Par la harpe et par le cor de guerre/Élégie du Barde Quellien

III

ÉLÉGIE DU BARDE QUELLIEN


Sonnez, cloches de La Roche et cloches de Tréguier, — Sonnez le glas : — Un barde est mort, là-bas, avant son heure, — Au milieu de la Grande Ville.

Sonnez, cloches de Plouguiel et cloches de Saint-Yves, — Au-dessus des deux rivières ; — Avec des accents affligés, cloches, dites notre douleur, — Dans les campagnes et dans les villes.

Chères jeunes filles, déployez vos coiffes, — Et vous, femmes, — Mettez vos manteaux noirs, car aujourd’hui c’est jour de deuil, — En vérité.

Oh ! que d’amour il avait dans le cœur, — Pour vous ! — Et pour le pays des bruyères, des chênes, du goémon — Et du blé noir !

Marchez donc lentement et sans bruit, je vous en conjure, — Le long des chemins : — Jamais, mes sœurs, à Quellien, vous ne porterez — Assez de regret.

Une colombe grise et une petite colombe blanche, — Autour de la vieille tour de Saint-Michel, — Ensemble volent à tire-d’aile — Et voleront à jamais.

De là on distingue la mer bleue — Qui écume sur les rochers, — Les champs verts et boisés — Jusqu’aux épaules de Brê, le mont aride.

De là on distingue Bréhat, — Gildas, Mode, Gwennou et Er, — Toute la terre trécoroise, restée vierge — Sous les regards de l’Étranger.

Notre patrie déploie sa douceur, — Entre la mer et la montagne ; — L’air est saturé de son âme — Victorieuse de la Vieillesse et du Temps.

Sur mer, sur terre et dans le ciel, — Partout subsistent les traces des Saints. — Comme l’eau courante, au bord des chemins, — Les yeux sont transparents.

Et comment, après la mort, — L’âme du Barde pourrait-elle rester éloignée — De son cher pays de Bretagne, — Quand la vie de larmes est terminée !

La colombe grise et la petite colombe blanche, — Nichées en la tour de la vieille église, — Sont deux âmes revenues au pays ; — Celles de Renan et de Quellien.

Autour d’elles coassent les corneilles, — Mais elles, au delà de la mort, — Volent, dans les clartés célestes, — Dans leur rêve, au-dessus des clameurs.

Près de la petite ville de Tréguier, — Lorsque, moi aussi, je serai mort — À mon tour, à eux je me joindrai, — Sous la ressemblance d’une Alouette.