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rajeunissement spirituel ne peut être donné en cadeau qu’à un homme qui sait toujours renouveler son idéalisme et son enthousiasme. C’est seulement si nous croyons du fond de notre âme à l’unité spirituelle du genre humain, et si cette croyance acquiert peu à peu l’énergie d’une religion, que pourra se réaliser ce rêve millénaire. Mais même à supposer que nous nous trompions et que nous ayons travaillé pour une chimère, il n’en reste pas moins vrai que nous n’aurons fait de mal à personne et que nous aurons vécu pour la plus noble chimère de la terre. Je ne sais rien qui puisse donner plus de satisfaction à notre vie minuscule et transitoire que la conscience d’avoir contribué, même de la façon la moins visible, à la pacification, à l’unification du monde, et, si impuissant que soit chacun de nous en tant qu’individu, il n’en reste pas moins vrai qu’aucune tentative en ce sens ne s’accomplit en pure perte ; même si nous ne changerons pas le monde par notre foi et par nos efforts, nous nous serons changés nous-mêmes, nous nous serons grandis, et chacun d’entre nous sera lui-même un monde.

Mesdames et Messieurs, j’ai essayé de vous parler de l’unité spirituelle du genre humain, de cette idée ou de cet idéal que, depuis le commencement de l’histoire, les hommes les meilleurs de toutes les époques ont reconnus comme les leurs. J’espère avoir été intellectuellement honnête et ne pas avoir fait miroiter devant vous l’espoir fallacieux de voir demain ou même après-demain s’accomplir de façon visible la réconciliation définitive des peuples. Au contraire, en hommage à la vérité, nous ne devons pas passer sous silence que de puissantes forces égoïstes travaillent à l’encontre de toute forme de rapprochement entre les peuples, de toute forme d’entente pacificatrice. Il est possible que notre espérance d’une réconciliation politique soit bientôt soumise de nouveau à de sanglantes épreuves. Soyons donc à la fois résolus et patients, ne nous nous laissons pas égarer dans les tréfonds de notre âme par toute la déraison et toute l’inhumanité de notre temps ; restons fidèles à la pensée intemporelle de l’humanité, ce n’est pas si difficile que cela !