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œuvre historique à la manière d’un Tite-Live ou d’un Tacite, pour que l’humanité récupère dans les sciences naturelles et en matière d’architecture les connaissances qu’elle possédait déjà au temps de Pline et de Vitruve. Toutes les nations nouvellement apparues en Europe, c’est-à-dire en France, en Allemagne, en Angleterre, en Espagne, devront en leur âge enfantin réapprendre lentement ce qu’elles savaient déjà lorsqu’elles étaient réunies dans la grande communauté de l’empire romain. Avec la destruction de l’empire, la culture universelle s’est éteinte si complètement que l’on pense à un homme qui aurait reçu sur la tête un coup si violent que, pour un temps, il a perdu la mémoire.

Ce n’est pas sans une certaine intention, Mesdames et Messieurs, que j’ai quelque peu insisté sur cette très sombre période, je voulais rappeler que, dans le développement de l’humanité, il y a de terribles coups en retour et des rechutes : nous-mêmes nous avons déjà vécu une pareille période en Europe et toutes les perturbations et confusions morales de notre temps sont les suites de cet ébranlement. Le développement de chaque idée ne marche guère pas après pas, dans une montée régulière, à la suite de vigoureux progrès surviennent de telles vicieuses rechutes. Mais, pour violentes qu’elles soient, il ne faut pas que nous les considérions comme durables. Car les guérisons décisives suivent toujours immédiatement les crises les plus dangereuses. Le fil n’est jamais rompu complètement, jamais le travail spirituel de relèvement de l’humanité n’est tout à fait interrompu : quand un pays renonce à sa tâche culturelle, il y a toujours d’autres pays, et tandis qu’une sphère s’assombrit, il y en a toujours une autre qui s’éclaircit.

Ainsi un événement aussi considérable que la chute de l’empire romain n’a pas brisé l’unité du genre humain. Il n’a fait que transposer cette unité d’une sphère dans une autre, de la sphère de la réalité dans celle de l’esprit, de la sphère politique dans le domaine religieux car — et cette conséquence spontanée a été comme un miracle, — un nouvel élément d’unité a surgi alors, au moment précis où l’ancien élément était détruit ; quand Rome