
Trop confiante, & connut mal le prix
D’un tendre Amant que l’on tient au logis,
Point indiſcret, & ſur-tout point volage ;

Dont nul voiſin ne diſoit, le voilà ;
Et qui, charmé de ſon doux hermitage,
Quand on vouloit, ſe trouvoit toujours là.
Mais à ſa ſœur elle a promis ce gage :
L’heure s’envole ainſi que les amours.
Adieu, dit-elle ; & de l’œil & du geſte,
Le careſſant en perſonne modeſte,
Elle l’enferme, il part, & pour toujours.




Parapilla, poème érotique Français, illustration