Par la harpe et par le cor de guerre/Le Retour de Brizeux




XI

LE RETOUR DE BRIZEUX


Un antre viendra-t-il du moins sur ma colline ?
Boira-t-il à la source où ma lèvre s’incline ?
Passera-t-il où j’ai passé ?
Brizeux.


Le Barde :


Exprimais-tu le doute ? exprimais-tu l’espoir ? — Ô barde consume par le feu du devoir, — Pouvais-tu redouter qu’on oubliât ta trace, — Toi qui fis tant vibrer l’âme de notre race ! — De toi dès le berceau chacun de nous s’éprit : — Nous sommes tes enfants par le cœur et l’esprit.

Nos mères ont bercé notre enfance fragile — Au chant de tes beaux vers, doux comme l’Évangile, — Nos maîtres, nous menant par les frais chemins creux, — N’ont jamais séparé la Bretagne et Brizeux. — Pour faire naître en nous l’amour de la Patrie, — Ils laissaient nous parler le chantre de Marie.


Brizeux, âme de Saint, urne d’amour, grand cœur — Débordant d’une exquise et puissante liqueur, — Que ne te dois-je point, quant à moi, jeune pâtre, — Qui menais mon troupeau sur un coteau bleuâtre, — Aux premières clartés d’un printanier matin, — Dans les parfums de la camomille et du thym ! — Parmi l’essaim déjà bourdonnant des abeilles, — Tes vers prenant leur vol, chantaient à mes oreilles, — Ton livre de « Marie » en main, les yeux au ciel, — J’évoquais Pierre Elo, Marie et Daniel.

Lorsqu’éprouve l’enfant l’éternelle surprise, — Son amour, grâce à toi, Brizeux, s’idéalise. — Et s’étend à la terre, aux bois, au ciel, aux eaux : — Il écoute jaser le vent dans les roseaux ; — Les nuages voguant en escadres rapides — Sur l’océan des cieux aux profondeurs limpides, — Le prennent à leur bord. De nouveaux horizons — S’ouvrent sur des pays aux nouvelles saisons. — Son rêve prenant corps, il s’éprend des voyages : — Il aime les vaisseaux traçant leurs longs sillages, — Et la forêt l’attire avec son noir mystère ; — Sa soif de l’infini, rien ne la désaltère ; — Une immense clarté mystérieuse a lui — Sur un monde idéal qu’il va porter en lui. — Il boit dans un profond calice, et son ivresse — Idéalise pour jamais une pauvresse.


Quand le ciel se rougit à l’approche du soir, — Lorsque le chemin creux, plus creux se fait plus noir, — Qu’un frisson fait trembler les landiers sur la lande, — Lorsque s’est faite une atmosphère de légende, — Pendant que le troupeau s’en va tranquillement — Vers la ferme, en poussant parfois un meuglement, — L’on croit ouïr soudain des cliquetis bizarres, — Des galops de chevaux et des bruits de fanfares ; — Et c’est Morvan Lez-Breiz et ses fiers chevaliers — Passant sur le ciel rouge en broyant les halliers… — Arthur, tous les Héros,., les Saints… toute la Gloire : — Le ciel déroule au loin notre héroïque Histoire.


Ah ! pour moi je te dois ce que j’ai de meilleur. — Tu m’as, adolescent, tu m’as formé le cœur. — Élevé, comme toi, loin des bruits de la ville, — J’ai goûté la douceur de ta suave idylle ; — Mes champs et tes conseils m’ont sauvé du danger, — Sur moi n’a pas déteint le fard de l’Étranger.

J’ai reconnu les miens dans un livre qui trace — Pour la postérité le passé de ma race. — Je me suis reconnu dans ta fidélité : — Le chemin où je vais, tu l’as facilité. — Je suis un humble anneau dans une chaîne immense ; — Je me plie, avec joie, à sa moindre exigence ; — Docilement comme il est du, je me soumets, — Et je suis le maillon qui ne rompra jamais.

Ô mon frère Brizeux, doux et fervent apôtre, — Que ton nom soit loué dans ce monde et dans l’autre ! — Au Gwenved lumineux où maintenant tu vis, — As-lu quelque fierté quand tu revois tes fils ? — Que disent près de toi Taliésin et ses Bardes — Lorsque vers Breiz-Izel ces ancêtres regardent ?

L’Esprit de Brizeux :

Nous serons parmi vous dans les heures de lutte. — Ô Bretons que l’on persécute, — Jamais le fort ne fut si proche de sa chute.

Quand la mort a posé le scel — Sur le tombeau glacé, notre esprit immortel — Revit encore pour Breiz-Izel.


Du cercle du Gwenved où s’éleva mon âme, — Vers vous que la Justice affame, — Je suis redescendu pour attiser la flamme.

Du cercle où n’entre point l’oubli, — J’ai vu tout le passé tendu sans un repli, — Et mon esprit s’est réjoui.


Mon œuvre de vingt ans qui m’avait paru vaine — Germait et levait, bonne graine, — Parmi le dur granit et parmi le dur chêne.

La Harpe de Taliésin — Mon rang me place auprès de lui et de Merlin — A vibré de joie en ma main.

Devant le grand Arthur en sa cour immortelle, — Dont l’armure prête étincelle, — J’ai chanté Breiz ardente autant qu’elle est fidèle,

Les Héros tressaillaient encor — Longtemps après, les yeux attachés sur l’Arvor, — Encharmés par la Harpe d’or.

Ils vont venir, car ils s’incarnent à cette heure : — Dans la riche ou pauvre demeure — C’est un héros qui naît que cet enfant qui pleure.


Vers les humbles, vers les fermiers, — Pour faire amonceler le grain dans les greniers, — Je suis parti l’un des premiers.

De vos harpes, j’ai fait changer les vieilles cordes : — Sur les brins d’acier qui s’accordent, — S’élimeront les dents des Barbares, s’ils mordent.

Dans la langue chère aux aïeux, — Vous que nous allons rendre enfin victorieux, — Chantez toujours en fils pieux.

Haut les cœurs et debout ! Et plus de vaines larmes ! — Mais, que dans toutes les alarmes, — La harpe d’acier brille entre l’acier des armes.

L’Inspiration Celtique :

Vers tous ces morts de qui l’on dit qu’ils ne sont plus, — Tournez les yeux ; inspirez-vous de leurs vertus — Qu’à son sang nul de vous ne soit jamais parjure. — Morts glorieusement ou morts à l’œuvre obscure, — À vos aïeux, vivant en esprit près de vous, — Gardez-vous de fournir un sujet de courroux. — Que la Tradition vous serve de cuirasse ; — Tenez-vous sur la voie où s’engagea la Race.


Lorsque l’on s’en écarte, on se voue à la mort : — On est seul pour souffrir lorsque frappe le sort. — Toujours noyé dans une immense multitude, — Vous n’en souffrez que plus de votre solitude. — L’ennemi naturel, à tout nouveau malheur, — Retourne avec plaisir le fer dans votre cœur. — Vos enfants, assemblés autour de votre table, — Restent muets devant le coup qui vous accable, — Car vous avez laissé mourir le Souvenir, — Et vide est le Passé, vide aussi l’Avenir.


Mais que si vous suivez la droite et large route, — Plus d’hésitation, de trouble, plus de doute. — L’Esprit de vos aïeux ne vous quitte jamais : — Par ses sages conseils, vous fuyez les mauvais ; — D’invisibles amis peuplent votre demeure — Et dans la peine une main douce vous effleure.

À l’heure où la Bretagne enfin se ressaisit, — Des morts sont revenus en corps et en esprit : — Plus d’un, obscur encor, que le peuple coudoie, — Peu à peu l’ont mené vers son antique voie.

Celui-là qui jamais n’abdiqua sa fierté, — Le Barde qui, vingt ans, chanta la liberté, — Exalta les vertus de la Race bretonne — Et sema le froment qu’aujourd’hui l’on moissonne, — Brizeux, le doux Brizeux, parmi vous redescend, — Mais, plus rude, sa voix fait bouillir votre sang.

Oui, l’heure du réveil sonne pour la Bretagne ; — L’esprit de vos aïeux partout vous accompagne ; — C’est lui qui souffle en vous cette nouvelle ardeur — À qui Breiz redevra sa prochaine grandeur.